L'hôpital a évolué à travers les siècles et son orientation à chaque période est révélatrice des valeurs de son époque : d'un refuge pour les déshérités nous sommes passés à une entreprise de soins orientée vers la recherche et la performance.
Hier assisté, le malade est devenu un client, un assuré social et ce qui se trouve menacé, à trop vouloir reproduire une logique industrielle, c'est la dimension subjective.
Il faudrait que l'on fonctionne sur le même mode qu'une entreprise ; on nous impose des procédures sans cesse plus compliquées à mettre en œuvre qui demandent de perpétuels réajustements ; c'est une lutte constante à mener, - dans cette machinerie qui tend à effacer le sujet... tout en réclamant son bien-être - si l'on veut conserver un peu de jeu, de souplesse pour qu'une rencontre puisse advenir.
Martine Reydellet
J'occupe la fonction d'assistante sociale auprès des malades dans un centre hospitalier universitaire : mon travail consiste à prendre soins des gens, à les accompagner dans les difficultés qu'ils rencontrent du fait de la maladie.
L'hôpital a évolué à travers les siècles et son orientation à chaque période est révélatrice des valeurs de son époque : d'un refuge pour les déshérités nous sommes passés à une entreprise de soins orientée vers la recherche et la performance.
Hier assisté, le malade est devenu un client, un assuré social et ce qui se trouve menacé, à trop vouloir reproduire une logique industrielle, c'est la dimension subjective.
Il faudrait que l'on fonctionne sur le même mode qu'une entreprise ; on nous impose des procédures sans cesse plus compliquées à mettre en œuvre qui demandent de perpétuels réajustements ; c'est une lutte constante à mener, - dans cette machinerie qui tend à effacer le sujet... tout en réclamant son bien-être - si l'on veut conserver un peu de jeu, de souplesse pour qu'une rencontre puisse advenir.
Cela génère beaucoup d'insatisfaction et sur le terrain, un malaise est perceptible au point que certains jours les agents ne se sentent plus protégés, soutenus, par leur institution.
Les malades le ressentent plus ou moins, ainsi que les familles toujours inquiètes.
Chacun épie l'autre et l'atmosphère générale a parfois des relents paranoïaques.
Une sourde impression d'abandon se fait jour et la relation de confiance, pourtant essentielle dans les soins est souvent mise à mal.
Cependant, si l'on observe les choses de l'intérieur, on ne peut pas faire l'impasse sur le fait de prendre la mesure de la réelle complexité de l'organisation du système de soins ; il est, par exemple, tout simplement difficile de se représenter le nombre d'informations qui circulent en permanence : données médicales, biologiques, cytologiques, examens en cours et à venir, mutations, interventions d'équipes transversales... mouvements de vie et de mort en perpétuelle interaction.
Et pour ma part, je pense qu'il est indispensable, de rester à l'écoute de ce qui se passe, sans porter de jugement hâtif et de considérer les crises comme contingentes aussi de l'impact de la maladie, de la peur qu'elle fait planer pour le malade, pour les autres autour de lui, afin de se repérer un peu mieux dans un dédale de difficultés.
Dans mon travail, au quotidien, j'ai parfois des difficultés à trouver des relais auprès du personnel soignant et il est clair qu'il est quasiment impossible dans une si grosse maison de travailler seule.
Il faut arriver à éclairer un peu les choses sur la situation des malades auprès desquels on me sollicite pour intervenir.
C'est pourquoi, je voudrais préciser la position clinique à partir de laquelle j'essaie de mener un travail, malgré le contexte éprouvant.
L'action sociale en milieu hospitalier est à l'interface du soin et de l'administratif, à la frontière aussi du dedans et du dehors.
L'information arrive souvent déformée, d'autant plus qu'elle concerne surtout des données personnelles, des impressions, des questionnements à propos d'un malade ; elle constitue le cadre d'une inquiétude du personnel à son sujet et c'est à partir de là que j'essaie d'entendre ce qui se passe.
Ce qui oblige à rester vigilant et à toujours repartir de la demande du patient, même si elle peut sembler antagoniste parfois avec l'avis de la famille ou du service et même si elle n'est pas toujours formulée.
Dans le travail social, la demande compte encore, et il s'agit d'en suivre le fil.
Je m'efforce de restituer aux soignants quelques éléments des problématiques des patients afin de mettre dans la mesure du possible, un peu de liant dans des situations souvent difficiles, ce qui a un effet d'apaisement dans l'après coup.
Ce travail s'il reste au plus près de ses potentialités cliniques crée un espace où une parole peut circuler et cette parole peut tout de même, très souvent, être entendue et notamment par les médecins.
On peut dire qu'elle remet de la vie, là où il n'était plus question que de problèmes organiques, médicaux, avec cette mise à distance de la personne qui parfois conduit à l'instauration d'une forme de clivage.
Cependant, la demande explicite d'un individu, il est aussi essentiel de ne pas la confondre avec le désir du sujet et donc de ne pas penser, à notre tour que ce que l'on va donner ou refuser va régler la question.
Le problème est là avec parfois son caractère d'urgence, et puis aussi, il n'est pas là et le respect du sujet s'entend bien dans la parole qu'on lui adresse, et dans cet écart qui se creuse, si on ne s'adresse pas à lui comme à un organisme.
Toutes ces tensions sont le fruit de notre envie de bien faire, mais, sans doute sont-elles en partie liées à notre refus, tout aussi problématique, de prendre en compte notre condition humaine qui implique le fait que nous sommes mortels, et qu'il y a de l'impossible.