Nous avons tenté, à travers ce bref article, de montrer que ce que transmet le psychiatre ne se fait pas selon sa volonté mais se trouve articulé à son désir inconscient, à son insu.
« Trans » est un signifiant (préfixe, bien entendu) qui circule abondamment dans le discours social actuel au point d'être le « fer de lance » d'un mouvement féministe « butlérien » qui défie la question identitaire sexuelle par un choix volontaire plus ou moins ludique de cette identité à nous mettre quasiment en transe ! Le préfixe, quant à lui, a le sens en français de « au-delà », « à travers », « ce qui marque le passage, ou le changement. » (Petit Robert)
« Maître » que nous écrivons à dessein ainsi pour faire écho aux différents modes de transmission que nous supposons mis à l'œuvre dans cette opération dont la structure des discours a été écrite par Jacques Lacan dans son séminaire L'envers de la Psychanalyse : Discours du Maître, Discours Hystérique, Discours Universitaire, Discours Analytique.
Pour le Discours du Maître, nous ferons un petit détour par Platon où dans le Ménon, il nous expose la transmission d'un savoir qui s'offre au sujet par « réminiscence » : Je sais que je ne sais pas et tout l'art dialectique de Socrate va démontrer à Ménon que l'esclave « se souvient » de ce qu'il ne sait pas. Socrate, en bon hystérique, pointe au Maître son insuffisance : il n'y a pas de Maître de la Vertu et Anytos s'en va très en colère contre Socrate. S'il n'y a pas de maître de la Vertu, elle ne peut donc pas s'enseigner ; mais alors, comment la transmettre ? Socrate veut démontrer à Ménon que l'esclave peut retrouver un savoir qu'il ne savait pas et ceci sans Maître, seulement en l'interrogeant avec adresse. Il ne s'agit pas ici de l'inconscient freudien, cet « insu-portable » d'autant que c'est rationnellement qu'il le guide dans la solution d'un problème de géométrie (le fameux double d'un carré). Sans Maître ? Peut-être mais pas sans malice puisque Socrate a besoin du Maître pour le contester et asseoir ainsi sa propre autorité : « L'hystérique veut un Maître sur qui régner » selon la formule lacanienne. Qu'est-ce que Socrate a transmis à Ménon ? Outre qu'il l'a ébranlé dans ses certitudes, n'est-ce pas cet art de poser les questions devant l'énigme du problème à traiter et le recherche de la vérité ? Nous retrouvons là une certaine façon de nous interroger sur une énigme, sur un réel : C'est la manière de le questionner qui nous donnera une réponse et non le fait de penser en faire une lecture : il en est ainsi pour le décryptage de la nature et c'est pourquoi le réel de la psychanalyse ou celui de la science est le même : c'est ce qui échappe à toute symbolisation, cet impossible à symboliser.
N'est-ce pas, d'ailleurs, cette même méthode socratique qui est convoquée dans certaines « thérapies cognitives » pour démontrer au délirant qu'il délire afin de lui transmettre le « bon jugement de réalité » ? Ménon, mais non ! Si Socrate permet d'ouvrir le champ de nos connaissances et de notre réflexion, n'est-ce pas le délirant qui, paradoxalement, nous apprendrait Autre chose sur notre humanité ? Référons-nous pour cela aux Mémoires d'un Névropathe du Président Schreber (Point-Seuil) où nous ne pouvons que constater notre aliénation au langage qui nous manipule et nous pervertit.
Si la position du psychiatre peut, dans certaines circonstances, être celle du Maître moderne (voir le Discours Universitaire élaboré par Jacques Lacan), prescrivant par exemple un traitement médicamenteux ou promulguant quelque conseil, celle-ci nous semble tout à fait différente quand il tente de « transmettre » (trans-maître) car ici la tiercéité joue son rôle instituant une disparité des places qui détermine un changement chez l'un et l'autre des protagonistes : pas de transmission à sens unique mais le passage par le filtre tiers transforme les intéressés. La position freudienne est pour nous exemplaire car il a su écouter l'hystérique pour faire émerger un nouveau discours, le Discours Analytique, restant toujours prêt à changer la théorie qui ne va pas sans sa pratique : pas l'un sans l'Autre mais l'Autre peut aller sans l'un. L'hystérique lui a ainsi transmis un savoir que le génie de Freud a produit pour lui faire entendre quelque chose de son désir, cet objet énigmatique manquant, cause de son désir. Si le symptôme du névrosé vient là à l'encontre de ce désir inconscient, ne s'agira-t-il pas alors de redynamiser ce « manque » d'où il s'origine dans cette transmission ? Mais là encore, nulle volonté du psychiatre : l'opération se fait à notre insu, « insu-portable » comme nous l'avons déjà dit car le paradoxe est que nous ne voulons rien en savoir. « L'inconscient, c'est que l'être en parlant, jouisse et ne veuille rien en savoir de plus. J'ajoute que cela veut dire : ne rien savoir du tout. Il n'y a pas de désir de savoir, pas de Wissentrieb. L'homme sait déjà que tout ce qu'il a à savoir mais que ce savoir est parfaitement limité à cette jouissance insuffisante que constitue qu'il parle ». (Jacques Lacan Encore P. 186. Éditions ALI. Doc. Interne) À notre insu, certes, mais pas sans le travail par la parole du sujet en question. Ce n'est pas la parole du maître qui compte mais celle du patient qui, par ce moulin à paroles, va produire des signifiants qui eux seront à lire côté psychiatre. N'est-ce pas ce travail de lecture que nous avons à transmettre d'autant que ce « moulin à paroles » va dégager et redynamiser le manque en question ci-dessus dans une mise en acte de l'inconscient ce que Lacan a défini comme « transfert ». Ainsi, ce patient devra-t-il prendre en compte ce qu'il a « hérité de l'Autre pour l'acquérir et savoir qu'il en est possédé » pour paraphraser la phrase de Goethe.
Mais nous pourrions nous demander à ce point de notre propos s'il existe une transmission sans transfert ? Idéal de la transmission comme ces formules mathématiques transmises de génération en génération. Bien entendu, les mathèmes lacaniens ont tenté d'être de cet ordre mais faut-il cependant la parole pour les expliciter et se les approprier en passant par une longue analyse pour que ceux-ci ne soient pas des formules vides répétées mécaniquement. Nous voyons ainsi que « transmettre » ne se fait pas sans la parole et le langage avec cette différenciation de l'énoncé et de l'énonciation ce qui nous fait distinguer la transmission du don. En effet, c'est toute la différence entre la transmission du phallus par le père et l'ordre du langage, c'est-à-dire la transmission de la castration, opération symbolique dont l'objet est imaginaire et l'agent réel, et le don à situer plus côté maternel à notre avis et dans le registre imaginaire même si dans les trois temps : donner, recevoir, rendre, il y a une certaine dissymétrie.
Mais, nous dira-t-on, le don de la langue ne se situe-t-il pas côté maternel ? Ne dit-on pas, « la langue maternelle » ? Certes ! Mais n'est-ce pas « la langue justement dans laquelle la mère est interdite » pour reprendre la formule de Charles Melman ? Transmission, donc, où notre sujet devra s'inscrire et trouver sa place à partir du désir de l'Autre. N'est-ce pas la position du psychiatre de s'y employer afin que le sujet en question puisse moins dépendre de la Demande de l'Autre et être ainsi plus axé sur son propre désir inconscient ?