Texte présenté au groupe de travail sur les troubles d’apprentissage
« Nous ne voyons jamais au-delà de nos certitudes et, plus grave encore, nous avons renoncé à la rencontre, nous ne faisons que nous rencontrer nous-même sans nous reconnaître dans ces miroirs permanents. » Cette citation est issue de L'élégance du hérisson et quand j'ai lu la quatrième de couverture de ce livre, je me suis tout de suite demandé : comment l'auteur va-t-il faire se rencontrer ces deux-là ? Ces deux-là, ce sont Renée et Paloma.
Texte présenté au groupe de travail sur les troubles d’apprentissage
« Nous ne voyons jamais au-delà de nos certitudes et, plus grave encore, nous avons renoncé à la rencontre, nous ne faisons que nous rencontrer nous-même sans nous reconnaître dans ces miroirs permanents. » Cette citation est issue de L'élégance du hérisson et quand j'ai lu la quatrième de couverture de ce livre, je me suis tout de suite demandé : comment l'auteur va-t-il faire se rencontrer ces deux-là ? Ces deux-là, ce sont Renée et Paloma.
Renée a cinquante-quatre ans et a passé la moitié de sa vie en tant que concierge du 7 rue de Grenelle, dans un immeuble bourgeois. Elle est décrite comme laide, petite, grassouillette, liste non exhaustive. Il y a aussi de sa part l'effort constant de coller à l'image de la concierge telle que pourrait se la représenter tous les bourgeois de l'immeuble, alors que nous sommes en présence d'une autodidacte très cultivée et amoureuse de l'art. L'art est écrit partout, il me semble, dans le livre avec un A majuscule. L'art, et la beauté sont les deux grandes affaires de Renée. Elle a donc la particularité de chercher à se fondre dans le stéréotype de la concierge tout en dissimulant à tout le monde sa grande culture, son amour de la beauté et de la langue.
Paloma habite dans ce même immeuble, son père est député, ancien ministre. Elle a douze ans, se décrit comme exceptionnellement intelligente, elle est la première de sa classe. Elle ne supporte plus la vacuité et l'ineptie de l'existence adulte, et elle a donc décidé de mettre fin à ses jours le jour de ses treize ans. En gros, tout les oppose donc.
Je ne vais pas vous présenter le livre à proprement parler, mais juste vous présenter quelques points importants comme cette bascule qui se produit dans la vie des deux héroïnes avec la venue d'un nouvel habitant, M. Kakuro Ozu. Il y a aussi une personne très importante dans la vie de Renée qui est Manuela, le stéréotype, encore, de la bonne portugaise, mais qui n'est pas celle qu'on croit. Je cite page 28 :
De même que je suis à mon archétype une trahison permanente, Manuela est à celui de la femme de ménage portugaise une félonne qui s'ignore.
Je continue quelques lignes plus bas :
[Manuela]…est une aristocrate, une vraie, une grande, de la sorte qui ne souffre aucune contestation parce que, apposée sur le cœur même, elle se rit des étiquettes et des particules. Qu'est-ce qu'une aristocrate ? C'est une femme que la vulgarité n'atteint pas bien qu'elle en soit cernée. »
Deux remarques après cette citation : la vulgarité se trouve chez les bourgeois, et ce n'est pas une aristocrate par filiation. Mais c'est quelqu'un de très important pour Renée car voilà ce qu'elle dit à la fin du livre, à un moment clé dont je ne parlerai pas pour ceux ou celles qui ne l'auraient pas encore lu, nous sommes P. 347 :
« Toutes ces heures de thé, ces longues plages de raffinement, cette grande dame nue, sans parures ni palais, sans lesquelles, Manuela, je n'aurais été qu'une concierge, tandis que par contagion, parce que l'aristocratie du cœur est une affection contagieuse, tu as fait de moi une femme capable d'amitié… »
Voilà deux choses que je voudrais reprendre à travers ce roman, cette question de la trahison ou de la clandestinité, et de cette difficulté à aller vers les autres ou à les prendre en compte.
Durant son enfance Renée ne désirait qu'une chose : qu'on la laisse en paix, qu'on n'exige rien d'elle. C'était une enfant apathique et quasiment infirme, l'absence de goût confinait au néant, elle ignorait même jusqu'au désir d'en finir.
Je vais citer un extrait de la page 41, il est un peu long, mais il me semble fondamental :
Chez nous, on ne causait guère. Les enfants hurlaient et les adultes vaquaient à leurs tâches comme ils l'auraient fait dans la solitude. Nous mangions à notre faim, quoique frugalement, nous n'étions pas maltraités et nos vêtements de pauvres étaient propres et solidement rafistolés de telle sorte que si nous pouvions en avoir honte, nous ne souffrions pas du froid. Mais nous ne parlions pas.
La révélation eut lieu lorsque à cinq ans, me rendant à l'école pour la première fois, j'eus la surprise et l'effroi d'entendre une voix qui s'adressait à moi et disait mon prénom.
— Renée ? interrogeait la voix tandis que je sentais une main amie qui se posait sur la mienne.
C'était dans le couloir où, pour le premier jour d'école et parce qu'il pleuvait, on avait entassé les enfants.
— Renée ? modulait toujours la voix qui venait d'en haut et la main amicale ne cessait d'exercer sur mon bras — incompréhensible langage — de légères et tendres pressions.
Je levai la tête, en un mouvement insolite qui me donna presque le vertige, et croisai un regard.
Renée. Il s'agissait de moi. Pour la première fois, quelqu'un s'adressait à moi en disant mon prénom. Là où mes parents usaient du geste ou du grondement, une femme, dont je considérais à présent les yeux clairs et la bouche souriante, se frayait un chemin vers mon cœur et, prononçant mon nom, entrait avec moi dans une proximité dont je n'avais pas idée jusqu'alors. Je regardais autour de moi un monde qui, subitement, s'était paré de couleurs. En un éclair douloureux, je perçus la pluie qui tombait au-dehors, les fenêtres lavées d'eau, l'odeur des vêtements mouillés, l'étroitesse du couloir, mince boyau où vibrait l'assemblée des enfants, la patine des portemanteaux aux boutons de cuivre où s'entassaient des pèlerines de mauvais drap — et la hauteur des plafonds, à la mesure du ciel pour un regard d'enfant.
Alors, mes mornes yeux rivés aux siens, je m'agrippai à la femme qui venait de me faire naître.
— Renée, reprit la voix, veux-tu enlever ton suroît ?
Quelques lignes plus loin :
— Voilà de biens jolis yeux, me dit encore l'institutrice et j'eus l'intuition qu'elle ne mentait pas, que mes yeux à cet instant brillaient de toute beauté et, reflétant le miracle de ma naissance, scintillaient de mille feux.
Je me mis à trembler et cherchai dans les siens la complicité qu'engendre toute joie partagée.
Dans son regard doux et bienveillant, je ne lus que de la compassion.
A l'heure où je naissais enfin, on me prenait seulement en pitié.
J'arrête ici la citation. Qu'est-ce qui se déroule au cours de ces quelques lignes ? Une personne qui est nommée tout d'abord la voix, puis l'institutrice, et plus loin dans le texte Mademoiselle, mais dont on ne saura jamais le nom fait advenir quelque chose qui est nommée une seconde naissance mais qui achoppe à cause de la compassion lue dans le regard de cette institutrice. Il est précisé quelques lignes plus loin qu'il s'agit d'une lecture après coup, que sa condition de pauvresse ne pouvait lui permettre de revendiquer cette place d'élève intéressée par le langage et qui s'y exercerait avec les autres. Plus loin dans le roman, il est dit que l'école avait fait de Renée une âme que la vacuité de son destin ne conduisait qu'au renoncement et à la claustration, que puisqu'elle l'avait fait naître, elle se conformait aux intentions de ses éducateurs en devenant docilement un être civilisé.
Il me semble qu'avec Jean Bergès on peut lire cette scène autrement. Il nous dit P.11 du livre Jeu des place de la mère et de l'enfant :
Si l'enfant prend le relais de sa mère et devient à son tour transitiviste, la clinique montre que d'autres personnes ont aussi à prendre ce relais : enseignants et maîtres notamment, qui eux-mêmes vont exiger de l'enfant qu'il s'identifie aux discours savants qu'ils lui tiennent, parce qu'ils font l'hypothèse que ce qu'ils lui transmettent s'articule à un savoir qu'il possède déjà. En clinique, les échecs des apprentissages ne peuvent pas être correctement abordés si l'on ne tient pas compte des déviations du transitivisme.
Qu'est-ce qui n'aurait pas marché dans ce moment entre l'institutrice et Renée ? Est-ce que l'institutrice n'a pas su exiger l'identification de Renée ou est-ce qu'il y aurait un refus de la part de Renée à s'identifier au discours de son institutrice ?
Il y a une explication à la position de Renée dans le roman, qu'elle livre à Paloma un jour où celle-ci prend fermement position face à un refus de Renée à une invitation à un repas par M. Ozu. Elle est en lien avec le destin funeste de sa sœur Lisette. Lisette a hérité de ce prénom qui était celui d'une aînée mort-née, ainsi que d'une tante défunte, Renée ne portant pour sa part que celui de sa grand-mère morte peu avant sa naissance. Paloma et René pensent à la fin du roman qu'on peut changer de destin, mais qu'en est-il des enfants d'aujourd'hui dont le nom ne fait plus référence à quelqu'un de la famille ? Paloma a une sœur qui s'appelle Colombe et avec laquelle, c'est très difficile. La première fois où Paloma fait venir son amie Marguerite à la maison — Paloma est admirative de l'esprit d'à-propos de son amie — Colombe lui dit : « Marguerite, c'est joli, ça, mais c'est un prénom de grand-mère ». Elle a obtenu la réponse suivante : « Au moins, c'est pas un nom d'oiseau » qui lui a cloué le bec si je puis dire. Au-delà de la plaisanterie facile, Jean-Paul Hiltenbrand relevait lors de la présentation de son livre par Jean-Pierre Lebrun que nous pouvons déceler une chute de la mémoire chez ces enfants qui présentent une absence d'inscription dans une histoire.
Je ne peux que vous encourager à lire un autre livre au nom proche de celui-ci, qui est L'élégance des veuves d'Alice Ferney. Vous verrez que Renée, bien que veuve elle-même, n'occupe pas du tout la même place que ces femmes dont la devise était ‘‘Dieu ne nous a pas créées pour être inutiles''. Du coup, ça ne situe pas forcément les choses du côté de la beauté ou de l'Art.
Deux choses dans ce livre encore avant de poursuivre, la première renvoie à un passage d'Anna Karénine auquel fait référence Renée et qui décrit Lévine allant faucher avec ses paysans. La tâche lui semble d'abord trop rude, il est prêt à crier grâce quand survient la pause. Et puis au bout d'un moment, ses gestes qui étaient gauches et douloureux deviennent de plus en plus fluides. Il retrouve la perfection des actes mécaniques, sans réflexion ni calcul, la faux semble se mouvoir d'elle-même. Il est alors dans le plaisir de faire. J'ai eu l'occasion de travailler cet été avec deux jeunes d'une vingtaine d'années, et tout en faisant un travail proche de celui du fauchage, il me semble qu'il leur était impossible que s'installent pour eux ces actes mécaniques, sans réflexion, ni calcul, d'être dans le plaisir de faire. Il fallait faire vite et que les travaux soient épuisants.
La seconde chose consiste en deux remarques de Paloma dans le fait qu'un collège de Paris dans les quartiers chics n'a franchement rien à envier aux quartiers nord de Marseille, et que sa sœur et son copain qui sont tous les deux à Normale sup parlent comme dans les cités. On peut y ajouter la référence à l'émission de France Inter où un sociologue décrivait qu'autrefois un agrégé de lettres classiques écoutait Bach, lisait Mauriac et voyait des films d'art et essai, aujourd'hui il peut tout aussi bien écouter Bach et MC Solaar ou Eminem, lire Flaubert et Mankel ou John Le Carré, etc… Vous pourrez lire encore le numéro 3 du Bulletin de L'ALI pour l'article de Daniel Feltin Faute d'orthographe et celui de Christiane Lacôte Une anticipation nécessaire où elle cite D. Pasquier dans son livre Cultures lycéennes ou son interview dans Débat où il dit notamment : « Chez les lycéens, la culture dominante n'est pas la culture de la classe dominante, mais la culture populaire ». Et aussi « Aujourd'hui, les hiérarchies culturelles s'élaborent beaucoup plus au sein des groupes de pairs que par transmission verticale, des parents aux enfants. »
Cette question de la transmission verticale, ou dirais-je de la filiation que j'ai déjà un peu évoquée, je vais la reprendre avec un article du numéro 10 de La clinique lacanienne dont l'intitulé est Les nouveaux rapports à l'enfant. Il s'agit de l'article de L'enfant dieu selon Savitzkaya de Laurent et Christian Demoulin, ce qui fait qu'après un roman à deux voix, nous sommes avec un article écrit à quatre mains, à savoir un père psychanalyste et son fils qui se présente comme un littéraire.
Savitzkaya est né en 1950 et publie chez Minuit des poèmes depuis 72 et des romans depuis 77. De cet article, je ne reprendrai que l'étude du regard de cet auteur sur ses enfants à travers deux de ses œuvres.
Dans Marin mon cœur, Savitzkaya nous donne le point de vue de l'adulte en tant qu'il cherche à reproduire celui de l'enfant. Il est intéressé parce qui se passe dans l'esprit de son fils. Nous avons donc le père qui est appelé « le géant » et par opposition l'enfant est appelé « le nain ». Le père est celui qui accompagne l'enfant, qui cherche à le comprendre. Il apparaît comme détenteur d'un pouvoir mais sans aucune mesure avec « le nain » dont le pouvoir est illimité. Les pleins pouvoirs sont en fait accordés au fils par le père, ce sont bien entendu des pouvoirs imaginaires, en lien avec la force et liberté créatrice de l'enfant. Le père est fasciné par l'imagination du fils.
Nous ne sommes en dehors de la question de la filiation, en dehors de toute idée de temporalité et de succession des générations. Il n'y a pas de projet éducatif qui assigne à l'enfant une place dans quelque ordre que ce soit. Nous avons affaire à un enfant dieu plutôt qu'à un enfant roi qui se situe du côté de l'imaginaire narcissique. Les dieux sont réels. Ils sont au-delà de l'imaginaire dans le registre de la pure présence. Il y a le nain et le géant, mythe qui forclot l'idée de filiation. Nous sommes en présence d'un réel sans enrobage symbolique, ni imaginaire.
Je vous en donne un exemple (p. 37-38) :
« Tout dépend du bon vouloir du géant, mais le pouvoir du nain est proprement illimité. Ce jour, tôt le matin, le nain a réveillé le géant en poussant des cris aigus et en chantant des chants monocordes. […] Le géant a nourri le nain à la petite cuillère, jusqu'à la bouchée recrachée, car un nain ne mange que ce qu'il veut et il lui est permis de retirer de sa bouche les morceaux non désirés. Le géant doit se plier à l'appétit du nain. Ensuite, le nain, comme à son habitude, a voulu tester l'obéissance du géant et il a précipité sur le sol, du haut de la chaise au losange, des cuillères, des morceaux de pain, des montres en or, des perles, des statues de bouddha et les œufs en bois de la tortue des planches. Le géant a tout ramassé ».
Nous n'avons rien que des faits sans aucune intentionnalité, décrits avec beaucoup de minutie et d'amour. Marin, mon cœur est un regard sur l'enfant au-delà de l'imaginaire narcissique et du registre symbolique. Même s'il est dépendant du géant, le nain est libre. C'est un rapport à l'enfant hors discours, hors des discours institués, ou plutôt une tentative de réinventer un discours mythique où il n'y a ni père, ni fils mais des géants et des nains dans un temps suspendu.
Avec Exquise Louise, nous avons encore un père fasciné par son enfant avec toutefois une difficulté en ce qui concerne l'identification, car elle est dans « le camp des filles ». La mère joue cette fois un plus grand rôle et une filiation existe du côté de la grand-mère paternelle. Le père, appelé « le Tyran domestique » est détenteur d'une autorité mais celle-ci est contestée.
Ces deux romans de Savitzkaya nous montrent donc un rapport neuf du père aux enfants fait d'admiration, de complicité, de conflit. C'est le père qui accepte un rôle, ce dernier n'est pas hérité par tradition.
Dans ma troisième et dernière partie, je vais reprendre ce que qu'apporte Jean-Pierre Lebrun dans son dernier livre La Perversion ordinaire dont le sous-titre est vivre ensemble sans autrui. Je ne vais évidemment pas vous présenter tout son livre, mais me cantonner à ce qu'il développe sous l'appellation de forclusion de la rencontre.
Comme nous le montraient les trois romans précédents, les sujets modernes, ou néo-sujets comme il les appelle Jean-Pierre Lebrun, sont confrontés à un père délégitimé dans sa position d'exception — la mère est concernée aussi même si c'est dans une moindre mesure — et il est attendu des enfants très tôt une autonomie qui peut les amener à ne plus compter que sur eux-mêmes. La conjonction de ces éléments produit une situation d'évitement de la rencontre avec l'altérité de l'autre.
Que suppose une véritable rencontre avec l'autre ? Elle implique qu'on laisse sa place à la soustraction de jouissance, à la perte, qu'il s'agit toujours d'un « non-rapport ». Il faut dans un premier temps que le sujet accepte de se laisser « déréguler » par son entrée dans le langage au profit d'une régulation nouvelle qui est celle de la coordination de sa jouissance avec le signifiant. C'est donc cette difficulté de la rencontre avec un père réel en tant que celui-ci va accepter d'être considéré comme le responsable de cette soustraction de jouissance, et permettre ainsi au sujet de faire l'épreuve progressive des contraintes de la condition d'être parlant, d'éprouver que de l'impossible peut exister, et ainsi de consentir au bonheur limité, donc banal.
Avec Renée, et l'Art, nous ne sommes pas en présence d'un bonheur limité, mais plutôt du sentiment de l'adéquation. L'Art lui apporte en plus le cachet de l'éternité et procure « la plénitude d'un moment suspendu arraché au temps de la convoitise humaine ».
Nous avons affaire aujourd'hui à des pères inopérants, désavoués, comme sans voix qui peuvent rester sans se mouiller, sans s'engager dans leur rapport avec leur enfant. Mais pour qu'il y ait forclusion de la rencontre, il y faut sans doute la conjonction de deux positions ou d'un double mouvement simultané, à savoir celui d'un père réel qui ne soutient pas la rencontre et celui d'un sujet qui « en profite » pour la récuser, pour refuser toute pertinence à son éventuelle intervention. Dans ce cas, on voit que plus le sujet sort vainqueur si l'on peut dire de cette non-rencontre, plus il en sort vaincu en ce qui concerne sa capacité à désirer.
Ce que décrit Jean-Pierre Lebrun rappelle la non-rencontre de Renée avec son institutrice. Il en donne lui un autre exemple qui est le film Elephant de Gus Van Stan primé à Cannes en 2003 et qui fait référence à la tuerie de Colombine aux Etats-Unis. Le film montre bien comment les élèves déambulent dans le collège sans aucune confrontation entre eux. L'absence de rencontre avec l'autre, son évitement répété, ne peut que laisser intacte la toute puissance infantile du sujet. Le sujet ne peut qu'aboutir tôt ou tard à faire une véritable rencontre et son caractère incontournable devient la cause du trauma, ce qui peut sans certains cas déclencher la violence comme à Colombine.
Dans L'élégance du hérisson, Paloma est aussi traumatisée par la mort de Renée, mais de l'avoir rencontrée auparavant lui permet de relativiser ses souffrances d'ado sans problème, éprouver le manque et la douleur qui l'accompagne, et d'abandonner ses projets de suicide.
Cette forclusion de la rencontre détermine un pseudo-lien social tel qu'il est décrit avec Renée et son stéréotype de concierge ou avec ces jeunes du collège de Colombine. Il s'agit de sujet laissé en plan par les carences symboliques de notre social actuel. Les jeunes que l'on reçoit aujourd'hui semblent pour certains ne pas prendre part à ce qui leur arrivent ou n'être pas impliqué par leur destin, comme s'il ne pouvait plus avoir aucune prise sur celui-ci.
Jean-Pierre Lebrun décrit une triple opération pour pouvoir inverser le processus qui maintient ces néo-sujets à la porte de leur désir.
En premier enrayer la fuite « métonymique » du sujet en lui signifiant un arrêt, physiquement s'il le faut, car le seul symbolique ne suffit plus.
En second, l'investissement d'un autre devra contraindre le sujet à faire de la place au manque, à renoncer à la toute-puissance.
En dernier, celui qui fera office d'autre réel devra accompagner le sujet pour l'amener à assurer lui-même la tâche de renouer avec une économie désirante.
Pour illustrer ce travail, il fait référence à un documentaire de Marie Frapin Les enfants du Big Band sur le travail d'une enseignante, Frédérique Landoeuer, et de l'équipe éducative de la classe relais d'un collège de Montpellier. Cette enseignante parle du fait que les situations d'apprentissage réactivent chez les élèves des angoisses profondes, et que la frustration que nécessite l'acte d'apprendre leur est insoutenable. Mais elle résume sa démarche ainsi : elle n'a cessé de les faire réfléchir sur le fait qu'ils n'étaient pas responsables entièrement de toutes leurs difficultés, mais qu'ils avaient toujours le choix entre devenir responsables de leur progression, ou bien continuer à perturber, à refuser d'apprendre. Autrement dit d'accompagner les sujets en tentant partout où c'est possible de les aider à consentir aux contraintes de la subjectivation. Ce n'est donc pas un accompagnement silencieux ou neutre mais au contraire dans l'interlocution incessante et l'intervention bienveillante.
En ce qui concerne l'analyse, il propose la pratique du bavardage en face à face.