Initiation à la clinique 2011-2012 le 19 janvier 2012
Alors, comment rendre compte de l'inconscient ? La pratique de la psychanalyse nécessite de l'articuler à une théorie, comme toutes les pratiques, théorie qui est à formaliser pour pouvoir la transmettre. Freud pose d'emblée le problème en ces termes : « La psychanalyse ne se transmet pas, elle se réinvente ». Au-delà de cette formule que beaucoup connaissent, qui a été très souvent reprise, qui a même été serinée, disons qu'il y a non seulement la nécessité de la réinventer, mais de la réinventer à chaque fois, car bien sûr chaque cas est singulier. Freud dit aussi que ce dont il apprenait le plus était d'une analyse qui avait été menée à son terme. À la fin de son parcours, Lacan lance à l'Université de Vincennes : « Comment faire pour enseigner ce qui ne s'enseigne pas ? » Voilà ce dans quoi Freud a cheminé. Lacan a pris le parti de s'appuyer sur une écriture d'aspect, d'aspect, algébrique, qui puisse contribuer précisément à formaliser la théorie analytique. C'est la fonction des mathèmes. J'insiste sur fonction des mathèmes.
En venant je me demandais s'il était légitime que nous nous posions la question : la psychanalyse est-elle une science ? Freud se l'est posée bien sûr, il a pris ses appuis sur la thermodynamique. Lacan se l'est posée également. Que dit-il un peu avant la fin de son parcours : « pas pour l'instant ». La psychanalyse n'est pas une science, « pas pour l'instant ». N'y voyons pas qu'une prudence puisque la question des mathèmes, les mathèmes posent directement cette question.
Alors, comment rendre compte de l'inconscient ? La pratique de la psychanalyse nécessite de l'articuler à une théorie, comme toutes les pratiques, théorie qui est à formaliser pour pouvoir la transmettre. Freud pose d'emblée le problème en ces termes : « La psychanalyse ne se transmet pas, elle se réinvente ». Au-delà de cette formule que beaucoup connaissent, qui a été très souvent reprise, qui a même été serinée, disons qu'il y a non seulement la nécessité de la réinventer, mais de la réinventer à chaque fois, car bien sûr chaque cas est singulier. Freud dit aussi que ce dont il apprenait le plus était d'une analyse qui avait été menée à son terme. À la fin de son parcours, Lacan lance à l'Université de Vincennes : « Comment faire pour enseigner ce qui ne s'enseigne pas ? » Voilà ce dans quoi Freud a cheminé. Lacan a pris le parti de s'appuyer sur une écriture d'aspect, d'aspect, algébrique, qui puisse contribuer précisément à formaliser la théorie analytique. C'est la fonction des mathèmes. J'insiste sur fonction des mathèmes.
Ce soir je parlerai des mathèmes, mais considérons que l'important pour nous c'est leur fonction. Ce mot mathème je ne l'ai pas trouvé, ni dans le Littré, ni dans le Grand Robert de la langue française, je ne sais pas pour les autres dictionnaires. Par son écriture, il ressemble aux formules algébriques et formelles qui existent en mathématique et en logique. La tentative de Lacan est ambitieuse avec les mathèmes, puisqu'il ne s'agit pas d'une écriture qui permettrait de simplifier les choses, comme nous le faisons souvent, mais de dénoter une structure réellement en cause dans le discours analytique. Une structure réellement en cause dans le discours analytique, puisqu'il ne s'agit pas de simplifier des choses pour pouvoir les transmettre mais de dire ce qu'il en est du Réel dans le discours analytique, permettre ainsi une transmission qui porterait précisément sur la structure, en dehors des variations dues à l'Imaginaire, et échappant aussi au support de la parole de l'auteur.
Vous savez sans doute que c'est à cet effet que Lacan a changé la façon de tenir son séminaire. Il y a eu son style que l'on connaît, son style flamboyant, qui était son style dans la transmission, et puis plus tard il a trouvé que sa personne elle-même était un obstacle, obstacle à transmettre ce qu'il avait à dire. Alors, au-delà de ses difficultés, à ce moment-là, tout à la fin, ses difficultés dues à la fatigue, il passait l'essentiel de son séminaire à faire des figures mathématiques, à écrire des nœuds au tableau, le dos tourné à son auditoire.
Il dit que la formalisation mathématique est notre but, notre idéal. Il y a un texte, un texte écrit, de Lacan, qui s'appelle L'Étourdit, que certains connaissent, qui est un texte difficile. Dans ce texte, il donne quatre raisons aux mathèmes :
- exclure la métaphore,
- admettre que n'importe quoi ne peut être dit,
- admettre que le mathème est d'abord un dire. Il est d'abord un dire, celui de Freud ou le sien, et que c'est ensuite transmissible, donc un dire qui est écrit sous la forme d'un mathème et peut être transmis.
- enfin sa quatrième raison : sa topologie n'est pas une théorie, mais doit rendre compte des coupures du discours. Nous pourrions dire : rendre compte de l'inconscient, car c'est dans les coupures du discours que le sujet surgit.
Le sujet de l'inconscient est exclu. Nous disons il ek-siste, nous disons il est dans les dessous, il ne se manifeste que dans les coupures du discours. Le sujet de la science est lui aussi un sujet exclu. Il est exclu... depuis que la science est devenue une écriture de chiffres et de lettres. Cela n'a pas toujours été le cas. Il faut, pour la science, que le sujet soit maintenu en dehors de la procédure, en dehors de la procédure scientifique pour ne pas en fausser le bon déroulement. Le sujet de la science est donc le même que le sujet de l'inconscient. C'est un sujet qui ek-siste.
Alors pour ce qui est de la psychanalyse, Lacan, dans cette tentative de formalisation, propose un cap très précis : rendre adéquat le discours analytique au discours mathématique ; adéquat, car il n'y a de vérité que mathématisée, c'est-à-dire écrite. Voilà la raison pour laquelle il y a à rendre adéquat le discours analytique au discours mathématique, car il n'y a de vérité qu'écrite, ce que nous montre la clinique. Je vous rappelle simplement que le lapsus est plus souvent l'affaire d'une ou de quelques lettres en plus ou en moins. Si je fais un lapsus, vous allez tous quasiment l'entendre de la même façon, en général il fait rire... Où est la vérité ? Est-elle dans le lapsus ? Dans l'écriture ? Ou est-elle dans ce que j'aurais voulu dire ? Bien évidemment elle est dans le lapsus, c'est-à-dire dans ces quelques lettres en plus ou en moins.
Ne soyons donc pas trop étonnés si Lacan fixe le cap de rendre adéquat le discours analytique au discours mathématique, car il n'y a de vérité que mathématisée, c'est-à-dire écrite. Freud distinguait les lapsus linguae et les lapsus calami. Lacan va faire la remarque qu'il n'y a de lapsus que calami, c'est-à-dire qu'il n'y a de lapsus que d'écriture, et même le lapsus linguae est un lapsus calami.
Ce qui est au cœur de notre expérience, c'est le Réel, ce que Lacan a commencé à nommer l'impossible. Celui que rencontre l'analyse est qu'il n'y a pas de rapport sexuel, vous connaissez la formule maintenant : il n'y a pas de rapport sexuel inscriptible entre un homme et une femme, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de rapport qui puisse s'écrire entre un homme et une femme. Alors comment aborder le Réel, ce Réel qui est au cœur de notre expérience ? Nous avons vu qu'un mathématicien aborde le Réel avec l'écriture, avec des équations, des formules, c'est-à-dire avec l'écriture. Le psychanalyste, lui, aborde, le Réel du sujet avec le langage, ce qui amène une autre difficulté : comment appréhender le langage ?
Le grand linguiste américain Chomsky pense par exemple que le langage peut-être déterminé par un fait génétique. Lacan raconte qu'il l'avait rencontré aux États-Unis, Chomsky lui avait raconté ça, et Lacan dit qu'il en avait été complètement soufflé. Cette conception de Chomsky a un avantage, elle permet de faire du langage un organe. Si c'est un fait génétique, donc le langage d'une certaine façon est un organe. Bien évidemment pour la psychanalyse, le langage n'est pas un organe. Nous ne pouvons pas l'appréhender comme s'il s'agissait d'un outil. La difficulté pour aborder le langage, c'est que d'une certaine façon, il n'y a pas de théorie possible du langage. Pourquoi dire un truc pareil ? C'est parce qu'il n'y a pas de métalangage, pas de langage sur le langage. Pour reprendre nos termes pas d'Autre de l'Autre.
Nous ne pouvons pas partir de l'étude directe, car à l'aborder directement, cela reviendrait à en faire un objet d'étude qui serait étudié avec le langage lui-même, donc étudié avec ce qui est l'objet même de l'étude ! Il y a cette contradiction que vous l'étudiez avec l'objet de l'étude lui-même. Or il n'y a pas d'Autre de l'Autre. Il n'y a pas deux langages, ce qui impliquerait un langage possible sur le langage, un langage un peu au-dessus. C'est ce que laisse entendre Chomsky en disant que c'est un fait génétique.
Pour l'appréhender, nous ne pouvons partir que de cette vérité que le langage fait trou dans le Réel. C'est par cette notion de trou que le langage opère sa prise sur le Réel. Comment en avoir une idée, que le signifiant fait trou ? Nous pouvons déjà en avoir une idée, vous pouvez l'entendre quand Hegel dit : « Le mot tue la chose ». Entendez que le signifiant fait trou, le mot tue la chose, la chose n'y est plus quand il y a le mot. Si on est rigoureux, le signifiant est le symbole d'un trou. Et je vous rappelle qu'une des quatre raisons que Lacan donnait, les quatre raisons du mathème, était que sa topologie n'était pas une théorie, mais rendait compte des coupures du discours. Nous pourrions dire : rende compte des trous du discours.
Si le psychanalyste aborde le Réel du sujet avec le langage, c'est comme pour le mathématicien, avec une écriture. Essayons de voir pourquoi nous pouvons dire cela.
Quand le sujet rencontre le Réel du non-rapport sexuel, il doit y suppléer. Car si c'est un impossible, il doit quand même y suppléer. Ce qui y supplée pour chacun d'entre nous, c'est le savoir inconscient. Le savoir inconscient vient s'inventer sur le bord d'un trou du non-rapport sexuel. Le savoir inconscient est un Réel, c'est un dépôt de lettres, un sédiment, qui se produit pour chacun quand il commence à aborder le rapport sexuel, auquel bien sûr il n'arrivera jamais. Ce réel, donc, Lacan a commencé par l'appeler l'impossible, il parle toujours de l'impossible du Réel. Et puis plus tard, en s'appuyant sur la logique modale d'Aristote il va le nommer « ce qui ne cesse pas de ne pas s'écrire », c'est pour cela que je disais qu'il n'est pas inscriptible : il ne s'écrit pas, il ne cesse pas de ne pas s'écrire.
Nous pourrions dire que le savoir inconscient est constitué de lettres, qu'il est une écriture, qui vient suppléer l'absence d'écriture possible du rapport entre un homme et une femme. La réalité sexuelle se spécifie chez l'homme du fait qu'il n'y a aucun rapport instinctuel entre un homme et une femme. Rien ne peut faire que tout homme satisfasse toute femme. Un homme se satisfait d'une femme ou de quelques-unes, parce que les autres ne l'intéressent pas au titre de son désir inconscient, désir inconscient qui ne concerne pas toutes les femmes ! Chez les animaux, il semble que ce soit quand même la règle, c'est-à-dire que chaque mâle a l'aptitude, l'aptitude ce n'est déjà pas mal, l'aptitude à satisfaire toutes les femelles.
Si le rapport entre un homme et une femme « ne cesse pas de ne pas s'écrire », le symptôme, lui, c'est ce qui ne cesse pas de s'écrire. Le symptôme ne cesse pas de s'écrire, il revient toujours. Freud, dès la Science des Rêves ou la Psychologie de la vie quotidienne, montre que l'inconscient, c'est écrit. Dire que l'inconscient c'est de l'écrit signifie qu'il faut que du dire, du dire et pas du dit, (il y a une distinction à faire, ce n'est pas la même chose, c'est du même ordre que l'énoncé et l'énonciation, ce n'est pas la même distinction mais c'est de cet ordre), donc que du dire et pas du dit passe dans le concassage des lettres. Vous voyez, pour que l'inconscient soit un écrit, il faut bien que du dire passe dans un concassage de lettres, ce qui permet de dire à Lacan que l'inconscient est structuré comme un langage. Il n'est pas structuré comme une langue. Ce ne sont pas forcément des signifiants dans l'inconscient, c'est un ensemble de lettres, ce n'est pas une langue, ce ne sont pas forcément des signifiants. Il est structuré comme, comme un langage, un ensemble de lettres. Donc quand il se manifeste, ce qui est à lire, nous l'avons vu avec le lapsus, ce qui est à lire de cet écrit, c'est le dire qui est à l'origine de ce concassage de lettres, c'est-à-dire le dire qui est au-delà de ce qui est dit. C'est pour cela que nous pouvons dire que la séance d'analyse est une séance de lecture. On pourrait dire d'une certaine façon, que transmettre la psychanalyse c'est apprendre à lire.
Lacan a cette très belle phrase : « l'écrit est une trace où se lit l'effet du langage. » Une trace où se lit l'effet du langage, c'est-à-dire que pour nous, la parole et l'écrit sont articulés. Les mathèmes ne sont pas seulement des écritures. C'est un dire qui a produit cette écriture, il n'y a pas la parole et le langage, la parole et le langage sont articulés.
Alors comment aborder l'inconscient, cet inconscient qui est littéral ? Lacan répond en nous invitant à nous intéresser, et là commencent les difficultés, à la logique et aux mathématiques. Pourquoi ? Ceci est en conformité avec l'inconscient. C'est ce que nous allons essayer de voir.
L'inconscient est un savoir, un savoir articulé, ce n'est pas un ensemble de connaissances qui serait enfoui et à redécouvrir en levant le refoulement. C'est un savoir articulé, un ensemble de lettres. Ce savoir est insu du sujet conscient, mais il n'y a pas besoin de savoir que l'on sait pour en jouir. Ce qui nous le montre, c'est le symptôme. Le symptôme est la façon dont chacun jouit de son inconscient, sans pour autant savoir quel est le savoir de l'inconscient. Pas besoin de le savoir pour en jouir. Pas besoin de savoir ce que l'on sait.
Et si Lacan nous invite à nous intéresser donc à la logique pour traiter de l'inconscient, c'est parce qu'elle en est très proche. La logique et l'inconscient sont du même ordre. Ils sont de l'ordre de l'écrit. Lacan propose une définition de la logique ; il la définit comme la science du Réel. En même temps, à côté de la logique, cette science du Réel, il distinguait ce qu'il appelait le dire vrai. Vous entendez toujours la question du dire et de l'écriture, un dire qui doit passer par un concassage de lettres.
C'est l'opération que réalise Aristote avec la logique modale. Pour ceux qui sont intéressés il y a l'excellent livre de Pierre-Christophe Cathelineau, Lacan, lecteur d'Aristote. Quand Lacan dit le Réel du non-rapport sexuel c'est ce qui ne cesse pas de ne pas s'écrire, il prend à ce moment-là appui sur la logique modale d'Aristote, il reprend les formules d'Aristote. Dans la logique modale, il y a quatre modalités : contingence, nécessaire, possible, impossible. Vous entendez la question du nécessaire et de l'impossible, c'est là que Lacan prend ses appuis.
Aristote va essayer de se passer de termes comme l'homme, vivant, animal, c'est-à-dire qu'il va essayer de les vider de leur sens et de les remplacer par des lettres : alpha, bêta, gamma, et montrer que le syllogisme c'est une affaire de logique, une affaire de lettres, pas une affaire de sens, reprendre avec des lettres, qui permettent de se dégager du sens.
Donc nous intéresser à la logique et aussi aux mathématiques, en particulier à la topologie qui est la géométrie des voisinages, et cette invitation de Lacan est toujours en accord avec l'inconscient, car l'inconscient est topologique. Les rapports entre les éléments de l'inconscient, sont de voisinage, ce sont des rapports de proximité, ce ne sont pas des rapports régis par un ordre, des rapports régis par un sens, ce sont des rapports de voisinage. Cela peut vous étonner. J'ai relu récemment l'Esquisse d'une psychologie scientifique, un des premiers textes de Freud. Quand Freud s'attache à dégager les rapports entre les différentes chaînes associatives, Freud déjà les appelle des points de contact, des points de nodalité. C'est étonnant de trouver quand même « points de nodalité ». Les rapports entre les chaînes associatives sont des rapports de voisinage, de proximité, pas du tout des rapports de sens. Je ne vous épargne aucune difficulté, puisqu'il fallait traiter des mathèmes, je traite des mathèmes. Pourquoi dire que l'inconscient est nodal ? Le langage est constitué de trois dimensions, que maintenant vous devez connaître : le Réel, le Symbolique et l'Imaginaire. En cela la psychanalyse ne fait que poursuivre une longue tradition de spéculation sur le logos qui, elle, a commencé dès l'Antiquité.
Dans un bouquin très érudit dont Melman a fait une étude, John Scheid et Jesper Svenbro dans leur bouquin Le métier de Zeus, montrent que la métaphore du tissage était utilisée de façon tout à fait prévalente. C'est un travail d'érudition sur la question du logos, utilisée dans des domaines aussi différents que la poésie, l'union politique, la relation amoureuse. Les Grecs utilisaient cette métaphore, on pourrait dire que pour eux la structure de ces différents champs, aussi divers que la poésie, la politique, les relations amoureuses, étaient du même ordre structurellement, de l'ordre du tissage.
Alors pourquoi ne pas dire que la psychanalyse a substitué à la science du tissage la science du nouage ? Pour vous faire entendre que c'est dans le même ordre de spéculation : le nouage, d'où vient-il, pourquoi y avoir recours ? Ce nouage est borroméen. Le nœud borroméen, comme la logique, s'écrit, c'est une écriture, puisque si vous coupez l'un des trois ronds, les deux autres sont libres et alors le nœud borroméen ne peut plus s'écrire. Mais j'insiste, si ces écritures, donc trouvées par Lacan, sont celles qui, pour lui, répondent le mieux à la tentative de rendre le discours analytique adéquat au discours mathématique, pour autant les mathèmes ne sont pas des axiomes, pas plus des signifiants. Il nous faut admettre que le mathème c'est d'abord un dire.
Prenons l'invention de Lacan, celle de l'objet petit a, l'objet cause du désir. Cet objet n'est pas de l'ordre de la connaissance, nous n'en avons pas l'idée, il n'est pas du monde de la représentation, il n'est pas accessible directement, il est, nous dit-il, dans le Réel. Et Lacan va le noter d'une lettre, petit a, une simple lettre. Mais ce n'est pas le mathème de l'écriture petit a qui produit petit a, vous entendez ? C'est le dire de Lacan qui a produit cette écriture, c'est le dire de Lacan, qui est : il y a un objet qui cause le désir, qui n'est pas du monde de la représentation, dont on n'a pas l'idée, dont on ne peut pas avoir une idée directe, donc je vais l'écrire. Ce n'est pas l'écriture qui produit l'objet, c'est-à-dire que ces écritures, les mathèmes, doivent être lues avec le discours qui les a précédés.
Alors je vais terminer, pour l'illustrer, avec le discours analytique, avec l'écriture du discours analytique, puisque la question est : il y a un discours spécifique à la psychanalyse, il faut tenter de l'écrire, je dis tenter de l'écrire, parce que Lacan lui-même, quelques années après l'avoir produit, il va dire que c'est ce qu'il a proposé et que peut-être l'on peut faire mieux. Pour l'instant personne ne s'y est frotté... Un mathème n'est pas un axiome. À vous de proposer mieux.
Il distingue, et on pourrait dire il oppose parole et discours. Alors je vous ai proposé dans la bibliographie un mathème : le schéma L. Je vous l'ai proposé dans le livre de Darmon, vous pouvez aussi le trouver ce schéma L, aux pages 53 et 548 des Écrits de Lacan. Je vous ai proposé plutôt de le travailler dans le bouquin de Darmon parce que vous verrez l'utilisation qu'il en fait, vous verrez directement à quoi ça lui sert cliniquement, il y a le cas Dora. Vous verrez à ce moment-là, l'utilisation que Darmon en fait du mathème, l'utilisation clinique : structure de la parole, mathème de la parole, c'est-à-dire écrire la structure de la parole.
Avec les discours, il s'agit d'approcher par une voie mathématique, le réel qui les détermine ces discours. Discours, c'est-à-dire la structure de ce qui détermine les énonciations. Un discours est une modalité de lien social. Lacan s'efforce à la fois de définir et de formaliser les structures subjectives du langage, il le fait sous forme de quatre discours. Entendez discours comme autant de modalités du lien social. Ils sont des structures langagières qui régulent nos liens sociaux et sont différents de la parole.
Discours du Maître Discours Universitaire
S1 S2 S2 a
$ a S1 $
Discours Analytique Discours Hystérique
a $ $ S1
S2 S1 a S2
Les quatre discours que propose Lacan, vous les connaissez pour la plupart, sont le discours du maître, de discours de l'université, le discours de l'hystérique et le discours analytique. Plus tard il va ajouter un cinquième discours, le discours capitaliste qu'il ne reprendra pas, qui a un intérêt, mais je ne vais pas le reprendre ce soir. Donc quatre discours, dont il va proposer une écriture logique pour chacun. Ces discours s'enchaînent et se soutiennent les uns les autres dans une logique entièrement déterminée par le jeu de la lettre. Il y a quatre lettres qui se distribuent en quatre places : quatre lettres : S1, S2, a, $, quatre places : celles de l'agent, de l'Autre, de la vérité et de la production ou plus de jouir. Il y a un sens de circulation possible mais il n'y a pas la possibilité de revenir de la place de la production à la place de la vérité La place d'agent, ce qui commande le discours, qui l'ordonne, qui le détermine. Dans le discours hystérique c'est le sujet, le sujet divisé, le sujet qui se plaint, c'est lui qui est en place d'agent. Dans le discours du maître c'est S1, le signifiant-maître, c'est-à-dire le signifiant qui commande qui est à cette place d'agent. Pour le discours universitaire donc c'est le savoir qui est en position d'agent, c'est lui qui va déterminer le discours. Pour le discours analytique, c'est l'objet, petit a, le plus de jouir.
Pourquoi Lacan a-t-il choisi ces quatre lettres, après tout ? Remarquons que $ et petit a sont les deux termes du fantasme, vous connaissez la formule peut-être de Lacan, $ à a, le mathème du fantasme. Le sujet divisé en relation avec l'objet. Et il y a ce qui correspond à la définition du signifiant. Le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant. Le signifiant ne représente pas le sujet, il représente le sujet pour un autre signifiant, c'est-à-dire que le signifiant ne fait que renvoyer à un autre signifiant, S1 S2, la structure minimale. Il ne renvoie pas au sujet car le sujet est dans les coupures, nous avons dit dans les coupures du discours, il est entre S1 et S2.
Dans le discours du maître, un signifiant maître, S1, est en position d'agent. D'une certaine façon, et c'est toujours vrai, il suffit que quelqu'un se lève et dise : « en marche » et bien évidemment on marche, on suit, ce n'est pas « lève-toi et marche », c'est en marche ». Il en suffit d'un, il en suffit d'un, on le voit en politique il en suffit d'un qui se lève et qui dise « on y va », avec la voix du commandement. Voilà pourquoi Lacan l'a appelé le discours du maître. Avec cette structure du signifiant qui renvoie à un autre signifiant S1 S2. Donc ce discours du maître, Lacan va même dire que ce discours est le discours de la structure, puisque c'est la matrice même du langage, S1 S2, deux signifiants, un signifiant qui renvoie à un autre signifiant ; il va servir donc, le discours du maître, de matrice aux trois autres.
Il y a quatre termes. Aucune commutation n'est permise entre les termes. C'est une opération qui est connue en mathématiques dans la théorie des groupes et qui s'appelle une opération de commutation circulaire, c'est-à-dire qu'on peut passer d'une place à une autre. Les discours s'enchaînent, pour autant il n'y a pas de commutation possible des places, mais il y a une circulation circulaire, c'est-à-dire que chaque terme vient occuper les quatre places. Petit a par exemple, vient occuper les quatre places, celle de l'agent, celle de la vérité, celle de l'Autre et celle de la production. Suivant le discours, suivant la modalité de lien social, vous voyez, c'est toujours aux mêmes quatre lettres que vous avez affaire, mais elles sont à des places différentes.
C'est ce qui permet à Lacan d'écrire la structure d'un discours, de l'écrire, car en dernière analyse le langage repose sur ce principe, essentiellement sur ce principe qu'un signifiant ne fait que renvoyer à un autre signifiant, donc le sujet n'est pas une personne, ce n'est pas une substance, c'est un effet de signifiant. Le sujet, est dans la faille, puisque le signifiant ne fait que le représenter. Dans cette opération signifiante il y a quand même un reste, ce reste c'est l'objet, c'est le plus de jouir, c'est petit a, qui est le reste de l'opération signifiante. Ce reste va relancer l'opération signifiante en étant la cause du désir, c'est-à-dire en étant là comme manque. Ce n'est pas un objet présent, il est dans le Réel, il n'est pas dans le monde de la représentation, il n'est pas d'accès direct, donc il manque, et c'est ce manque qui va causer le désir. Donc vous entendez qu'à la fois, il est le reste de l'opération signifiante, c'est-à-dire que quand un signifiant renvoie à un autre signifiant, il y a quand même un reste, il n'y a pas une totalité, d'adéquation parfaite sinon ce serait les deux mêmes signifiants bien sûr. Et ce reste relance la machine du désir puisqu'il est là comme manque.
(transcription Hélène Jacquemoud)