Groupe de travail : Psychanalyse dans le champ social. Jeudi 15 octobre 2009
La demande est une situation tout à fait familière de notre clinique analytique. Il y a bien entendu demande de soins, demande d'éclaircissements, demande afin de trouver son chemin dans l'existence, demande affective et puis aussi, l'absence de demande que nous constatons à certains moments des cures, ou restriction posée sur la demande. Tout cela nous concerne tout à fait au quotidien.
Pour le prendre depuis très loin, je dirai que, bien entendu, vous qui travaillez dans le social vous avez cette question sans doute présente à l'esprit sans cesse. Ceux qui sont amenés à entrer dans les institutions, la question se pose immédiatement de la nature effective de leur demande, sa nature et puis aussi son inscriptibilité possible dans le cadre de l'institution. Vous avez tous expérimenté sans doute qu'il est des demandes dans l'institution que l'on ne saurait satisfaire d'aucune manière alors que l'institution a été mise en place pour un type de demande particulier. Vous avez aussi pu remarquer que dans un certain nombre de cas cette demande est partiellement voire totalement absente, absente au moins dans sa manifestation, dans son expression auprès de ceux qui accueillent. Autrement dit, ce terme est au fond celui qui introduit le début de l'échange ou le début du non-échange et des problèmes suscités par cette absence de demande.
Cette question est tout à fait centrale parce que quelles que soient nos activités, celle d'analyste évidemment, mais également dans toutes relations humaines s'engage cette dimension de la demande. Pour ce soir, je présente très rapidement un canevas très superficiel de façon à nous donner toute ouverture de champ, indispensable, pour chacun d'entre vous.
La demande est une situation tout à fait familière de notre clinique analytique. Il y a bien entendu demande de soins, demande d'éclaircissements, demande afin de trouver son chemin dans l'existence, demande affective et puis aussi, l'absence de demande que nous constatons à certains moments des cures, ou restriction posée sur la demande. Tout cela nous concerne tout à fait au quotidien.
Pour le prendre depuis très loin, je dirai que, bien entendu, vous qui travaillez dans le social vous avez cette question sans doute présente à l'esprit sans cesse. Ceux qui sont amenés à entrer dans les institutions, la question se pose immédiatement de la nature effective de leur demande, sa nature et puis aussi son inscriptibilité possible dans le cadre de l'institution. Vous avez tous expérimenté sans doute qu'il est des demandes dans l'institution que l'on ne saurait satisfaire d'aucune manière alors que l'institution a été mise en place pour un type de demande particulier. Vous avez aussi pu remarquer que dans un certain nombre de cas cette demande est partiellement voire totalement absente, absente au moins dans sa manifestation, dans son expression auprès de ceux qui accueillent. Autrement dit, ce terme est au fond celui qui introduit le début de l'échange ou le début du non-échange et des problèmes suscités par cette absence de demande.
Il y a une question générale à propos de la structuration subjective. Ce point-là, je ne vais pas l'approfondir tout de suite, nous aurons sans doute, des occasions d'en reparler d'une manière plus précise. Pour vous éclaircir tout de suite la question, je citerai un apologue chinois : l'empire de Chine était troublé par diverses manifestations de révoltes, de mécontentements, etc., et l'empereur fait venir un sage auprès de lui et lui demande quel remède il y aurait à ces troubles ou quel remède on pourrait apporter à ces troubles. Et le sage, après quelques moments de réflexion, lui répond : d'abord trouver le mot juste.
Ce qui est tout à fait notre cas celui de trouver le mot juste, qui convient ou qui correspondrait à cette manifestation bruyante. D'ailleurs cet apologue chinois, on pourrait tout à fait le transposer dans notre actualité : effectivement quand il y a des manifestations de mécontentement, c'est toujours le problème de trouver le mot juste. Ce n'est pas la réponse juste, mais le mot juste qui conviendrait. Alors quel est ce mot qui serait juste devant de telles manifestations qu'elles soient bruyantes, silencieuses, explosives sur la place publique ou intimes.
Un point sur lequel il faut de suite trancher pour que cette notion de demande prenne sa place exacte dans notre propos c'est la distinction radicale, élémentaire, entre le besoin et ce qui est demandé. Cette demande ne correspond pas forcément au besoin précédemment énoncé. Cette distinction est absolument nécessaire parce que sinon on se fourvoie. Le besoin élémentaire ou le besoin concret ne correspond jamais à ce qui est impliqué dans la demande. Une demande n'est pas forcément, même si elle prend alibi d'un besoin, cette demande n'est pas strictement conditionnée par le besoin. Aussi bien, lorsqu'on répond au besoin, la demande ne s'éteint pas pour autant.
Voilà donc pour simplement mettre les choses en place, ces quelques remarques préalables. Nous avons toujours, en toutes circonstances, même dans le travail social, et cela, les assistantes sociales qui ont un peu d'oreille, un peu de finesse, l'entendent très souvent : une demande qui est supportée par un besoin apparent, parfois indispensable effectivement, lorsque ce besoin est satisfait, cette demande restera toujours une demande qui va se déplacer dans un autre champ. Il ne faut pas s'imaginer qu'en donnant suite favorable à un besoin que pour autant la demande va s'éteindre. Elle appartient à la structuration subjective de l'être humain.
La deuxième chose que nous avons à distinguer, et d'une façon tout à fait radicale, et ceci est tout à fait crucial dans le travail de l'analyse mais va aussi intéresser notre réflexion au cours de cette année, c'est l'opposition, pas seulement la distinction mais l'opposition qui existe entre la demande, celle que nous avons entendue, que nous avons reconnue, et le désir.
Nous pouvons dire avec Lacan qui l'a formulé de la manière suivante, une analyse consiste avec de la demande, à produire du désir. Autrement dit, il y a une possibilité de conversion et pas seulement de conversion superficielle mais de conversion existentielle d'un fonctionnement qui était primitivement instauré sur le registre de la demande et qui peut se transformer, se métamorphoser, se convertir en une fonction du désir. Là aussi, il me semble que c'est un trait tout à fait essentiel de la relation sociale en général. Comment est-ce que, dans le travail que, vous, vous avez au niveau social mais que nous avons aussi, nous, dans la cure, comment cette dimension de la demande peut-elle évoluer progressivement vers un désir ? Je vais le traduire de cette manière : comment une situation de dépendance - parce que c'est bien cela la nature de la demande - une situation de dépendance à un autre, d'accrochage parfois dramatisé à un autre, comment peut-on arriver à modifier la situation pour amener ce sujet jusqu'au désir ? Désir qui le rend, bien sûr, pas désaliéné de l'autre mais indépendant de sa relation à l'autre.
D'ailleurs, je vous fais observer que ce parcours de la demande au désir, c'est celui qui va occuper le destin de l'enfant. Dans un premier temps, dans son incapacité motrice et d'autonomie il va être entièrement sous le joug de la demande et progressivement, ce que l'on peut attendre de son passage à l'état adulte, est qu'il parvienne à s'inscrire dans une dimension de désir. Je vous fais aussi observer que notre organisation sociale et politique avec cette dimension de l'État Providence évidemment, ne favorise pas ce passage qui avait lieu spontanément dans les siècles précédents. Ce risque que nous avons avec l'État Providence de faire que nos adultes restent dans cette position d'enfant, donc dépendant d'un autre ou dépendant d'un système social, etc. Il y a des théoriciens du XIXe siècle qui ont contesté, par exemple, l'aide fournie aux pauvres parce que ces pauvres aidés restaient de plus en plus aliénés à la générosité des autres : ce qui faisait qu'ils n'avaient aucune chance d'émerger de leur situation de pauvreté.
Il nous faut savoir également et souligner, ce que vous devinez sans doute en y réfléchissant, c'est que toute demande est demande d'amour. Et c'est ce qui caractérise aussi l'enfant : toute demande, même et surtout quand elle est satisfaite ne vaut que parce qu'il s'agit d'une réponse d'amour. Ce n'est pas le propre des institutions de dispenser de l'amour à nos prochains, ni socialement parlant, ce n'est pas non plus un remède qui convient aux adultes. Mais il faut savoir que cette relation de la demande et de l'amour est extrêmement étroite. Et effectivement, elle caractérise aussi la relation de l'enfant à sa mère. C'est dans cette relation que le petit de l'homme fait l'apprentissage des jeux de l'amour et de la demande. Mais c'est en même temps quelque chose qui va persister à l'état adulte d'une manière moins dramatisée que pour l'enfant mais qui existe, transparaît dans les relations des adultes surtout dans le cadre de leur conjugalité. Cette conjugalité peut être parfaitement l'occasion d'une régression en arrière vers cette relation primitive connue chez l'enfant.
Le désir qui vient ou qui devrait prendre le relais de ce dispositif primitif de la demande, ce désir est quelque chose d'un peu plus complexe parce qu'il implique que le sujet, progressivement ayant atteint l'âge adulte, entre dans un dispositif de vectorisation de son existence dans des modes ou des façons d'assumer son propre destin. Mais là encore, cette définition ne vaudrait rien si l'on n'y ajoutait pas que dans tout désir il y a désir de reconnaissance.
Le cas le plus patent, le plus sympathique et le plus remarquable, c'est l'écrivain. Il a un désir d'écrire qui s'accompagne d'un désir de reconnaissance. Si au quatrième ouvrage qu'il a rédigé, il n'y a toujours personne qui achète son livre, il est sûr qu'il va devoir faire un deuil de reconnaissance considérable. Ce désir n'est pas seulement ce qui intéresse le sujet mais qui également va donc impliquer une reconnaissance par l'autre ; cela peut être par les petits autres, c'est-à-dire les proches, mais aussi les contemporains et tout le système d'électivité politique est attaché à ça. Il est certain que chaque homme politique dans ses discours ne fait pas seulement des promesses de bonheur à tous mais il explicite une forme de désir d'organisation sociale par exemple, pour lequel il demande à être reconnu lorsqu'il va se présenter devant son électorat. On ne va pas se présenter à une élection avec une demande, ce serait une aberration qui n'aurait pas beaucoup de résultat. Je ne vais pas me présenter à une élection avec une demande, une demande d'amour ni une demande qui soit une forme d'adoration ! On peut faire intervenir le charisme bien sûr, mais cela ne suffit pas pour une élection. Une élection est un désir exposé sous la forme d'un plan ou d'un projet politique et qui va faire appel à la reconnaissance par l'autre pour aboutir à cette élection. Ce modèle du politique est valable pour tout un chacun d'entre nous : le désir tel qu'il est reconnu est le seul désir qui vaille. Et si l'autre, que ce soit le petit autre ou le grand Autre symbolique, si ces deux autres-là ne le reconnaissent pas, il y a peu de chance pour que le sujet puisse maintenir son désir.
Cette sorte de conversion, qui est la conversion naturelle de chaque être humain, ce passage de la demande au désir qui est là tout à fait présent ou qui devrait être présent dans notre réflexion dans le travail que nous faisons avec les autres, pas seulement dans le champ social mais aussi dans le champ de la cure analytique ! Parce que je ne vois pas pourquoi on ferait une cure analytique si c'était pour rester éternellement lié à une demande. Il faut bien qu'un jour, au cours de la cure, quelqu'un prenne ce désir mis en œuvre pour que nous puissions conclure quelque chose de la cure. J'avais dit à l'un de mes maîtres, un jour où nous parlions entre nous, je lui disais que, quand une cure restait lotie dans des formes de demandes, qu'elle s'arrêtait à ce point et que le patient partait avec ses demandes souvent endeuillées parce qu'elles n'ont pas été satisfaites ou qu'elles ne se sont pas réalisées, pas transformées en désir, je lui disais que je considère que c'est une cure ratée parce qu'elle va toujours engendrer cette dépendance de type infantile, ce ne sera jamais quelqu'un d'adulte.
Enfin, un autre point que je voudrais mettre en avant, je vais l'écrire d'abord au tableau :
$<>D
Pour l'instant, cette algèbre laissons la dans son caractère énigmatique, cela appartient à l'algèbre lacanienne, mais je veux retenir ce soir qu'il y a effectivement une corrélation très étroite entre la demande - grand D - et la fonction de sujet. Et c'est même ainsi que dans la dynamique de l'enfant, c'est grâce à cette demande qu'il va passer du registre d'objet de la mère au registre de sujet. Cette bascule qu'il est obligé de faire et qui présente aussi des circonstances d'échec pour l'enfant c'est-à-dire qu'il ne va jamais advenir à cette situation de sujet, il va donc rester l'objet de l'autre - fait que nous rencontrons, pas de façon très rare, dans notre clinique - cette impossibilité à passer cette formulation. Ce n'est pas le seul désir qui va constituer l'individu à ce stade de sujet, c'est aussi la demande. Et c'est ici que nous observons dans notre clinique la difficulté à savoir que cette demande ne va pas pouvoir s'énoncer, c'est-à-dire qu'il ne peut pas ou ne va pas pouvoir assumer cette fonction de sujet. C'est ce que l'on rencontre dans la pathologie de l'enfant sous la forme très classique, très connue : l'enfant, au lieu de demander, va se mettre à geindre et alors, il conviendra de deviner pourquoi il s'est mis à geindre et quel est l'objet de son gémissement. Cette inhibition, voire ce barrage dans la demande, peut tout à fait se trouver chez l'adulte également : cette impossibilité de demander.
Pourquoi est-ce que cette relation du sujet à la demande peut être occupée par un barrage tel que cette demande ne soit pas énonçable ? Il y a un petit secret dans cette formule, c'est que la demande implique - cela, je vous l'expliquerai plus tard - cette demande implique une opération de castration c'est-à-dire la reconnaissance d'un manque. Et je dirai que, je n'ai pas fait de statistique là-dessus, mais c'est sans doute chez l'homme son point faible, il n'arrive pas à demander, beaucoup plus fréquemment que chez les femmes pour une raison que je ne vais pas expliciter mais enfin que vous devinez facilement. Par ailleurs - et c'est là aussi l'intérêt de cette formulation que je vous ai mise au tableau - cette relation du sujet à grand D, à la demande, c'est aussi la manière dont vont se mettre en place progressivement les pulsions. Toutes les pulsions opèrent d'abord dans cette relation à une demande : soit que ce soit la demande du sujet, soit que ce soit la demande de l'Autre.
Pour l'énoncer très rapidement, la demande du sujet c'est la pulsion orale, puisque pour vous demander quelque chose, il faut que je prenne la parole ; et si je n'arrive pas à vous le demander parce que je suis en délicatesse avec ma castration, je ne pourrai pas l'énoncer non plus : il n'y aura pas de parole. Ce sera une pulsion exacerbée peut-être mais probablement muette ! La demande de l'Autre, ma foi, est une chose assez connue, assez reconnue, elle implique que vous déposiez un petit objet au fond de votre pot : cela a toujours été la demande de l'Autre. Être dépendant de cette demande, implique aussi que cet objet déposé au fond du pot atteste par sa présence d'une preuve d'amour. Vous voyez que c'est quand même un peu paradoxal : d'emmerder les autres et que ce soit une preuve d'amour ! Je passe là-dessus, je vous laisse broder sur la question, vous verrez c'est tout à fait amusant. Il y a encore d'autres objets, d'autres pulsions qui, elles, sont dans la même dialectique, à savoir la relation du sujet à d'autres objets mais qui se font sur le registre du désir : c'est le regard et la voix. Je ne vais vous compliquer les choses sachez que l'essentiel - les deux premiers objets ont été découverts par Freud, les deux autres ont été mis en place par le travail de Lacan - sachez que les deux pulsions que Freud a repérées sont deux pulsions qui concernent notre sociabilité également, puisque dans chaque cas, il y a cette demande d'amour. Il est bien évident que lorsqu'un enfant vient se présenter à nous et qu'il a des troubles de la défécation, il faut s'interroger sur les types de demande d'amour qui circulent autour de lui et donc d'examiner aussi la relation des parents à cet enfant.
Je terminerai là-dessus, sur ce fameux secret qui inhibe le dispositif de la demande : c'est une opération qui crée une béance dans le discours, en ceci qu'une demande quelle qu'elle soit ne correspond jamais à l'objet désigné. Il y a donc une coupure entre ce que je peux demander à quelqu'un et ce qui est impliqué au-delà. Le travail que nous avons à faire dans nos relations sociales n'est pas justement de répondre à la demande concrète mais d'entendre l'au-delà de cette demande qui s'inscrit dans cette dimension de l'amour. Il y a une coupure naturelle dès que nous ouvrons la bouche et que nous demandons quelque chose, cela ne correspond pas à ce que j'en attends. Cette coupure qui existe entre ces deux termes équivaut à ce que Freud a appelé la castration et qui pour nous, élèves de Lacan, est une coupure. Pour cette raison la castration paraît mythique quand on lit l'œuvre de Freud, castration sur laquelle il n'a pas lâché - il a eu bien raison - simplement il lui donnait son interprétation sexuelle ; pour nous, la castration c'est cela : cette coupure qui est introduite foncièrement dans la demande et qui fait qu'il va y avoir une disjonction - je vais le dire comme cela, pour le banaliser - une disjonction entre l'intention adressée à l'Autre et ce qui est effectivement demandé à l'adresse de cet Autre. Cette disjonction, cette béance est un équivalent de la fonction de la castration à savoir que de toute façon, cela ne correspondra jamais, cela ne collera jamais. Il y a des névroses qui sont principalement organisées autour de cela, où le névrosé vous demande quelque chose et comme il n'a pas tout de suite la réponse, il va donc renforcer sa demande et puis lorsqu'on va lui apporter enfin une réponse, il va vous répondre que c'est trop tard, qu'il n'en a plus envie. Dans sa pathologie névrotique, il est lui-même l'agent de cette coupure qu'il attribue à l'Autre et cette opération de castration va donc pousser à inhiber cette relation du sujet à la demande.
Qu'est-ce qui dans notre modernité - comme on a toujours plaisir à le dire, je ne sais pas si nous sommes tellement modernes, mais enfin, laissons cela de côté pour ce soir - qu'est-ce qui dans notre modernité s'est modifié, on va dire socialement, au regard de ce que je vous ai décrit et qui appartient à l'expérience commune des analystes, encore aujourd'hui ? Il y a beaucoup de points là-dedans qui sont des expériences étroitement liées à l'inconscient. Et effectivement, on voit aussi qu'il y a un certain nombre de changements qui sont tout à fait remarquables et qui font que les demandes ne sont plus... comment vais-je dire... des demandes humbles, qui ne sont pas des demandes sur le mode de la supplique, mais qui sont des demandes qui sont assorties d'un certain nombre d'exigences, de ce que nous appelons dans un langage un peu abstrait « la montée des droits individuels » : « ça fait deux mois que je vous consulte, j'ai le droit de savoir : qu'est-ce que j'ai ? » Classique !
On entend bien que là nous sortons totalement de la scène de notre travail habituel. Il y a aussi une profonde modification en raison justement de la montée de ces droits individuels et qui fait que nos relations sociales ne sont plus commandées dans le champ de la demande et du désir mais par une sorte d'exigence qui n'est pas toujours très marquée mais enfin qui est inscrite dans l'inconscient collectif comme un droit : droit de vivre comme les autres, droit d'accéder au bonheur comme les autres, etc. Sans doute, les images que nous voyons à la télévision ne sont pas là pour décourager ce droit puisque s'il y en a qui peuvent étaler leur bonheur dans les images que nous voyons, je ne vois pas pourquoi, moi, je ne pourrai pas profiter aussi d'un peu, d'un petit coin de bonheur dans mon existence. Il y a donc forcément une mise en œuvre de cette fonction. Et puis, il y a la bonne volonté manifestée collectivement par ce que nous appelons l'État Providence - il ne faut pas simplement dénoncer cet État Providence, il faut aussi voir que ce sont nos pères qui ont construit cela dans un but d'aider ceux qui étaient dans des difficultés. Et quand vous voyez le débat aujourd'hui aux États-Unis, quand Obama veut introduire une assurance pour les 46 millions d'Américains qui n'ont rien pour se soigner, ce qui est quand même le quart de la population aux Etats-Unis, c'est donc un problème considérable. Il ne faut pas voir seulement que la face négative de cet État Providence. Cet État qui a été soucieux de notre possibilité de se soigner mais auquel est venu s'ajouter quelque chose qui est une nouvelle dimension et qui introduit, ou plus exactement qui réalise une sorte d'aberration : à savoir qu'on a changé les termes, on a changé le signifiant de la finalité de cette opération. Autrement dit, la Sécurité Sociale c'était pour soigner ceux qui étaient malades et aujourd'hui, nous sommes dans la nécessité d'apporter le bien-être, d'apporter le confort. Dans la campagne que vous avez entendue, dans le battage médiatique sur la grippe A - dont nous allons tous crever, semble-t-il - l'État est soucieux de notre santé, de notre vie. Il doit se manifester comme soucieux de notre santé, de notre vie, et de notre bien-être, et de notre confort. Il ne doit pas nous laisser, avec la pandémie, nous plonger dans le malheur. C'est une grosse responsabilité qu'ont les hommes politiques des gouvernements des démocraties occidentales : il faut qu'ils nous protègent contre le H1N1, voyez où ça va.
Donc ce changement progressif des soins pour tous au bien-être pour tous, au confort pour tous, vous pensez bien que cela va avoir des incidences sur la demande, bien évidemment ! Cette demande ne peut plus être l'humble demande de l'enfant mais va devenir la demande du citoyen adulte exigeant de participer au gâteau du bien-être général. Il y a toute une série de petites réformettes, de lois, de petites choses qui sont votées régulièrement par l'Assemblée nationale et par exemple, cette œuvre que je recommande toujours à la lecture du plus grand nombre, que les Français ignorent, je ne sais pas pourquoi ils veulent l'ignorer, c'est La théorie de la justice en tant qu'équité de John Rawls, 1981, et nos compatriotes l'ignorent toujours ce projet. C'est-à-dire que va s'ajouter au bien, au confort, la notion d'équité. Pas de justice, il le dit bien ! Le titre du livre : Théorie de la justice en tant qu'équité. Ce qui change considérablement ! Le principe de la justice c'est de conserver le statu quo des équilibres. Là, il s'agit d'une justice qui va répartir l'équité pour tous. Il faut le lire, ce livre ! La plupart des réformes qui sont faites dans les démocraties modernes sont inspirées de ce livre. On ne vous le dira jamais que c'est la loi de John Rawls. Non, c'est monsieur machin du PS ou de l'UMP qui propose une petite loi, comme ça... C'est un mouvement général dans nos démocraties. Et vous voyez comment de la demande humble du démuni, on en arrive à une demande qui est instaurée par les droits de chacun, c'est-à-dire : équité, bien-être et reconnaissance.
Ce sont les trois grands termes moteurs de nos sociétés. C'est par rapport à cela que vont se dérouler les demandes aujourd'hui. Ce n'est plus seulement cette demande que je vous décrivais dans la subjectivité primitive. Il y a là une évolution, il faut que nous l'observions, que nous en tenions compte jusque dans les demandes d'analyse. Les demandes d'analyse aujourd'hui en 2009 ne sont plus les demandes d'analyse de 1975 et a fortiori ne sont plus les demandes d'analyse de 1930. Il y a toute une évolution sociale dont nous subissons les conséquences. Mais je le répète, la structuration subjective reste toujours la même ! Simplement nous allons devoir aborder cette structuration subjective dans l'analyse avec d'autres termes. Nous allons devoir entendre certains termes de la terminologie analytique d'une autre manière, c'est central, c'est inévitable !
C'est le point de tout départ de l'existence d'Homme. Si ça se passe mal dans l'enfance ce sujet barré poinçon de grand D, $<>D (la demande), cela va avoir des conséquences considérables à l'âge adulte. Nous avons toutes les raisons de considérer là, que c'est en quelque sorte le cratère, le cratère passionnel ! Parce que la demande n'est pas un truc que : bon, on ne m'a pas répondu, je vais m'occuper d'autre chose ! Non, non ! S'il n'y a pas un écho adéquat à cette demande, vous pouvez provoquer un état de passion : la frustration. D'ailleurs, la passion elle-même circule là-dedans, la passion en tant que telle, entre homme et femme circule dans cette formule de $<>D. Quand vous entendez un homme qui vous dit : ma femme c'est tout pour moi ! Cela arrive encore ! Vous savez que vous êtes là non pas dans la dynamique du désir mais que vous avez devant vous quelqu'un qui est totalement investi dans sa demande et que par chance, il a trouvé une voisine qui a accepté d'entrer dans ce dispositif et qui va créer une modalité de passion. Cela peut être une passion froide que vous ne verrez pas mais elle sera un état tout à fait spécifique, spécial.
Voilà. Cela nous fait un beau programme !
Alors si vous voulez, je crois que c'est le vœu de Françoise aussi et puis de certains d'entre vous, de voir examiner un tout petit peu ce que nous rencontrons dans notre pratique et comment nous essayons, non pas de répondre puisque justement la réponse est malheureuse mais comment nous essayons de négocier cette affaire. Je pose la question très simplement, pas du tout à titre polémique : est-ce que quelqu'un qui vient dans une de nos institutions a des chances de sortir de ses besoins et de parvenir à les assumer correctement ? Les institutions ne sont pas là pour faire du gardiennage du malheur humain, de la misère humaine, le but d'une institution c'est sans doute - si je me trompe vous m'arrêtez - le but d'une institution, c'est de donner à quelqu'un les moyens d'assumer son existence, pas seulement sur le plan matériel mais aussi sur le plan humain. Il est certain qu'il y a un certain nombre de situations dramatiques qui ne vont pas forcément obéir à notre dispositif de conversion.
Je voulais aussi vous dire autre chose, une petite parenthèse, je n'en ai pas parlé, j'aurai dû en parler tout à fait au début : il faut toujours se méfier, enfin être réservé en disant : « celui-là, il n'a pas de demande, il a été envoyé par sa mère ou par untel, il ne fonctionne pas sur sa demande ». Si cet homme ou cette femme viennent jusqu'à la porte de l'institution, c'est que c'est quand même leur demande ! Sinon, ils auraient pris un chemin de traverse. On le voit bien avec les adolescents, quand les mères apeurées ou soucieuses amènent leurs adolescents, le type s'il estime qu'il n'a rien à faire avec la demande de sa mère, il prend la tangente et il a raison ! Je ne peux que l'approuver ! Donc si quelqu'un vient au nom d'une demande de quelqu'un d'autre et qu'il franchit le seuil de votre institution ou le seuil de votre bureau, c'est bien que cette demande qui a été primitivement formulée par quelqu'un est aussi la sienne ! Sinon, il ne viendrait pas ! Il y a peut-être un temps de travail pour voir un peu où est sa demande à lui ou à elle et de voir comment cela s'explicite pour lui ! Parce que je vous ai dit, une demande, il faut quand même en examiner la nature.
Qu'est-ce qu'elle contient cette demande et est-ce qu'elle est inscriptible dans l'institution telle que l'institution s'est donné un but ? Si un type vient chez vous, dans vos institutions et vous dit : je veux être Roi de Grèce, vous serez bien obligé de lui répondre qu'il s'est trompé de porte ! Il faut quand même d'abord veiller à trouver la forme de la demande parce qu'elle n'est pas toujours immédiatement dicible cette demande, et puis veiller à ce que cette demande, une fois qu'elle parvient à se dire, si elle correspond au projet de l'institution. Nous ne sommes pas, vous n'êtes pas des universels c'est-à-dire capables de traiter n'importe quoi et n'importe où ! C'est là aussi nos limites ! Une demande de thérapie par exemple, cela peut exiger de notre part à nous, analystes, cela peut exiger deux mois de travail avec la personne... Il faut examiner la chose et attendre, et chercher à permettre à quelqu'un de la formuler. Ce n'est pas une chose tout à fait évidente. Donc il y a des demandes qui ne sont pas immédiatement dicibles. Si quelqu'un vient, insiste pour entrer dans votre institution et qu'il a une demande pas claire ou qu'il a du mal à formuler, il faut se donner le temps de l'écouter, de le revoir jusqu'à ce que sa demande commence à être explicitée. Vous ne pouvez pas l'accueillir les yeux fermés et les oreilles fermées. Et puis, cela évite aussi pas mal d'ennuis par la suite si on s'est donné la peine de chercher un peu avec la personne où elle veut aller, qu'est-ce qu'elle attend. Plutôt que de dire : le dossier est foireux, ils nous l'ont expédié comme, ça... Non ! Il faut faire un travail, un travail préliminaire dans certains cas. Ce n'est pas toujours indispensable, mais dans certains cas, c'est tout à fait nécessaire, indispensable.
Voilà ! Donc vous savez tout sur la demande... Maintenant il vous reste à proposer des projets de réflexion.
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Marie Bossat : Alors, c'est peut-être un petit peu différent une demande qui a du mal à être formulée comme vous dites, où il faut peut-être un peu étayer pendant deux mois pour que quelque chose advienne et pas de demande du tout.
Jean-Paul Hiltenbrand : Cela ne peut pas exister le « pas de demande » ! Je veux dire, bien sûr si j'ai dit sujet avec demande et sujet sans demande, cela veut dire, provisoirement sans demande. Quelqu'un qui vient s'il ne demande qu'un lit, on va lui donner un lit et on va aller un peu plus loin quand même ! Ce sera un lit assorti de la part de l'institution de sa demande à elle, à l'institution. Quand c'est l'Autre qui demande, c'est un peu chiant comme je vous l'ai expliqué. Mais il ne faut pas avoir peur d'être chiant, c'est comme ça ! Je vous dis que c'est une façon de faire émerger la part véritablement subjective de quelqu'un. C'est une chance qu'on puisse par ce biais-là déjà le situer, le camper. Et vous savez par exemple que, l'anorexie mentale, voilà un cas qui est plutôt ennuyeux. Sa subjectivité repose sur une demande de rien, sur une demande du rien. Eh bien, imaginez que certaines institutions sont exactement moulées sur ce modèle, c'est-à-dire une demande de type anorexique.
Quelqu'un, l'année dernière, racontait qu'il a fallu laisser pendant un certain temps une personne tranquille pendant quelques semaines avant que quelque chose arrive. Ben oui, c'est très bien... jusqu'à ce qu'émerge quelque chose, une parole, une demande. N'oublions pas : c'est un trait pour poser le sujet, c'est aussi un trait qui va intéresser une relation d'amour ou d'affection, c'est fondamental ! C'est ce qui va déclencher éventuellement, une modalité de transfert entre le candidat à l'institution et son compagnon éducateur ou tout ce que vous voulez. C'est en acceptant de se plier à appréhender cette demande que va s'installer une véritable relation de confiance : « Je suis allé dans son bureau, il a fait semblant de m'écouter et puis il a dit, « bon ben c'est bien, on va se revoir ! » Cela ne les intéresse pas, les gens ! On l'entend tous les jours. Nos analysants qui consultent les médecins, lesquels médecins consultent l'écran de leur ordinateur. Ils n'y retournent pas, ils ont raison. L'ordinateur donne l'ordonnance en plus, vous vous rendez compte ! Il y a là un élément quasiment charnel, sensuel qui se met en place, il faut bien l'entendre, le sentir, ce n'est pas de la théorie abstraite. C'est notre proche humain qui est là avec sa chair malheureuse, avec tout ce que vous voulez. C'est la présence du corps, la demande. Il y a là quelque chose de tout à fait crucial. D'autant plus que plus il a des difficultés à s'exprimer, plus il est là présent avec son corps. Il n'y a rien de plus terrible comme corps qu'un corps dans le silence. Tous les analystes vous le diront. C'est le malaise garanti ! Un corps qui ne parle pas...
Voilà, on réfléchit et on se revoit dans un mois. Bien entendu, je ne vous ai donné que le squelette de la demande. C'est beaucoup plus compliqué que cela mais nous mettrons de la chair autour de ce propos un peu abstrait.