Conférence de l'Introduction à la Clinique Psychanalytique – 19 juin 2014
Eh bien écoutez, je vous propose de commencer sans plus attendre. Quelle drôle de question que la question que je pose ce soir, quelle drôle d’interrogation : pourquoi est-il si difficile de guérir de l’insatisfaction ? Il n’y a bien que les analystes pour poser des questions aussi saugrenues. Difficulté, guérir, insatisfaction, voilà trois termes qui viennent baliser notre champ d’entrée de jeu, et nous faire entendre que, sans doute, s’il est question de guérir de l’insatisfaction, c’est que l’insatisfaction est du côté du symptôme ou elle est du côté de quelque chose qui ne va pas, qui ne devrait pas être, en tout cas. Je trouve qu’autour de toutes ces questions, en général, règne une sorte de langue de bois. Et je ne sais pas comment vous faites pour supporter la langue de bois mais moi, de mon côté, je ne la supporte pas du tout ! La langue de bois a envahi notre champ, aussi bien journalistique, informatif, l’entreprise, il faut se comporter comme si, pas comme ça, etc., vous voyez bien que là, avec ce politiquement correct qui nous infiltre et qui infiltre jusqu’à nos écoles d’analyse et c’est bien là le problème. Nous entrons dans une forme de paranoïa. Le politiquement correct c’est la paranoïa instituée, c'est-à-dire une sorte de modèle autour duquel nous aurions tous à adhérer, tous penser de la même façon c'est-à-dire ne pas penser, tous parler de la même manière c'est-à-dire ne pas parler ! Comment pouvons-nous supporter une chose pareille ? De mon côté, je ne le supporte pas.
Parlons clair à propos de cette insatisfaction. Comment se fait-il que cette insatisfaction qui est dénoncée de touts les côtés comme étant responsable du malheur des hommes et des femmes, un malheur incommensurable, dont on ne se débarrasse pas, qui vient grever notre existence, empêcher notre vie, laisser notre désir tout le temps comme ça de côté, ne pas s’accomplir ; à faire en sorte que notre existence est sans cesse happée par des choses qui n’ont aucune importance et qui ne sont pas essentielles à notre parcours ; comment se fait-il que cette insatisfaction épouvantable, ben finalement on fasse tout pour la garder et la conserver ? Pourquoi il en est ainsi ? Pourquoi cette insatisfaction qui nous fait passer à côté de la vie, eh bien tout un chacun se débat comme un beau diable pour la maintenir ? Si nous n’étions pas un tout petit peu avertis comme je vais essayer de vous faire cet éclairage ce soir, ce serait vraiment à n’y rien comprendre ! C’est invraisemblable ! Pourquoi, alors que l’insatisfaction est à la source même du malheur humain, est-elle défendue comme la prunelle des yeux de tout sujet ; pourquoi en est-il ainsi ?
Alors, essayons de développer un peu déjà ce que nous entendons par insatisfaction. L’insatisfaction c’est ce qui infiltre toutes les relations humaines. Que ce soit les relations conjugales, les relations des parents avec les enfants, les relations hiérarchiques, c'est-à-dire les relations avec le patron ou de l’élève avec le prof, les relations amicales bien entendu… bref, tous nos liens sociaux. Tous nos liens sociaux mais également tout ce que nous arrivons à mettre en place dans notre vie, que ce soit la réussite professionnelle, la réussite scolaire, le salaire, enfin je veux dire que tout peut rentrer dans cet entonnoir de l’insatisfaction, c'est-à-dire que ce n’est jamais assez, ça va jamais, c’était pas ça qu’on voulait, on est passé à côté de ce qu’on aurait voulu… bref, tous les liens et toutes les activités humaines peuvent s’avérer complètement grevés par cette maladie infamante de l’insatisfaction. Mais, on peut même encore aller plus loin ! Je veux dire qu’on peut même porter ceci sur la scène politique. Pourquoi droite/gauche ça n’existe plus aujourd’hui ? Pourquoi une personne que je ne porte pas du tout dans mon cœur est capable de dire que l’UMPS c’est du pareil au même ? Pourquoi est-ce qu’on en arrive là dans une société ? Si droite/gauche ça n’existe plus, c’est bien qu’il y a autre chose qui a pris le pas sur la dimension proprement politique et proprement éthique également du politique. Qu’est-ce qui a pris le pas ? Qu’est-ce qui a pris le pas et qui fait disparaître toutes les choses un peu essentielles de notre vie de citoyen ? Là aussi : l’insatisfaction.
Pour nous, les choses sont au fond très simples, elles se divisent en deux branches extrêmement explicites : est-ce que nous regardons le monde en vertu de notre désir, c'est-à-dire de cette poussée d’entreprendre qui peut nous habiter tout à coup, de ce petit souffle de vie qui, de temps à autre, nous infiltre et nous donne cette envie d’aller devant ; ce souffle de vie qui s’allume, cette envie de changer, de découvrir des choses nouvelles, d’apprendre ce que nous ne savons pas encore, de laisser brûler cette petite flamme qui fait de nous des êtres vivants, c'est-à-dire des êtres qui peuvent se tenir dans une certaine dignité humaine aussi. Car qu’est-ce qui nous donne cette dignité si ce n’est le fait de pouvoir nous réaliser, nous inventer, nous dépasser et de ne pas fonctionner comme des vieux croûtons tout cuits où c’est terminé devant nous parce qu’on a touché à tout, qu’il n’y a plus aucun intérêt à rien ! C’est ça la vie ? Comment sortir de ce nombrilisme, de ce cercle étroit, de ces petits tracas narcissiques personnels pour porter les affaires sur une scène située au-delà qui permette d’être traversé par cette transcendance, en quelque sorte ? Qui nous arrache, qui nous extirpe, qui sorte de cette grisaille épouvantable de ce ciel de plomb qui nous écrase ! Quand même, je crois qu’on est nombreux à pouvoir faire ce constat que si on ouvre un journal et qu’on commence à prendre tout ce qui est là-dedans, on a plus que la fenêtre comme issue.
Je ne vous dis pas pour autant que marcher en vertu du désir c’est quelque chose de simple ! Je ne dis pas ça non plus. Bien sûr, le désir est source de tous les tracas, tous les embarras humains, dans les relations entre les hommes et les femmes ça n’amène que des ennuis, que des malentendus, tout ce qu’on veut… oui, c’est le bazar. Mais la seule chose humaine qui vaille la peine d’être vécue c’est ce bazar-là justement. Si on se prive de ce bazar-là, on est mort. Alors, ouais, le désir c’est ce qui nous transcende avec un certain nombre d’embarras qui vont avec. Voilà. Une complexité, un chemin pas facile, pas évident, escarpé, rempli de malentendus, de doutes, de tout ce qu’on veut, de chutes multiples, on se relève, on retombe, on recommence, etc., bref… Le champ du désir est un champ marqué par l’imperfection, l’inachèvement. Eh oui, c’est spécifique au désir ; le manque… C’est pour ça que le désir en même temps ce n’est pas… il n’y a pas de quoi se pâmer. Ce n’est pas un accomplissement absolu, c’est quelque chose qui est marqué justement d’un défaut, d’une opération de soustraction, d’un moins. Ce que Freud a pu appeler la castration.
Qu’est-ce que c’est que ce terme barbare ? Mon dieu ! La castration c’est que quand je suis dans mon désir, c’est au prix de perdre un peu quelque chose, voilà. Il y a une perte là au milieu, moyennant laquelle je peux être porté par cette petite flamme dans l’existence. Le désir, par structure, ne peut jamais atteindre à son but. C’est toujours comme un chemin vers quelque chose mais qui n’atteint jamais complètement sa cible. C’est ce que, par exemple, les philosophes du côté de Kant ont si bien pu expliciter avec la notion du souverain Bien. Le souverain Bien, avec un B majuscule, c’est ce qui est à mon horizon, que j’essaie de suivre et que, comme tout horizon, plus je vais vers mon horizon et plus mon horizon s’éloigne et plus il faut que je continue à marcher pour me porter vers lui. Ce souverain Bien, il est tout à fait pris dans la dialectique même du désir, c'est-à-dire de me tendre vers quelque chose que je n’atteins véritablement jamais mais qui peut orienter ma vie entière comme une boussole. Le souverain Bien. Il est bien évident que le souverain Bien qui constitue un des choix possibles pour l’être humain, pour le parlêtre, pour celui qui parle et qui se pose la question de l’être parce qu’il parle – les animaux ne se posent pas la question d’être, c’est bien parce que nous sommes des êtres humains qui parlons que nous nous posons la question de l’être. L’autre voie possible est celle de l’hédonisme. L’hédonisme, c'est-à-dire le jouisseur immédiat contemporain qui n’est intéressé que par le flash, que par l’instantanéité, que par ce qui est susceptible non plus de se soutenir d’un manque pour lui mais qui vient se calmer en éteignant tout manque, ce qui vient suturer son manque, et c’est là que vous trouvez évidemment la réponse moderne du côté de la jouissance : comment est-ce qu’on vient éteindre les petits manques qui nous tiraillent, qui nous chatouillent, qui nous éveillent, d’une façon très simple : c’est la consommation. C’est une réponse orale, c'est-à-dire quoi ? C'est-à-dire se gaver non pas du grand Bien, de l’éthique kantienne, mais des petits biens avec le petit b, les petits objets qui viennent comme ça nous remplir tous les orifices pour nous calmer. Vous voyez l’écart qu’il y a entre ces deux types d’aspiration ? Ce ne sont pas les mêmes vies ! La vie au registre du désir et la vie au registre de la jouissance ce n’est plus du tout la même chose ! Il y a là une sorte de dichotomie, de division, qui clive en quelque sorte le monde en deux, en deux ensembles qui ne se superposent plus.
Alors, pour parler un peu du désir puisque vous comprenez sans doute que l’une des grandes missions de l’analyse est de permettre à quelqu’un de trouver sa place dans un désir. C’est ça la mission de l’analyse, qu’il arrive à articuler un désir et que ce désir lui permette de vivre ! Vous voyez que c’est un projet à la fois colossal et simple. Ce qui spécifie le désir, c’est que le désir est déterminé dans l’inconscient par une cause proprement inimaginable. On ne peut même pas l’imaginer cette cause, on ne peut même pas la penser, on ne peut même pas se la représenter. Notre désir n’est pas sous-tendu par quelqu’un mais par quelque chose qui n’est pas une chose comme un objet quelconque de notre monde, qui est un objet particulier lié à la langue et à l’inconscient. La fonction essentielle de l’analyse est de donner à cet objet cette place juste pour quelqu’un. Et puisque cet objet est inconscient et que cet objet ne peut pas figurer dans le monde, il ne peut pas être présent dans le monde, il est construit par la chaîne inconsciente. Il se trouve comme vous le savez – c’est un point qui nous éclaire beaucoup dans l’histoire – c’est que si par malheur on croit identifier cet objet dans le monde, ceci va être source d’un cataclysme. Prenons l’exemple du nazisme. Voilà donc que dans une société éminemment cultivée, hautement raffinée - la société allemande une culture depuis le Moyen-Âge, haute culture - dans une société donc, raffinée, civilisée, ouverte à l’altérité, à l’Autre, à tout ce que vous voulez, tout d’un coup, au nom d’un certain totalitarisme, voilà qu’une frange de la population se trouve identifiée à cet objet impossible, cet objet qui ne doit pas figurer dans le monde. Et donc, qu’est-ce qu’il se passe ? Cet objet, on va devoir le détruire. C’est toute la question de l’extermination des camps, bien entendu. Des gens qui, tout d’un coup, dans une société sont stigmatisés, comme ne pouvant plus y figurer, comme étant porteurs d’une chose qui ne peut plus figurer dans le monde des vivants. Cette question n’est pas une question propre au nazisme. Elle peut nous sauter à la figure à tout moment dans notre vie contemporaine ! Plus nous sommes entre semblables, plus nous tolérons et n’acceptons les sujets qui sont les mêmes que nous, plus nous nous inscrivons dans une homosexualité, pas sexuelle, une homosexualité au sens d’un amour simplement du même, c'est-à-dire que nous ne sommes plus tolérants avec ce qui est Autre et d’ailleurs vous savez que les femmes sont les premières à remarquer une société dans laquelle il n’y a plus de place pour elles, parce que les femmes sont toutes différentes les unes des autres et pour pouvoir trouver leur chemin, il faut qu’on laisse une place à l’altérité. Si on ne laisse pas de place à l’altérité elles sont immédiatement éjectées du système. Donc elles sont de très bons indicateurs de la place que l’on fait ou non à l’Autre, au grand Autre. Donc, ce problème-là est un problème tout à fait contemporain. Il se peut que dans cette société homo, l’amour que du même, tout ce qui va représenter une altérité va être taxé de cet objet a et donc il va falloir l’éliminer d’une façon ou d’une autre.
Pourquoi est-il si décisif de dégager cette cause : l’objet petit a du désir, et de permettre à quelqu’un de trouver le chemin du désir, pourquoi est-ce quelque chose d’aussi décisif ? Pour une raison très simple, c’est que si cette place du désir n’est pas ouverte pour quelqu’un, ce sujet va se trouver, en quelque sorte, exposé dangereusement, livré dangereusement à son idéal ; l’idéal qu’il a dans la tête. Et donc son rapport au monde n’est plus un rapport articulé par son désir mais un rapport articulé avec l’idéal qu’il a dans la tête, c'est-à-dire un rêve, un rêve parfaitement inadéquat avec le monde qui l’entoure. Et ce rêve qui témoigne d’une forme d’hypnotisme signale aussi que le sujet roupille, il dort, il n’est pas dans la vie, il n’est pas vivant ! Quand on va vivre selon le principe de son idéal on n’est pas dans la vie ! on est dans un rêve, on est dans un conte, on est à côté du conte, on passe à côté de l’histoire. Et si vous vivez en vertu de l’idéal qui est dans votre tête et que vous croyez que le monde doit être mis en conformité avec cet idéal, qu’est-ce qu’il se passe ? Il passe évidemment que vous allez vous trouver en permanence en opposition, en décalage avec ce monde et que la seule chose qui vous revient, qui vous échoit, ça va être de geindre, de vous en plaindre de ce monde si mal fait ! Cette complainte interminable, éternelle et stérile qui vous fait passer à côté de votre vie. Il y a des choses parfaitement surprenantes. Combien de gens qui ont eu une chance extraordinaire de faire, par exemple, des études supérieures, à qui on a pu donner un tas d’instruments pour repérer la lecture juste, pour avoir la rampe, la canne pour circuler dans le brouillard du monde qui nous entoure, ils ont tout ça dans les mains c’est une chance extraordinaire, eh bien au lieu d’en faire quelque chose pour circuler au bon endroit, non, pas du tout, ça va servir à alimenter cette plainte que le monde n’est pas en adéquation avec ce qu’il devrait être ; c’est terrible ! C’est une impuissance terrible. Et puis, comme vous le savez, quand cette complainte ne cesse pas et que ce monde paraît si terrible ça conduit à quoi ? Ça va conduire à vouloir réformer ce monde, à vouloir réformer l’être humain. Or toutes les tentatives de réformation de l’être humain ont toujours conduit au totalitarisme. Le totalitarisme a toujours été un fantasme de réforme et de réformation de la visée humaine et même de la conception de l’être humain, toujours, dans tous les cas. C'est-à-dire que ce totalitarisme se fixe toujours à l’horizon une croisade contre quelque chose, à entreprendre, et au nom de cette croisade à entreprendre, tout le monde s’engouffre là-dedans et, évidemment, dans les croisades, il y a toujours un responsable au malheur et c’est celui-là qu’on va se précipiter d’éliminer. Gardez l’exemple du nazisme en tête.
Est-ce que vous vous rendez compte que dans un pays aussi riche que le nôtre, où nous avons autant d’avantages, personne ne reconnaît cette chance extraordinaire d’avoir vécu dans une Europe et en particulier dans une France qui a pu faire place à cet État-providence – je veux dire que nous vivons dans une protection… quand vous allez aux États-Unis c’est incommensurable ! Les gens perdent leur travail, c’est terminé. Nous avons cette chance extraordinaire de vivre dans un monde où l’État a veillé à une certaine protection du citoyen, et nous ne sommes encore pas contents ! Et on continue à taper sur cette politique, sur ce pays, sur ceci, sur cela… mais où allons-nous ? Ce qui dicte nos orientations, aussi bien notre main dans les urnes quand nous votons, ce qui dicte ces choses-là c’est tout simplement ce choix que nous faisons ou que nous ne faisons pas pour le désir contre la jouissance, ou pour la jouissance contre le désir. Ça se limite à ça ! C’est la jouissance et le choix pour la jouissance qui crée cette insatisfaction, et cette insatisfaction ne peut que s’auto-engendrer elle-même. Quand on est dans le champ de l’insatisfaction, la seule chose que l’insatisfaction produit c’est une insatisfaction encore plus grande ! L’insatisfaction ne peut jamais conduire à régler l’insatisfaction, mais toujours à l’amplifier, à la majorer, à la rendre redondante, puis l’étape suivante, comme vous le savez, c’est la dépression et l’étape d’après encore, c’est la fermeture. Alors j’espère que vous l’aurez compris : pourquoi cette insatisfaction se maintient-elle alors même qu’elle crée au premier abord le malheur du sujet ? Cette insatisfaction se maintient par-devers tout parce que derrière elle, se cache une jouissance, une jouissance à laquelle le sujet ne veut pas renoncer, voilà ! le grand secret de la névrose et de son impasse.
La névrose se maintient et maintient le sujet dans le champ de ses frustrations infantiles, la névrose maintient le sujet dans l’insatisfaction qui fut la sienne lorsqu’il était au b, a, ba de son existence et elle ne veut le maintenir que là, ne pas lui permettre de faire un pas supplémentaire, lui permettre de se nourrir de son traumatisme, c’est ça la névrose !
Il y a quand même un point sur lequel je vais essayer de lever une ambiguïté qui me parait invraisemblable, une ambiguïté qui existe, je trouve, même dans le propos d’un bon nombre de nos collègues analystes, ce qui me surprend encore plus, qui est une confusion à propos de la question de l’insatisfaction justement. Il y a une sorte de confusion entre les paroles de Freud qui peut énoncer des choses comme le désir doit toujours rester insatisfait et le pas de plus, qui est un pas fautif, qui est fait du côté que le sujet devrait être insatisfait, pas du tout ! pas du tout !
Quand Freud dit : le désir est insatisfait, qu’est-ce qu’il dit ? Il dit ce que je vous faisais miroiter tout à l’heure, c’est-à-dire que dans la structure même du désir, le désir ne trouve aucun objet concret dans le monde qui le fasse taire une fois pour toutes. Et quelle chance ! parce que si ce désir trouvait un objet qui le faisait taire une fois pour toutes mais nous serions morts, ce serait fini, on pourrait aller dans la tombe, il n’y aurait plus rien à trouver, il n’y aurait plus rien à chercher, il n’y aurait plus rien à souhaiter, il n’y aurait plus rien.
Donc le désir est insatisfait. Ce n’est pas qu’il crée une insatisfaction, c’est qu’il est insatisfait dans son mouvement même puisqu’il cherche toujours du nouveau, il va toujours vers ce qui nous manque pour nous maintenir vivants donc par conséquent, la structure du désir c’est qu’il est insatisfait, c’est une insatisfaction essentielle, fondamentale, vitale, qui nous tient debout. Puis il y a autre chose qui est là l’erreur du névrosé, et en particulier une erreur que l’hystérique a très bien repérée et que Freud a repérée dès le début de ses travaux, c’est que l’hystérique, elle en rajoute une couche. Mais ce n’est pas que l’hystérique, tout névrosé en rajoute une couche, c’est-à-dire qu’il a tellement peur que le désir pourrait peut-être conduire à une satisfaction qui ferait que peut-être tout s’arrêterait que, par conséquent, il évite le désir lui-même et en évitant le désir, là évidemment il tombe dans l’insatisfaction.
Mais voyez l’erreur, c’est complètement fautif, même si je me pousse dans le désir en permanence, il n’y a aucun risque que je touche cet objet qui viendrait l’arrêter. Alors je n’ai aucune raison d’être en position de défiance par rapport au désir, j’ai absolument aucune raison comme c’était le cas dans l’Antiquité de considérer le désir comme quelque chose de diabolique, qui devait faire terminer sur un bûcher… tellement diaboliques ces femmes qui s’adonnaient à leurs désirs qu’il fallait les brûler tout de suite. Ça, c’est un fantasme aberrant !
Le désir concerne le champ du langage. C’est une construction d’ordre langagier. Il n’y a donc pas d’objet concret du monde qui puisse y répondre puisque c’est une construction langagière, aucun risque d’être satisfait.
Dire que le désir relève d’une fonction langagière, je vous signale que c’est une abomination dans le monde d’aujourd’hui, ça va complètement à contre-courant puisque le monde d’aujourd’hui avec, par exemple, un certain nombre d’applications de la science veulent réduire l’homme non pas à sa dimension langagière, aux jeux de la langue, à la métaphore, à la métonymie, enfin tout ce qui est dans les livres d’analyse, non ! réduire l’homme à sa biologie, c’est complètement un autre projet que celui-là ! Or réduire l’homme à sa biologie, dire il est déprimé c’est tel neurotransmetteur, c’est telle substance chimique qui manque par exemple. Mais le problème, ce n’est pas la biologie ! Évidemment que l’être humain a un corps et qu’il y a un certain nombre de réactions dans son corps qui sont transmises par la biologie. Quand votre copine vous plaque, si vous faites une crise d’angoisse, évidemment cette crise d’angoisse va se véhiculer dans votre sang à travers les catécholamines qui vont accélérer le cœur, tendre le ventre, serrer la gorge, bien sûr ! Personne ne nie que le corps a un support biologique dans l’expression des symptômes qui se fomentent en lui bien sûr ! mais ça ne veut pas dire que la cause de l’angoisse c’est les catécholamines, la cause de l’angoisse c’est l’expérience subjective que vous êtes en train de vivre : de passer cet examen qui vous fait peur ou de cette relation amoureuse qui est en train de vous lâcher et qui vous plonge dans le désarroi le plus total, la cause elle est là.
Or le biologisme ambiant veut considérer que la cause humaine est biologique, c’est tout à fait autre chose. Dire que la cause humaine est biologique, c’est aussi paradoxalement un projet qui, chaque fois, est venu alimenter les totalitarismes, que ce soit le nazisme ou que ce soit ce qui s’est passé du côté des blocs de l’Est.
Chaque fois, on veut réduire l’homme à sa biologie, c’est pratique.
Quand vous réduisez l’homme à sa biologie, vous pouvez évidemment ramener les notions de race, c’est du biologique, et à partir de là, on édicte des normes puisque la science édicte toujours des normes. Le problème des normes c’est qu’elle constitue, à chaque coup, des motifs pour exclure puisqu’il y a toujours des gens qui ne rentrent pas dans les normes. Chaque fois que vous édictez une norme, vous créez du rejet, de l’éjection, de la discrimination parce qu’il y a toujours des gens qui ne rentrent pas dans la norme et c’est le propre de l’être humain précisément que de toujours faire défaut à la norme.
Voyez comment ce projet moléculaire de l’homme, et bien sans être complètement paranoïaque, vise quelque chose de très particulier, y a d’emblée une visée là-dedans. Une visée de marginalisation, marginalisation de ce qui fait la spécificité de l’homme, à commencer par ce fameux désir tellement embêtant, parce que le désir c’est embêtant, le désir il n’est jamais d’accord avec la loi générale, avec ce qu’on nous édicte comme valable pour nous tous. Y en a toujours un pour dire : oui mais moi…
Ce oui mais, c’est là que le sujet subsiste dans ce oui mais, d’accord, je suis d’accord mais enfin quand même en ce qui me concerne, ce n’est pas valable pour moi.
Notre désir est lié à un fait de langage, ce fait de langage je ne vais pas le développer aujourd’hui ici devant vous. Mais ce fait de langage nous pousse toujours du côté d’un mouvement, c’est ça le désir, c’est dans un mouvement, c’est ce que les Grecs dès l’origine ont pu élaborer, le moteur immobile etc. Donc on voit bien que la question du mouvement, c’est la question de notre animation, de ce qui nous maintient vivant. Et vous voyez aussi que cette recherche effrénée du confort va à l’encontre de ce désir, le désir c’est toujours ce qui vient déranger notre confort. Vous êtes là installé dans une relation qui roupille et tout d’un coup, le désir surgit et alors là, c’est la catastrophe, tout est bouleversé, tout fout le camp. Vivre au régime du désir ne produit aucune insatisfaction même si le désir doit être insatisfait, c’est-à-dire jamais content de ce qu’il attrape puisque c’est toujours une quête de nouveauté qui peut venir le nourrir. Le désir n’est jamais insatisfaction en lui-même.
Alors vous allez me dire : qu’est-ce que c’est que l’insatisfaction du sujet puisque le désir n’est pas l’insatisfaction, d’où ça vient l’insatisfaction du sujet ?
L’insatisfaction du sujet, elle est précisément quand ce sujet ne parvient pas à se tenir dans son désir, et quand le sujet ne se tient pas dans son désir, la seule chose qui lui reste c’est de se tenir dans sa demande. C’est parce que le sujet marche au régime de la demande et non pas du désir qu’il est voué à cette insatisfaction. Qu’est-ce qu’une analyse en fin de compte ? Ce n’est certainement pas une thérapie. Une thérapie, elle s’occupe simplement des symptômes et elle ne va pas au-delà. Elle nous apprend, la thérapie, à vivre convenablement avec nos symptômes.
L’analyse, elle, a une dimension thérapeutique bien sûr mais son but ne s’arrête pas là, son but va au-delà de la dimension thérapeutique. La thérapeutique, c’est comme faire le ménage de la maison, le dépoussiérage mais sûrement pas la grande remise en cause ! sûrement pas les grands travaux de structure ! sûrement pas les grands chantiers !
L’analyse par opposition à cette dimension purement thérapeutique, c’est donc de permettre une remise en ordre au regard du désir et plus particulièrement, une remise en ordre vis-à-vis de la cause de ce désir. C’est ça le message et le secret essentiels de la cure. Et seule une analyse y parvient.
Je vous fais même remarquer un pas supplémentaire, c’est que si ce désir ne parvient pas à émerger, si
cette cause ne parvient pas à s’articuler, et bien à la sortie du processus, vous n’avez pas de sujet non plus ! Le synonyme de désir c’est sujet. Il n’y a de désir qu’à partir d’un sujet et de sujet qu’à partir d’un désir. Celui qui reste accroché à la dimension de la demande n’est pas un sujet, il est lui-même un objet. C’est un objet qui se refuse à devenir un sujet. Or, cette émergence dans le processus de la cure d’un sujet, d’un sujet affublé d’un désir, ceci n’est possible qu’à travers un acte, un acte que nous appelons l’acte psychanalytique. Qu’est-ce que c’est qu’un acte ? Je l’ai dit mille fois et je le répète : un acte, c’est la survenue d’un fait qui désormais implique que tout ce qu’il y aura lieu après n’aura plus jamais rien avoir avec ce qui était avant. Quelque chose d’absolument décisif, une coupure comme ça décisive qui s’inscrit et qui vient ouvrir un champ parfaitement inédit, parfaitement nouveau.
Quelque chose d’inédit a eu lieu.
Et à partir de cet acte donc, la manière d’appréhender la vie, la manière d’appréhender le monde, la façon de circuler dans l’existence va s’avérer complètement remaniée. Or, c’est un véritable problème, cette affaire de l’acte aujourd’hui car vous n’êtes pas sans savoir que de nombreux sujets, enfin sujets non ! de nombreux individus après une cure, force est de constater que l’acte n’a pas eu lieu pour eux.
Ce sont des analyses sans acte, sans désir, sans émergence d’un sujet. Et quand vous discutez avec ces sujets, vous entendez qu’il y a des secteurs entiers de la subjectivité qui n’ont pas été touchés, c’est-à-dire qui restent sous l’emprise de l’image par exemple, qui restent sous le coup de cette instance épouvantable, de ce boulet qu’on se traîne et qui s’appelle le moi, cette instance de la prestation, cette instance de la prestance, cette instance qui cherche toujours à faire valoir la brillance de quelque chose, la supériorité - mais y a aucune supériorité - qui veut toujours faire valoir la supériorité de quelque chose. Des zones entières où ça ne fonctionne pas comme un sujet mais comme un pantin, comme une coquille vide, comme un monstre narcissique et imaginaire qui passe son temps à récriminer tout le temps. Le triomphe de la méconnaissance, dit Lacan, ou si vous voulez le triomphe des connaissances, c’est pareil ! C’est-à-dire le triomphe des connaissances et sûrement pas de ce savoir inconscient. Connaissance et savoir, ça n’a rien à voir ; ce n’est plus quelqu’un qui est guidé par son savoir inconscient, son savoir insu qu’il n’a pas appris, il sait, il le sait, il sait que cette sexualité-là c’est la sienne, c’est là-dedans qu’il doit s’inscrire et pas dans une autre, on ne le lui a pas appris, il le sait, voilà son savoir inconscient, son savoir insu. Ben, non ! Y a des gens qui sont guidés par la brillantine, il faut que ça brille, il faut que ça impressionne, des secteurs entiers du moi, des secteurs entiers pas touchés par une émergence subjective.
Vous savez que c’est un problème très grave, très grave parce que s’il y a des analystes sans acte, c’est aussi l’avenir de la psychanalyse qui est en jeu car l’analyse, ce n’est pas des connaissances. La psychanalyse, c’est quelqu’un qui en a fait l’expérience, lui, de cette traversée horrible de son propre moi paranoïaque, qui a émergé de son moi paranoïaque, et qui se trouve tout d’un coup un sujet du désir, qui est même assujetti à son désir. Et alors il va, à partir de son savoir insu, pouvoir conduire aussi quelqu’un à faire son chemin pour lui-même mais si ce truc-là n’a pas eu lieu, comment vous le transmettez ? Vous ne le transmettez pas, c’est perdu.
Vous voyez que le choix est bref : soit la pulsion, la jouissance, la logique de la demande, le narcissisme, la dépression, l’insatisfaction, tout ça c’est du même acabit et dans le même sac ou de l’autre côté, cette transcendance qui nous fait trembler parce qu’on ne sait pas où elle nous conduit, c’est-à-dire cette émergence du magma qu’on appelle le désir.
Alors j’allais vous en donner du côté du savoir, des connaissances mais je ne vais pas le faire… mais peut-être que si je vais le faire… je crois que j’ai quand même envie de le faire pour un tout petit peu vous éclairer, de façon un peu plus analytique, ce que je vous ai dit là sur cette conversion de la demande au désir.
Pourquoi est-ce que le sujet lorsqu’il est dans sa demande est toujours insatisfait ? Pour une raison très simple : c’est que la structure de la demande est une forme d’aveuglement permanent. Lacan nous dit d’ailleurs, c’est pour ça qu’il a inventé le terme de lettre, une lettre. Voyez bien une lettre, quand vous êtes devant une lettre, qu’est-ce que c’est ? On n’en sait rien. C’est quoi une lettre ? On ne sait pas, ça veut rien dire une lettre a, b… c’est quoi ? Rien.
Donc il y a à côté de la dimension du signifiant, c’est-à-dire quelque chose qui peut être symbolisé, quelque chose qui n’est jamais symbolisé et qui relève de la lettre. Et, il nous fait entendre que dans le champ de la demande, ça marche autour d’une lettre, c’est-à-dire que le manque qui est dans la demande et qui crée l’insatisfaction est insupportable pour le sujet et cet insupportable, par conséquent, pousse à faire une demande pour combler ce trou-là qu’il ne peut pas supporter.
Mais lorsque vous énoncez une demande, c’est un truc typique de la demande elle-même, vous ne savez pas vous-même ce que vous demandez dans ce que vous demandez, et si on répond à ce que vous avez demandé, vous vous apercevez bien que ce n’est pas ça que vous vouliez. Donc quand vous êtes dans le champ de la demande, vous êtes vous-même dépossédé de la visée de votre propre demande, vous ne savez pas ce que vous demandez.
Et celui qui entend votre demande est tout aussi désemparé que vous parce que lui-même n’entend pas ce que vous voulez, il ne l’entend pas non pas parce qu’il est incapable, et vous ne l’entendez pas non pas parce que vous en êtes incapable mais parce que ceci tient à la structure même de la demande à laquelle il manque toujours une lettre. La demande est frappée par la malédiction de la lettre, c’est-à-dire par quelque chose qu’on ne peut pas symboliser, qu’on ne peut pas articuler, qu’on ne peut pas même prononcer, qu’on ne peut pas énoncer. Donc si on ne peut pas l’énoncer, on ne peut pas s’en débrouiller de cette histoire, c’est indébrouillable.
C’est ça le malheur au cœur de l’être humain. C’est cette lettre non symbolisée qui est toujours là et qui court dans la demande.
Alors vous voyez bien l’embarras d’une mère, le petit il veut un bonbon, vous lui donnez un bonbon, il re-veut un bonbon, vous lui redonnez un bonbon, il en veut encore un autre… Voyez c’est infini, c’est-à-dire que soit vous essayez de calmer sa pulsion en répondant concrètement à des objets pulsionnels et qu’est-ce que ça fait ? ça relance encore plus la pulsion donc vous répondez du côté de la pulsion, vous entretenez la pulsion puisque, par définition, cette pulsion, c’est-à-dire cette demande ne peut jamais se formuler, se préciser donc on ne peut jamais y répondre. Donc vous répondez du côté de la pulsion et vous tapez faux. En tapant faux, et en répondant dans le champ de la pulsion, vous ne répondez pas à l’au-delà de la pulsion qui serait l’amour. Quand il vous demande un bonbon, vous pouvez aussi le prendre dans vos bras, vous l’embrassez mais oui mon chéri je t’aime, et vous ne répondez pas dans le champ pulsionnel mais dans le champ de l’amour, de ce qui est situé au-delà de la pulsion. Mais si vous répondez du côté du champ de l’amour, comme vous le savez, vous ne répondez pas du côté de la pulsion donc vous frustrez la pulsion donc, ça ne va pas non plus puis quand vous répondez dans le champ de l’amour, il n’y a aucune preuve d’amour – voyez bien quand on demande l’amour, on n’a jamais de preuves, de certitudes concernant l’amour — donc là aussi même si on répond dans l’amour, on est insatisfait car on n’est jamais sûr d’être vraiment aimé.
Du côté de la demande, de la pulsion, c’est l’enfer de tous les côtés que vous vous tournez, de quelque manière que vous attrapiez la question, ça ne va pas et ce n’est pas ça !
D’où cette conversion possible du désir qui, du coup, ne fonctionne plus comme précédemment poussé par ce trou, ce défaut qui est insupportable mais qui, au contraire, va transfigurer ce défaut qui était insupportable, pour en faire non plus quelque chose d’insupportable mais quelque chose d’essentiel qui va vous pousser dans votre désir.
Ce qui était la cause de votre malheur devient le moteur qui vous fait vivre, vous imaginez ce changement colossal, c’est absolument impensable et y a que l’analyse qui a trouvé ce truc-là !
Il a fallu attendre 1900 et des poussières pour qu’on puisse découvrir un truc pareil !
Donc, pourquoi est-il si difficile de guérir de l’insatisfaction ? Et bien simplement parce que le sujet ne veut pas savoir, il se maintient dans son ignorance, c’est-à-dire qu’il refuse d’entrer dans le champ de ce qu’il ne connaît pas, qu’il refuse d’entrer dans le désir. C’est incroyable !
Je vais vous faire une confidence, je vais vous expliquer comment je suis entré dans la psychanalyse, comment j'ai découvert la psychanalyse. J'avais quinze ans lorsqu'un jour, on glisse dans mes mains ce livre qui s'appelle L'interprétation des rêves, je l'ouvre au hasard sur la page 115.
Je l'ai gardée écrite parce que ça, vous savez ce genre de révélation, il n'y en a pas cinquante dans la vie et voilà ce que je lis, trois phrases, un rêve de Freud sobre, peu de chose, voilà ce qu'il dit :
"Ma femme me donnait à boire dans un vase"…
pas mal, pas mal déjà… de quel vase s'agit-il ?… le fantasme s'ouvre !
"…une urne étrusque" ! (rires)…
toute la culture du monde occidental concentrée sur cette femme, mais c'est bien son phallus, il a bien rencontré sa déesse ! formidable ! Le jeune homme que je suis continue la phrase de l'époque :
"…une urne étrusque que j'avais rapportée d'un voyage en Italie et que j'avais donnée depuis."
ah ! un manque, ce truc tellement important, il s'en est dessaisi, il l'a donné, ah, ça lui manque …
"Mais le goût de l'eau était si salé que je me réveillai".
Alors ça, même Freud était frappé d'insatisfaction sexuelle. Sa femme lui donne à boire mais c'était de l'eau salée, qu'est ce que c'est cette histoire, voyez comme c'est intéressant… C'est intéressant parce que… Qu'est ce qu'il en fait Freud de ça ? Il continue à se pleurnicher sur le fait que ... pas du tout, ça ouvre chez Freud tout le champ du désir du sujet qui va être celui de vouloir décrypter le rêve, de trouver un désir là-dedans.
Pas en rester à ce premier degré d'insatisfaction qui est humaine, on la rencontre partout l'insatisfaction mais ce n’est pas ça qui l'intéresse, c'est comment trouver un chemin pour aller au-delà de cette insatisfaction. C'est absolument incroyable et bien quand j'ai lu ça à quinze ans, j'ai décidé que je deviendrai analyste ! et en même temps je ne savais pas du tout pourquoi ce texte-là m'avait tellement frappé.
Je veux dire que l'insatisfaction, la demande, le désir j'en avais absolument aucune idée mais j'étais frappé par cette chose particulière qu'il y avait des gens qui restaient pétrifiés, morts comme des momies toute leur existence à pleurnicher sur leur insatisfaction tout en ne faisant rien pour que ça change et puis il y avait des gens qui pouvaient rencontrer cette dimension mais qui au lieu de rester là avaient trouvé grâce à ça une sorte de poussée pour aller comprendre ce que ça veut dire, mais parce que déjà le souhait de décrypter, de lire l'inconscient, c'est déjà un désir, c'est déjà un sujet.
Pourquoi n’en est-il pas resté à son énoncé idiot, banal, de son rêve ?
Non à partir de là, vous avez six cents pages d'un bonhomme qui n'arrête pas de chercher pourquoi, comment, quand on rêve ça, est-ce qu'on ne pourrait pas entendre autre chose etc. C’est-à-dire d'ouvrir le champ d'un désir, d'un désir de lire, d'un désir de savoir, d'un désir de décrypter et je crois que ce qui anime beaucoup d'analystes c'est ça, c'est à cet endroit-là, c'est à cet endroit-là…
Bon voilà ce que je voulais vous dire ce soir.
***
Vous avez peut-être des questions ? Peut-être que vous êtes insatisfaits de ce que je vous ai dit ?
X : inaudible.
Gérard Amiel : Il est vrai que si nous n’entrons pas dans cette dimension du désir qui est la spécificité humaine, qu’est-ce qu’il y a de tellement humain en nous ? Je faisais remarquer à quelqu’un ceci, c’est que la pente naturelle, ce n’est pas forcément le raffinement, ce n’est pas forcément la civilité ou la civilisation. Freud nous montre bien que le refoulement de la pulsion c’est toute une opération qui n’est pas forcément simple, que nous sommes dans un monde où visiblement si l’on veut maintenir vivants la jouissance et l’hédonisme, c’est quand même au prix d’éviter un certain nombre de refoulements pulsionnels et que ce n’est pas cela qui nous rend très humains les uns avec les autres.
X : inaudible
Gérard Amiel : Le regard c’est un des objets cause du désir, tout à fait. De toute façon quand un homme et une femme sont ensemble ils ne sont jamais deux, on n’est jamais deux, jamais. Déjà il y a le langage, déjà cela fait trois et puis lui, il a quoi ? Il a éventuellement la maman qui a donné certaines empreintes, le papa, elle aussi, le lit devient vite habité ! C’est quand même un fait avéré que bon nombre de difficultés entre les hommes et les femmes ne sont que des répétitions des marques premières de la relation par exemple avec la mère. Voilà, donc il y a bon nombre de situations d’impasse qui ne sont pas du tout liées aux personnages mis en présence, mais simplement lié à tout le ……. qui resurgit quand il ne faudrait pas.
X : le mot conjugal vient dire justement qu’il y a quelque chose à conjuguer…
Gérard Amiel : On se conjugue, le problème c’est qu’il a beaucoup de gens qui ne se conjuguent plus au futur, ils se conjuguent au passé, c’est bien malheureux. Ou ils se conjuguent au conditionnel, il faut beaucoup de conditions pour que ça se conjugue…
X : « Le passé est un phare, mais non un port »…………….
Gérard Amiel : Le retour au passé, nécessaire, indispensable pour l’analyse, j’insiste, je ne suis pas en train de dire pas de passé, non, indispensable, il faut le visiter, le revisiter, le sur-visiter, et surtout avec la perspective de la vie sexuelle infantile, ça, c’est déterminant, mais ce n’est pas en vue de rester bloqué sur les impasses. Une analyse ce n’est pas de constater le désastre et de rester pétrifié d’horreur, c’est de voir ce qui ne va pas, pour ensuite pouvoir en faire autre chose. Et Il faut le dire.
X : inaudible
Gérard Amiel : Ce souverain Bien des philosophes nous les analystes, c’est ce qu’on appelle « c’est quoi le phallus ? » c’est cela le phallus, c’est quelque chose qui porte un certain nombre de principes, c’est-à-dire : « tu ne jouis pas tout de suite, tu te retiens un peu, d’abord tu renonces un peu à ta jouissance avant », c’est le renoncement à l’immédiat OK. On ne les énonce pas ces choses-là, elles sont implicites. On voit bien comment on élève les enfants par exemple, ils veulent un truc, ils l’ont tout de suite, ou ils ne l’ont pas, ou bien « tu vas l’avoir, mais avant tu vas travailler un peu ». Il y a tout une manière d’apprendre à un enfant à entrer dans cette dimension du souverain Bien. Donc ce souverain Bien ce n’est pas un idéal, on y entre, on fonctionne là-dedans. C’est ce qui organise les relations entre les hommes et les femmes d’ailleurs.
Question…….
M. Amiel : la question que vous posez c’est quelle relation fait-on entre la Chose et le Phallus ? C’est une question très intéressante. Cela a à voir mais ce n’est pas tout à fait pareil. Effectivement ça a un lien mais ce n’est pas tout à fait la même chose.
Question……..
M. Amiel : Cette Chose ce serait comme ce qui serait visé dans le désir pour de vrai, ce serait comme ça, inaccessible par la parole. Mais ce serait ce que viserait le désir, alors que l’objet a ce n’est pas ce que vise le désir, c’est ce qui provoque le désir. C’est-à-dire qu’il y a une différence entre l’objet du désir, l’objet cause du désir, l’objet de la pulsion, l’objet du fantasme, tout ça c’est très proche mais en même temps il y a des nuances, ce n’est pas exactement pareil. Mais je ne veux pas entrer dans tout cela ce soir.
Question……..
M. Amiel : L’analyse nous fait désidéaliser toujours, toujours. Vous voyez bien comment cette fonction de la parole, si elle nous fait désidéaliser. Si, si j’insiste c’est très important cela. On ne va pas vouloir constituer un couple idéal, par exemple, qu’est-ce que c’est que ça ? On va moins persécuter les gens de son entourage, c’est-à-dire qu’on va accepter les gens comme ils sont, enfin quand même, pourquoi on voudrait qu’ils soient comme ci, comme ça. Vous voyez ce fait de vouloir que l’autre soit de telle ou telle manière, cela, c’est le trait idéal, par exemple. Dans le désir vous prenez l’autre comme il est.
Question……….
M. Amiel : Le désir ce n’est pas forcément l’objectif professionnel. Le désir ce n’est pas l’accomplissement que l’on croit que le désir vise. C’est toujours à côté. Parce que votre idéal de réussite professionnelle, OK, mais vous voulez être avocat, vous l’êtes, mais une fois que vous l’êtes, vous vous rendez bien compte que c’est bien mais ce n’est pas tout.
Question……..
M. Amiel :………. À gauche vous avez des gens qui sont pour le désir et d’autres pour la jouissance, et à droite l’inverse, c’est-à-dire que vous voyez bien que pour le coup cette division droite gauche, elle ne tient pas la route, elle ne tient pas la route une minute, pas du tout. C’est cela qui est sympathique d’ailleurs, c’est que ça vient complètement subvertir le truc. Cela ne veut rien dire « je suis de gauche », ou ça ne veut rien dire « je suis de droite », enfin ça ne devrait rien vouloir dire. Je veux vivre dans la complainte, ou je veux accepter d’allumer cette fusée qui me fait avaler l’espace, et puis après on voit. Voilà. Bien sûr qu’il y a des ratés, ce n’est pas grave les ratés. Et ces ratés c’est aussi comme cela qu’on apprend la vie. Et c’est vrai que l’on est dans un monde très intolérant avec ça. Les deuils, les ratés, tout ça, c’est-à-dire quoi finalement ? Vous voyez vous m’aidez à préciser les choses. Vous voyez bien que quand on refuse toutes ces dimensions-là, c’est qu’on est encore dans une vision idéale de l’homme, parce que la dimension de la faille, ce n’est pas un défaut en l’homme, c’est une qualité. Ce qui fait que nous sommes humains c’est que nous sommes frappés par cette faille, par ce défaut qui fait que l’on ne sait pas, que l’on fait comme on peut, et parfois pas tellement bien, et c’est cela qui fait de nous des êtres humains. Ce n’est pas de se présenter comme ça, comme des PDG infaillibles, ça n’existe pas, c’est du bluff, c’est du moi cela, ça n’existe pas, même la Reine d’Angleterre a des états d’âme. Si, si je vous assure, des états d’âme qui la torture, je vous assure que c’est vrai. Donc vous avez la fonction de la représentation, qui est une chose, et puis derrière cela vous avez un sujet divisé. Et si le roi ou la reine n’était pas divisé(e) et qu’il se prenait vraiment pour le roi ou la reine, alors là on aurait du souci à se faire. C’est arrivé quelquefois. Par exemple Louis II de Bavière, c’était un roi qui se prenait pour le roi, et il était fou. Il se prenait pour le roi à tout moment, même dans son intimité il était roi. Alors qu’est-ce que vous faites avec cela ? C’est terrible, mais cela arrive dans notre vie sociale. On rencontre le chef de service qui se prend pour un vrai chef de service, vous faites quoi avec cela ? C’est difficile. Nous sommes des sujets, nous sommes frappés par une faille et cette faille n’est pas une imperfection, elle est la condition de notre humanité. Voilà.
Question………..
M. Amiel : Je n’ai pas du tout parlé de bonheur !!!!! Vous voyez comme je suis habile !!!!! Il y a des choses dangereuses que j’évite. J’évite la liberté beaucoup…….. Mais le bonheur ça existe, Lacan vous dirait « c’est le bon heurt », c’est-à-dire la parole qui vient tout d’un coup vous faire entendre la vérité. Les gens qui n’ont pas rencontré des difficultés dans la vie sont débilisés. Moi il m’arrive d’entendre des gens de trente, quarante ans, ils n’ont jamais rencontré aucune difficulté, donc ils planent, ils ont plané, ils planent depuis toujours, eh bien il y a des gens qui ne rencontrent pas le Réel, un impossible qui leur tape dans la tête. Et je vais vous dire, c’est une chance de rencontrer un Réel qui vous fasse tomber, parce que c’est aussi à partir de là que l’on peut avancer sur un certain nombre de choses, et être sujet au bon endroit, puis cela peut nous permettre de nous déplacer là où il faut. La vie ce n’est pas un long planage qui n’en finit pas, ce n’est pas vrai.
Question……. En politique la révolution française a été amenée sur un nid d’insatisfactions……
M. Amiel : Qu’est-ce que ça a fait après ? On s’est tapé Napoléon, pire dictateur, on a eu dix ans de terreur. Et est-ce que vous croyez pour autant que cette dimension de la royauté a disparu, elle n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui ? Qu’est-ce qu'on a gagné ? L’autre jour je parlais……
Question : L’esclavage…….
M. Amiel : L’esclavage, oui je suis d’accord, l’esclavage, l’esclavage. Comme disait, je ne sais pas si c’est Diderot, non peut-être pas, je retrouverai…. « L’esclavage n’a jamais aussi été poussé que depuis que l’on a dit qu’on l’avait aboli », Ce qui vrai, ce qui est vrai, on se permet des trucs aujourd’hui dans les boîtes, dans les entreprises, c’est honteux. On se permet des choses aujourd’hui qui vont contre la dignité humaine, c’est honteux, et comme on pense qu’il n’y a plus d’esclavage, ça ne se dénonce même pas.
Attention, je ne suis pas en train de dire que je suis contre la révolution, ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. Ce que je veux dire c’est que nous avons une forme d’endormissement qui est provoqué par des clichés, on a des clichés = « la révolution donc est terminée ». Mais non cette question-là est toujours vivante, toujours. « L’homme est un loup pour l’homme », Hobbes nous l’a dit, et cela continue. Ce n’est pas parce que l’on a aboli la royauté que c’est terminé, ce n’est pas vrai. La révolution a été un truc absolument épouvantable, épouvantable. Napoléon est venu derrière, et cela a été encore pire. Il a envoyé se faire tuer des milliers de millions de gens, cela n’a pas réglé le problème.
Question………….
M. Amiel : …… L’acte on ne peut jamais savoir s’il a eu lieu, s’il aura lieu, s’il a eu lieu tant qu’il n’aura pas eu lieu. C’est un pari. C’est un pari que fait l’analyste d’abord. Je veux dire que s’il existe des entretiens préliminaires, ce n’est pas pour rien, c’est parce qu’il s’agit d’essayer d’entendre si là, il y a une chance que cette opération ait lieu. Bon alors, si elle a une chance d’avoir lieu l’analyste fera tout ce qu’il faut pour qu’elle ait lieu, mais il se peut que le sujet, enfin je dis le sujet, il se peut que l’individu ne veuille pas qu’elle ait lieu. Et l’analyste pourra faire le 200 m autour du divan, le saut périlleux, tout ce que vous voulez, ça n’y changera rien. Et « ce » en dépit de la demande initiale. La demande initiale qu’est-ce que c’est ? C’est souvent autour par exemple d’un symptôme.
C’est cela : « J’ai tel symptôme, j’aimerais pouvoir en être allégé » C’est très bien. Mais est-ce que le sujet va se contenter d’un allégement symptomatique ? Et puis une fois que ça va aller mieux… Ou est-ce qu’il va profiter de ce que cela a enclenché pour aller au-delà ? Cela vous ne le savez pas à l’avance. Vous devez laisser la chance à tout le monde, tous les gens qui font une demande il faut qu’ils soient entendus et que le travail soit fait comme il doit être fait, mais après on ne sait pas. Vous avez des gens qui sortent dans une haine de l’analyse absolument épouvantable, et de l’analyste n’en parlons pas. Un jour j’ai quelqu’un qui m’a dit, c’est tout à fait vrai : « Vous avez bien de la chance que l’on vive en France » !! Je lui ai demandé « pourquoi ? » « Parce que si on était aux États Unis le port d’armes serait autorisé et vous ne seriez plus vivant » !! Voyez ça comporte des risques !!!!!! Bon, je vous souhaite une bonne soirée
Bibliographie : L'interprétation des rêves, chapitre III, rêve de soif, p, 114, Éditions PUF, 1976.