- Opignons ? Et pourquoi pas ? Opinons à ce que certains esprits (ringards et chagrins) pourraient appeler un néologisme, et développons l'hypothèse que celui-ci propose: Ces derniers mois ont consacré en France le triomphe d'une démocratie d'opinion(s) sur une démocratie que, faute de mieux, nous appellerons une démocratie de valeurs, ou si l'on préfère de principes. Il aura juste fallu un peu plus d'un mois pour décrédibiliser, puis pour délégitimer dans un même élan le Législatif, puis l'Exécutif — et le Judiciaire continue à se consumer dans des affaires d'armoires mal fermées. La relecture de la fin du séminaire sur le transfert nous guide dans une lecture de ce qui se passe aujourd'hui. Lacan, après avoir posé « l'hypertrophie de l'ego humain » du fait de sa prématuration, y parle de l'économie du moi idéal et de l'idéal du moi, de leur rapport à la préservation du narcissisme. Mais revenons à nos oignons : en France, une démocratie de valeurs s'était organisée — aux prix de luttes sanglantes — sur la tentative d'un passage du trait unique comme signe de l'assentiment de l'Autre, signe qui passait par une incarnation du Pouvoir sur la tête couronnée, à une batteriesignifiante — avec certes pour conséquences un nouveau Réel, un nouvel impossible, générateur d'insatisfaction… ( Qu'on pense aux effets du signifiant « égalité », surtout quand celle-ci se conçoit à son départ pour tous les Uns, en excluant les Autres… ) De nos jours, chacun est invité à faire valoir son insigne particulier — insigne que Lacan pointait en 1961 dans la petite voiture de sport du fils à papa. Et comme le faisait aussi remarquer Lacan, dans la voiture de sport, il est superflu de s'encombrer d'une gamine… N'importe quelle opinion, à la condition qu'elle soit montrée et donnée à entendre publiquement, joue ce rôle de parure à exhiber : l'important, c'est d'avoir opinion… sur rue. L'opinion n'est pas l'expression d'un désir, mais plutôt, comme le disait Lacan, l'exhibition de la « façon de le satisfaire ». Pas de plus : cette « façon de le satisfaire » n'est plus tant affaire de fantaisie privée, voire affaire d'identification à quelque figure nommable, qu'un diktat anonyme, commun, repérable tout au plus sous le nom d'audimat. C'est ainsi qu'on retrouve le soir, énoncée en « live » par quelque individu lambda convaincu de son originalité, l'opinion qui avait été énoncée le matin. Voilà bien le génie propre de la mécanique des flux : rien ne se perd, rien ne se crée, les « idées » ressortent comme elles sont entrées, avec l'efficacité « clean » de la croquette pour chiens. Rien ne se transforme, et la vie passe, dans le sens du vent et des marées. Une telle disposition met efficacement à l'abri du souci de la forme, comme du fond. L'important dans l'opignon, c'est la pelure. P.S : Que nous dit encore Lacan ? « Ce que Socrate sait, et que l'analyste doit au moins entrevoir, c'est qu'au niveau du a (l'objet), la question est tout autre que celle de l'accès à aucun idéal ». Nous n'aurions donc pas à pleurer la perte des « valeurs ».Et si le nécessaire pour assourdir un peu le ronron du moteur, c'était la gamine avec son bavardage ?