Je souhaite aborder quelques modes actuels de cette jouissance au-delà dont parle Lacan dans le séminaire Encore : « Des hommes qui sont aussi bien des femmes [...] éprouvent l'idée que quelque part, il pourrait y avoir une jouissance qui soit au-delà » à partir de ce que la clinique actuelle nous enseigne.
Le film de Bruno Dumont intitulé Hadewijch transporte l'histoire d'une mystique du XIIIe siècle, Hadewijch d'Anvers, à l'époque actuelle. Hadewijch d'Anvers, poétesse flamande de la première moitié du XIIIe siècle, faisait partie de ces communautés mi-religieuses, mi-laïques que l'on désigne habituellement du terme de béguinages et qui fleurissaient dès la fin du XIIe siècle dans le Nord de l'Europe. Ces communautés de femmes pieuses, souvent issues de la bourgeoisie mettaient au service des pauvres et des nécessiteux des maisons d'accueil. Il s'agissait d'une démarche spirituelle tournée vers le social.
Ces communautés, puisque indépendantes des ordres monastiques, échappaient à leur autorité et se retrouvèrent donc rapidement en conflit avec l'autorité ecclésiastique à laquelle elles refusaient obéissance. Les procès et les persécutions furent nombreux après que le concile de Vienne en 1311 les condamna comme hérétiques et les exhorta de se soumettre à la règle de l'ordre franciscain. L'organisation horizontale est propre à ces communautés, car ses membres refusaient l'autorité de la parole d'un seul au profit de l'engagement de chacun dans une pratique ascétique, engagement du corps, par l'abandon de soi. Jouissance Autre, jouissance mystique. Cette organisation horizontale est de nature matriarcale puisqu'il n'y a pas allégeance à la parole d'un seul, détenteur d'un savoir auquel tous doivent se référer, à la différence de l'organisation verticale de nature patriarcale, forme classique de l'obéissance à l'autorité de la figure d'un seul comme le pape dans la religion catholique.
Inspiré par ce personnage, le film de Dumont raconte le parcours d'une jeune femme d'aujourd'hui qui souhaite entrer en religion mais se voit refuser l'accès au couvent puisque la mère supérieure considère que ses pratiques ascétiques et de mortification ne sont que « la manifestation d'un amour de soi ». Redevenue Céline dans la vie commune, Hadewijch trouve un accueil et une reconnaissance auprès de jeunes maghrébins qui vont l'entraîner dans la mouvance islamiste militante. À l'issue d'un parcours d'initiation intégriste, elle déposera une bombe dans le métro parisien.
Ce personnage décrit par Dumont ressemble étonnamment à cette jeune femme d'une vingtaine d'année venue me parler de sa souffrance qu'elle nomme sa phobie sociale.
Après un long regard en silence, elle déroule le récit de sa souffrance. Sidérée par sa peur d'affronter le monde, elle reste cloîtrée chez elle, tétanisée à l'idée d'effectuer la moindre démarche sociale qui lui serait pourtant nécessaire. Si le monde extérieur ne lui est plus familier, l'univers de sa chambre est à peine plus sécurisant. Elle est incapable de se rendre à ses cours à l'université, retenue à la fois par sa peur des gens et par la certitude que ses études ne mèneront à rien. Pour atténuer cette angoisse de vivre, elle consomme de la buprénorphine, morphinique de substitution, prescrite par son médecin traitant car quelques années auparavant, elle a traversé une période difficile en s'aidant avec l'héroïne qu'elle consommait par voie nasale. Aujourd'hui, elle a remplacé l'héroïne des dealers qu'elle sait être frelaté par une molécule chimique stable issue du savoir-faire des laboratoires pharmaceutiques. Elle obtient, grâce à la manipulation de cet objet cerné dans un contour promu par la science, une satisfaction immédiate puisque cet objet est à tout instant à sa disposition pour gérer ses états émotionnels. Mais la buprénorphine n'est plus suffisamment puissante pour lui permettre de sortir de chez elle. Le seul lien qu'elle entretient avec autrui est avec sa colocataire, une ancienne amie de lycée. Cette présence bienveillante lui donne la force de se lever pour s'alimenter et parfois parler. Elle conserve un autre lien important sous la forme d'une communication téléphonique quasi quotidienne avec sa mère, mais ce lien trop fusionnel est vécu comme étouffant car tous les jours exigé.
À la seconde rencontre, (je ne la verrai qu'à deux reprises puisqu'elle n'a pas honoré son troisième rendez-vous), elle m'avoue, penaude, qu'elle avait déjà repris sa consommation d'héroïne dès avant notre première consultation mais elle n'avait pas osé en parler. L'héroïne consommée quotidiennement par voie nasale est responsable d'une ulcération de la muqueuse qui se manifeste par des saignements de nez spontanés. Elle tente de cicatriser cette brèche cutanée par des bains de sérum physiologique, vaine tentative assurément d'endiguer une brèche que par ailleurs elle creuse consciencieusement en entretenant la cause.
Agée seulement d'une vingtaine d'année, elle est persuadée qu'elle ne pourra jamais se séparer de l'héroïne car elle se sait incapable de sacrifier sa dépendance à cet objet qu'elle promeut au rang d'objet idéal, pharmakon, remède, drogue ou poison, sensé dans le régime actuel de la science, procurer quiétude, apaisement et sérénité intérieure. Aujourd'hui avec la buprénorphine, elle « positive » une existence désarrimée de toute référence à autrui. Cette certitude absolue d'une dépendance infinie est caractéristique du mode de jouissance construit autour du refus de la perte - celle qui fonde le pacte symbolique - d'un refus qui laisse l'individu seul, en plein désarroi devant l'objet de sa jouissance dont l'exigence ne lui laisse nul répit. Face à face sans visage, c'est-à-dire sans altérité, avec un objet tyrannique devenu indispensable à sa survie, objet anéantissant laissant cette jeune femme dans un dénuement de plus en plus tragique. Le refus de ce qui conditionne l'émergence du désir contraint cette jeune toxicomane à la recherche permanente d'un soulagement immédiat dont l'impériosité ne laisse pas aux mots le temps de leur émergence. Bien que prisonnière de la jouissance de l'objet toxique, elle est surtout aux prises avec une jouissance au-delà, au-delà de l'objet lorsque l'orgasme se dérobe malgré la répétition des prises et l'augmentation les doses. L'anéantissement seul pourrait la délivrer. Le saignement nasal en est la prémisse.
Au cours de ces deux entretiens, après avoir déroulé un récit minutieux des évènements de sa vie, décrit une souffrance sans blanc, une existence sans désir, elle attendait passivement l'apaisement rapide et efficace dont elle est toujours en quête et que le savoir psychiatrique devait lui offrir. Elle ne l'a pas obtenu et venir à une troisième consultation aurait consisté à accepter de se soumettre à l'ordre des mots, alors qu'elle est restée à une demande de soulagement, une demande du corps, sans parole.
L'année précédente et malgré le caractère invalidant de ses symptômes, elle est partie à l'étranger pendant six mois pour faire un stage de terrain dans un centre de réinsertion pour... toxicomanes. Durant cette période, elle a cessé toute consommation d'héroïne, trouvant son équilibre dans la mission qu'elle s'était donnée de s'occuper des autres, de ces autres avec un petit a, autres en errance sociale. Cet engagement humanitaire lui a offert un répit dans sa trajectoire de toxicomane, mais lorsqu'elle a voulu s'engager dans une démarche analogue en France, elle s'est retrouvée clouée au lit, incapable du moindre mouvement.
Jouir sans limites laisse le sujet face à la loi cruelle de ses exigences surmoïques dont il ne peut se soustraire que grâce à l'action de la drogue. L'engagement humanitaire paraît être une alternative, car elle inscrit le sujet dans un parcours orienté. Aujourd'hui, de plus en plus de jeunes filles en perte de repères trouvent dans l'engagement humanitaire un ancrage dans leur parcours d'errance. Consacrer son existence à soulager les souffrances des exclus, des démunis, des abandonnés à l'image de la mission que se donnaient les béguines du XI et XIIe siècle constitue un idéal qui permet de donner un sens à son existence.
À côté de l'aide humanitaire organisé par des associations caritatives, il existe une aide humanitaire officieuse regroupant des jeunes prêts à faire don de leur temps pour venir au secours de populations en situation de précarité. Une jeune infirmière de vingt ans, venue me consulter, était ainsi partie au Liberia en pleine guerre civile à la sortie de l'école d'infirmière. Elle a dû être rapatrié en urgence pour une déshydratation massive et un délabrement psychologique. Elle était partie là-bas pour se soustraire à l'emprise féroce de sa mère, m'a-t-elle dit et pour procurer de la joie aux autres. Les soins aux populations en difficulté ou le « care » anglo-saxon est devenue une préoccupation moderne de nombreux jeunes en difficulté d'épanouissement personnel.
Le mal-être de ces jeunes se révèle être une réponse à l'absence de l'Autre. Ils n'ont à faire qu'à l'autre du semblable. Cet autre visé par le commandement « aimer son prochain comme soi-même »[1]. Vertigineuse spirale que rien ne vient arrêter. Si l'idéal humanitaire des associations caritatives officielles est placé sous les auspices de l'honnêteté patriarcale dont parle Lacan à propos de l'idéal de Freud[2], l'engagement de ces jeunes femmes nous paraît être plutôt de la nature de la solidarité sociale, du lien horizontal entre frères que de l'allégeance à une autorité respectée dont on espère une reconnaissance. Le prochain est ce semblable dans lequel, sous l'apparence de l'étranger, l'individu reconnaît sa jouissance car « qu'est-ce qui m'est plus prochain que ce cœur en moi-même qui est celui de ma jouissance, dont je n'ose m'approcher ? »[3] Comment échapper à cette rencontre du semblable avec le semblable ? Seul le don par la perte à laquelle il est nécessaire de consentir rompt la capture imaginaire dans laquelle le sujet est retenu prisonnier, perte à laquelle ma patiente ne veut pas consentir. S'occuper de la toxicomanie des autres ou aider les populations victimes met la haine de soi-même à distance, cette haine qui accompagne l'amour. Dans tout amour nous dit Lacan, il y a la haine qui la suit « comme son ombre », hainamoration. L'amour altruiste n'y échappe pas. La haine du prochain est à la fois la plus intime et la plus lointaine. En voulant le bien des autres, c'est son apaisement qu'on espère.
Ce parcours d'errance est celui de nombreuses jeunes femmes qui viennent nous parler de leurs itinéraires d'instabilité sociale, ces anorexique-boulimiques, scarificatrices, suicidantes ou héroïnomanes... dont la motivation principale est de participer le plus rapidement possible au festin des jouissances accomplies. Ces jeunes femmes sont aux prises avec une dérive progressive, avec des escales de plus en plus courtes dans des relations à autrui de plus en plus éphémères et superficielles. Troubles des conduites, évanouissement du sujet. Sujet sans lieu, sujet lâché dans le monde sans attache, sujets explicites c'est-à-dire immédiatement présents, ils sont des sujets sans dimension d'invisible, flottant au gré des jouissances du corps procurées par les objets de la science, sujets atopiques. Rien ne retient cette patiente qui est sans lien à autrui - elle a rompu avec son dernier petit ami après quelques semaines de fréquentation « parce qu'il ne convenait pas et qu'il ne supportait pas sa consommation d'héroïne » - elle est seule, livrée au vide abyssal d'une existence qui n'a plus de fondation, dans un monde où il n'y a plus d'impossible. Errance sociale, errance neutre, sans singularité, ni aspérité ou l'existence ne consiste qu'en une longue traversée de désert lorsque son orientation est perdue comme se perdent les héros du film « Gerry » de Gus Van Sant.
À la même époque, un article du journal le Monde[4], rapportait le parcours d'une femme, Mariam Charipova, vingt-huit ans, qui ressemblait singulièrement à celui de cette patiente. Cette jeune femme s'est faite exploser, le 29 mars 2010 à la station Loubianka du métro de Moscou entraînant dans la mort vingt-huit victimes innocentes. Quarante minutes plus tard une autre jeune fille, Djannet Abdoullaeva, dix-sept ans également daghestanaise, déclenchait une charge explosive tuant douze personnes[5]. L'une de ces jeunes femmes, diplômée en mathématique et en psychologie, était enseignante en informatique et directrice adjointe de l'école où son père enseigne la littérature russe. Elles ont sacrifié leurs vies et celles d'autrui dans une déflagration d'une violence inouïe. Selon le journal, cette jeune femme, souvent collée à sa mère, puisque la dernière de la fratrie, menait apparemment une vie paisible. Seul, son frère aurait eu des liens avec un groupuscule terroriste organisé par un chef de guerre local qui se fait appeler « l'émir de Goubden » et qui veut imposer la charia dans les petites républiques musulmanes du Caucase au sud de la fédération de Russie. Ces individus qui se font appelés « émir » sont de redoutables figures qui rêvent de devenir le maître absolu se plaçant au-dessus des lois pour imposer leur tyrannie par la terreur.
Le terrorisme est la représentation la plus crue du Réel[6] puisqu'elle n'est pas symbolisée par un récit qui l'inscrirait dans une dimension symbolique. Le terrorisme est le traumatisme à l'état pur, la mort au-delà du principe de plaisir, une jouissance sans borne qui consacre la disparition définitive de toute altérité au profit de l'idéal. Le poids du Réel s'exhibe dans sa brutalité dès lors que la figure de l'Autre devient énigmatique dans l'effacement du Symbolique. Puisqu'il n'y a plus de semblant, la terreur manifeste l'impossibilité d'inscrire une séparation.
Un père de l'église des premiers temps du christianisme, Origène[7] dans un texte intitulé « l'exhortation au martyre » en 235 après J.-C., appelle au sacrifice de soi consenti pour une union à Dieu comme solution à son existence. En perdant la vie qui appartient au monde visible, le martyr dit-il, sauve son âme. Aucun n'acte n'est plus beau que le martyre car il consiste à payer Dieu de toutes les grâces qu'il a donné à l'homme. Comment, se demande Origène, exprimer à Dieu sa reconnaissance autrement que par le martyre « puisque l'homme ne peut rien au-delà » ? Le martyr est ainsi l'ultime rencontre avec l'absolu qui procure « la paix profonde, le calme et la sérénité inaltérable ». Origène avait décidé de consacrer sa vie à la pratique de l'exercice spirituel et de l'exégèse biblique, c'est-à-dire à la recherche de l'union à Dieu, seul accès à toutes les félicités. Pour se soustraire définitivement aux exigences phalliques afin d'être tout entier disponible à sa pratique mystique, il décida à l'age de vingt-cinq ans de s'émasculer pour éviter d'être tenté par le commerce avec les femmes. Cet acte lui valu la réprobation de l'évêque d'Alexandrie lorsqu'il fut ordonné prêtre. La jouissance mystique ne connaît pas d'entrave, elle est illimitée.
Le martyr conçu par Origène est une offrande faite au père à la différence du terrorisme d'aujourd'hui qui ne fait plus allégeance au père, ou du moins une certaine forme de terrorisme non organisée. Le sacrifice de soi du martyr vise à satisfaire la demande supposée d'un dieu vengeur et destructeur car le martyr est persuadé que Dieu exige des sacrifices humains. Or cette exigence supposée fait de Dieu un être manquant et désirant, dépendant de l'homme qu'il a créé à son image pour la satisfaction qu'il serait susceptible de lui procurer.
Mais le martyre par attentat-suicide d'aujourd'hui n'est pas de la même nature. Hélène L'Heuillet considère que le terrorisme n'est pas de l'ordre du sacrifice filial, de la défense des valeurs et du territoire du père, de ses emblèmes et de ses dieux auxquels les fils s'identifient mais est la forme contemporaine de la guerre consécutive à la disparition de l'autorité du père, de la figure du chef, support de l'idéal du moi. À côté du terrorisme classique et hiérarchisé, celui d'Al Quaïda, du Hamas et des frères musulmans où la figure du père est toujours vaillante et valorisée comme référence à laquelle les fidèles doivent obéir, il existe un terrorisme non organisé, le fait d'individus isolés ou de petits groupes qui ne reconnaissent pas la figure du leader mais trouvent dans la radicalité du discours intégriste un ordre et une raison qui structurent leurs existences à la dérive. Ces terroristes justifient par l'idéologie floue de la revendication islamiste la violence de leurs actes. À la différence de la mort attendue et espérée du martyr traditionnel, le terroriste de l'attentat suicide décide de sa mort. Il ne l'attend pas de l'autre. Le martyr d'aujourd'hui sacrifie son existence pour un idéal abstrait, pas à un père. Il ne s'agit plus de défendre les valeurs d'un père mais de soutenir sa jouissance, absolue, sans borne, arme de destruction massive et aveugle. La mort vient sceller un pacte éternel, qui le fait le héros (et héraut) d'un idéal en renonçant à son moi. L'acte sacrificiel du kamikaze consacre la disparition du sujet, ce « renoncement à soi-même » que réclame Saint Jean de la Croix dans l'ascèse pour l'accomplissement d'une union avec dieu. Par l'attentat-suicide, le martyr contemporain s'affranchit des exigences du signifiant, donc de l'ordre phallique. En plus il se soustrait à la tension du pas-toute au profit du rien, le Nada des mystiques hispaniques, dans une jouissance Autre, celle qui résulte de la déflagration permettant la désintégration de soi-même et d'autrui par l'explosion des limites (consacrant la disparition du signifiant). La violence du terrorisme est sans limites puisque les limites ont déjà disparu. Plus de chiffre ni de lettres qui fassent limites. L'acte seul importe et non son sens. Le corps du terroriste est son arme de la destruction, ce ne sont pas ses paroles ou ses prêches. Par son explosion, la bombe éparpille le corps du terroriste et en mélange ses morceaux avec des fragments du corps des autres dans une totale indifférenciation. Il n'y a ici nul appel au père ni adresse à autrui ni intention de terroriser, mais un vouloir se perdre dans un néant sans limites, d'éprouver une jouissance absolue, une jouissance du corps, une pure jouissance sans référence, niant tout échange, une extase pour le néant. L'acte terroriste est un acte de pur refus du monde et non l'expression d'un désir de changer le monde. Ainsi compris, il est l'instant de la jouissance suprême, la mort.
Sous le régime du patriarcat, la jouissance mystique trouvait son point d'épanouissement dans l'union sublime avec Dieu dans l'extase qui est le moment de l'anéantissement de soi en lui. Aujourd'hui, sous le régime du matriarcat, le terrorisme contemporain apparaît être une des formes contemporaines de cette jouissance Autre qui trouve sa résolution par la désintégration explosive de soi et d'autrui dans l'indifférenciation et l'indistinction. Cette jouissance mystique, supplémentaire à la jouissance phallique nous dit Lacan, n'est toutefois pas de même nature que la jouissance phallique. Elle n'est pas « en plus », mais Autre, radicalement Autre. Si la jouissance phallique est toujours à l'œuvre, elle n'est est pas pour autant une extension car la jouissance mystique ne s'embarrasse plus du phallique puisqu'elle se soustrait à l'obéissance au signifiant. C'est une jouissance du corps qu'aucun mot ne peut décrire. Pour cette raison, elle est infinie. Le sujet en est absent, il éprouve cette jouissance qui est jouissance, hors savoir puisque rien ne peut en rendre compte. La jouissance mystique traduit le refus du savoir et de la connaissance qui était au centre de la pratique des mystiques classiques du XIIe siècle, conformément au projet de Saint Thomas : « Quand nous serons parvenu à la béatitude parfaite, il n'y aura plus de place pour le désir ». Il ne s'agit plus de répondre à l'appel d'Un père.
Comme le flash toxicomaniaque qui fracture les limites de soi avec le monde, l'attentat terroriste procède de la disparition de la figure de l'Autre. Deux cliniques du faire qui signent l'effacement du désir au profit des conduites, deux modalités de jouissance dans un monde déserté par le SJymbolique, où l'instant d'une ultime jouissance est obtenu dans un éclair de fusion avec l'infini. Dans ces jouissances se disent le désarroi contemporain, celui de ces jeunes filles, seules, dans l'errance de leur existence désarrimée.
[1] Lacan dans l'éthique en 59/60 puis repris dans la 2e conférence tenue à Bruxelles en mars 1960 sur l'éthique
[2] « cette honnêteté patriarcale qui nous donne la voie d'accès la plus mesurée à des désirs tempérés, à des désirs normaux » Jacques Lacan, L'Éthique, Seuil, P. 286
[3] Jacques Lacan, L'Éthique, Seuil, P. 211
[4] Le Monde du 13 avril 2010
[5] Ces deux attentats furent revendiqués par Dokou Oumarov qui se fait appeler « l'émir du Caucase ».
[6] selon Charles Melman
[7] Père de l'église, exégète biblique influencé par la philosophie grecque, dont l'existence a été organisée autour du martyre. Son père Léonide a été martyrisé alors que lui n'avait que dix-sept ans. « L'exhortation au martyre » a été écrite pour Ambroise, un riche marchant d'Alexandrie dont il avait permis la conversion et Protoctéte. Tous deux ont été martyrisé. Lui-même aurait aimé mourir martyr.