Conférence d'introduction à la psychanalyse 2014-2015
Je vous ai proposé, pour ce soir, ce titre du lien spécifique de l’angoisse avec l’idée de mort dans la névrose obsessionnelle. Évidemment, vous avez en première impression, sans doute, qu’il s’agit de manifestations communes de cette clinique de la névrose obsessionnelle. En fait ce qui est contenu dans le titre est bien la relation à la fois consciente et inconsciente qui existe dans la névrose obsessionnelle et qui est là, comme je vais essayer de vous l’expliciter, spécifique à la névrose obsessionnelle. Il faut savoir que cette clinique de la névrose obsessionnelle a été décrite par Freud d’une façon tout à fait magistrale pour la raison bien simple que cette pathologie est véritablement démonstrative de la manière dont elle est dictée par le signifiant. Dans la névrose hystérique c’est beaucoup plus masqué que dans la névrose obsessionnelle.
Pour quelle raison vous ai-je proposé la distinction de ce lien spécifique entre angoisse et idée de mort ? Tout simplement parce que les situations cliniques que nous rencontrons où se manifeste l’angoisse d’une manière préférentielle sont extrêmement nombreuses et diverses, je ne parle pas là de la névrose obsessionnelle. Vous trouvez de l’angoisse dans pratiquement tous les types de pathologie ; dans toutes les névroses, vous pouvez rencontrer des manifestations d’angoisse ; même dans les psychoses, existent des manifestations d’angoisse. Alors que dans la névrose obsessionnelle c’est tout à fait clairement articulé d’une façon caractéristique. L’étude de la névrose obsessionnelle est un moment favorable pour parler de ce problème de l’angoisse que nous rencontrons dans la clinique. La manière dont l’angoisse se manifeste dans la névrose obsessionnelle est tellement caractéristique qu’il suffit d’avoir ce symptôme-là de l’angoisse pour reconnaître la névrose obsessionnelle et la distinguer de toutes les autres pathologies.
C’est aussi un moment favorable, une époque favorable d’en parler parce que la nouvelle classification du DSM et les moyens thérapeutiques dont nous disposons permettent d’effacer totalement ce type de distinction clinique et de supprimer quasiment ce référent dans notre clinique. Tel ne devrait pas être le cas. Les anxiolytiques sont ces médicaments capables de calmer les angoisses de manière très efficace. Il nous arrive de rencontrer des patients qui prennent ces médications depuis vingt ans, trente ans, et qui pendant vingt ans, trente ans parviennent à effacer totalement l’angoisse de leur existence grâce à cette médication. Ils en ont la plus grande satisfaction et par conséquent nous pouvons rencontrer la plus grande difficulté à leur proposer de cesser cette prise bienfaisante. Autrement dit, cette prise bienfaisante nous empêche, nous empêcherait d’avoir quelques précisions cliniques sur cette pathologie. Le DSM définit d’ailleurs cette angoisse non plus sous le terme d’angoisse mais d’« attaque de panique ». Autrement dit on se trouve — l’attaque de panique : terme tout à fait neutre — devant un signe auquel n’est donné aucune signification et c’est donc à l’aveuglette que sont prescrites ces médications anxiolytiques.
On se trouve devant une situation caractéristique où l’angoisse est traitée comme un symptôme. Alors que dans la majorité des cas, cette angoisse de façon prédominante est à considérer non pas comme un symptôme mais comme un signal de quelque chose. Pour être plus précis encore, je dirais tout de suite comme un signal de défense, c’est-à-dire que l’angoisse participe à ce processus de défense et également à la formation du symptôme. Le symptôme est quelque chose d’autre que l’angoisse. On ne peut pas considérer, dans notre clinique, que l’angoisse soit à prendre systématiquement comme un symptôme. Voilà pour l’aspect général pour camper la question que nous avons dans notre clinique avec la modernité.
Il est vrai que la relation entre symptôme et angoisse, entre formation symptomatique et développement de l’angoisse peut être l’objet d’opinions tout à fait différentes parce qu’on peut considérer, on a le droit de considérer que l’angoisse est ce qui va déclencher l’apparition du symptôme et qu’il y a là une relation étroite entre les deux, mais on peut aussi considérer que le symptôme est ce qui va permettre de masquer l’angoisse. Les deux conceptions sont défendables cliniquement, à savoir que l’angoisse peut être le symptôme d’une névrose, comme dans le cas de la phobie. La phobie tient dans le surgissement d’une angoisse, paralysante dans certaines situations très précises, toujours la même pour un patient. Là, il est admissible de tenir l’angoisse pour un symptôme.
L’autre cas, c’est là où le symptôme est mis en place de manière à ce que le sujet échappe à l’angoisse, et qui autorise dans l’hystérie ce signe de la belle indifférence, belle indifférence au sens où l’hystérique ne semble pas être atteinte par les limitations imposées par le symptôme. Pourquoi ? Eh bien parce que ce qui suscite l’angoisse a alors été totalement mis à l’écart grâce à ce symptôme. C’est pour cela que l’hystérie offre aussi de l’angoisse des figures très diverses, en raison de cette relation relativement lâche qui apparaît dans la clinique entre symptôme et angoisse. Par exemple une rencontre amoureuse, vous savez tous que ça peut être l’occasion d’une rencontre angoissante, même s’il n’y a aucun lieu de redouter quoi que ce soit.
L’autre situation angoissante dans l’hystérie est tout simplement la poussée pulsionnelle. Freud y fait souvent allusion du fait que la poussée pulsionnelle engendre de l’angoisse et le patient ou la patiente va se défendre contre le surgissement de ce qui devrait rester refoulé. Au fond, l’angoisse est notre pain quotidien à chacun d’entre nous, pour autant qu’existent pour chacun d’entre nous des poussées pulsionnelles.
Enfin, troisième cas, c’est la situation, dans l’hystérie, où la pulsion rencontre le terme refoulé, situation que vous connaissez aussi sans doute : il vit bien et puis un beau jour, tiens, voilà qu’il fait une rencontre non pas d’une personne mais d’une situation qui va déclencher chez lui une angoisse… Une situation avec un terme refoulé et qui va déclencher de l’angoisse capable de le submerger. Là ce sont des situations qu’on a souvent en clinique.
Rappelons le fait que Freud entre 1920 et 1925, c’est-à-dire dans un certain état d’avancement de la doctrine analytique, a abandonné la thèse de l’angoisse déterminée par la pression de la pulsion. C’est quelque chose de remarquable, il en parlait beaucoup dans le début de son œuvre et ses descriptions, et puis dans les années 20-25 il a abandonné cette idée d’une relation entre la pulsion et l’angoisse. Du même coup, il s’agit de rappeler que peu ou prou l’angoisse est toujours plus ou moins synonyme de castration, de complexe de castration. C’est l’angoisse typique, dont il n’a pas modifié la portée dans son œuvre. Je parle de l’angoisse et vous voyez comment cette angoisse prend racine dans les profondeurs, si vous me permettez ce terme, dans des zones qui ne sont pas du tout celles de la conscience, mais celles de l’inconscient. Cette terminologie utilisée par Freud, l’angoisse de castration, est aussi ce qui se passe dans la clinique hystérique féminine, aussi bien que dans la clinique de l’hystérie masculine. Cette angoisse de castration est quelque chose de tout à fait fondamental qui reste relié à cette situation de la castration telle qu’elle s’inscrit dans l’inconscient. Quand vous serez bien avancé dans la lecture de L’homme aux rats vous verrez combien ce rapport apparaît régulièrement.
L’autre point que je voulais souligner de manière accentuée, est que si l’angoisse accompagne le processus de refoulement du meurtre du père voire le précède, ce processus n’est pas un état définitivement stabilisé mais toujours actif et dont le refoulement exige une certaine énergie pour se poursuivre. Dès lors l’angoisse qui accompagne ce refoulement, cette angoisse-là ne peut pas cesser non plus. Du moment qu’existe toujours ce terme refoulé, eh bien l’angoisse à son tour ne cesse pas. Et c’est ce qui se passe dans la névrose obsessionnelle d’une façon tout à fait spécifique.
La grande différence que je tiens à souligner, maintenant que j’abandonne les remarques générales, est : pourquoi cette liaison est-elle si caractéristique, de ce lien de l’angoisse à l’idée de mort et ses caractéristiques dans la névrose obsessionnelle ?
Eh bien, la névrose obsessionnelle peut opérer un déplacement considérable où l’angoisse n’est plus liée à l’objet du désir comme dans l’hystérie. L’angoisse de type hystérique, c’est l’angoisse de la rencontre amoureuse ; là le sujet va au-devant de l’objet, de l’objet de son désir et c’est là qu’il rencontre de façon préférentielle son vécu angoissant. Dans l’hystérie, l’objet est en général discerné rapidement comme étant ce qui motive cette angoisse. Dans la névrose obsessionnelle, elle est présentée comme associée, non pas avec la rencontre, rencontre contre laquelle l’obsessionnel est assez bien défendu, mais avec cette idée de mort. J’en citerai des exemples tout à l’heure, et vous verrez que c’est vraiment tout à fait caractérisé. Certains patients sont obsédés littéralement et en permanence par cette idée de mort. Cela peut aller jusqu’à une idée de suicide, mais pas à un suicide qui passe à l’acte, c’est une idée de suicide punitif qui en règle ne s’accompagne d’aucun acte.
Ainsi dans l’hystérie le clinicien est immédiatement avisé ou orienté vers l’objet reconnu, alors que dans la névrose obsessionnelle l’objet est disqualifié, caché, c’est l’idée de mort, plus ou moins refoulée et l’angoisse ne fait que renvoyer à l’idée de mort. Évidemment devant cette clinique, vous êtes appelé à vous poser la question : Mais c’est quoi cette idée de mort, qu’il se trimbale tout le temps ? Il ne peut pas se déplacer sans être toujours, je dirais, obsédé, c’est le cas de le dire, par cette idée. Cette idée, elle a la même fonction que dans la névrose hystérique : le phénomène de contre-investissement. C’est quoi le phénomène de contre-investissement ? Vous savez que dans l’hystérie la haine est souvent voilée par un excès de bienveillance et de dévouement, situation classique. Je vais encore vous scandaliser en signalant la situation classique de la mère qui déteste son enfant. Pour que cette détestation scandaleuse n’apparaisse pas, elle va se livrer à un excès de dévouement, et gare au gamin qui n’en sera pas reconnaissant.
Pour vous donner un autre exemple qui était drôle, dans l’un des services de psychiatrie dans lequel je travaillais, il y avait une infirmière attentive, dévouée à ses malades, mais c’était toujours elle qui ramassait un coup de pied, un coup de poing, un coup de savate. Chaque fois qu’il y avait un psychotique un peu violent, c’est elle qui prenait, toujours la même ! Évidemment, j’étais averti de sa situation qu’elle ne pouvait pas encadrer les psychotiques. Je lui ai dit : « Mais changez de service, ne restez pas là à prendre des coups ». Parce que le psychotique, lui, ne se laisse pas duper par votre gentillesse. Cette pauvre dame se faisait chaque fois tabasser quand il y avait un violent qui entrait dans le service. En fait, elle ne savait pas qu’elle les détestait. Simplement les psychotiques pressentaient qu’il n’y avait pas un rapport clair. C’est cela le contre-investissement que vous rencontrez aussi chez les médecins.
Il y a des médecins qui ne peuvent absolument pas encadrer leurs malades, ils leur promettent les morts les plus terribles. Ce n’est pas exceptionnel qu’un patient sorte à quatre pattes de sa consultation. Vous voyez que les phénomènes de contre-investissement sont relativement banaux et qu’il n’y a pas lieu de s’en scandaliser. C’est une façon de la névrose en général de dissimuler ce qui est inscrit quelque part dans l’inconscient. Cette pulsion de haine qui va s’exprimer par des choses un peu surprenantes, un peu terrifiantes. Quelqu’un me racontait récemment la situation d’un enfant de deux ans qui s’est strangulé à mort avec la ficelle du rideau. Ce n’est pas habituel un accident pareil ! Comment est-ce qu’on peut se stranguler avec la ficelle d’un rideau, qui en général est longue, quand on tombe par terre avec la ficelle autour du cou, on ne peut pas se stranguler. C’est une interprétation qui va vous scandaliser, mais je pense que l’enfant a interprété le souhait de mort de sa mère, sinon je ne vois pas pourquoi, il aurait fait cela.
Comme vous voyez, le contre-investissement est une façon d’inverser la valeur de l’affect. Là où je ressens de la haine, je fais le gentil, voilà, grosso modo. Et là où il y a de la haine, l’obsessionnel va de façon très accentuée, construire un processus de défense. Au lieu de proférer un propos peu respectable dans une église, il va refouler cette pulsion et il va faire sa prière. Cette haine refoulée, nous l’observons fréquemment dans la relation au père mort qui, évidemment, telle que Freud l’avait parfaitement repérée dans le chapitre de la Traumdeutung intitulé : « Les rêves de mort des personnes chères », tout un programme ! Quand vous vous endormez, les défenses tombent puisque vous n’avez plus la possibilité de les faire fonctionner dès lors vous pouvez faire des rêves de meurtrier.
La mort rêvée des personnes chères, là-dessus Freud a fait son développement en 1895, en tant que cette inscription du père mort dans l’inconscient est ce qui va déterminer de façon plus notable dans la névrose obsessionnelle cette défense contre l’angoisse. Il est bien évident qu’aujourd’hui dire une parole scandaleuse dans une église ça n’a pas beaucoup d’importance mais lui, il est obligé de refouler tout ça, pourquoi ? Parce que là il y a contamination entre les signifiants, et avoir des pensées scandaleuses dans des endroits qui ne conviennent pas c’est évidemment toujours la même pensée, c’est la pensée du père mort. Il y a chez l’obsessionnel l’idée de mort, c’est une généralisation détachée de son origine. Il ne va pas dire « Je pense que mon père va crever, je m’en félicite », non. Il va dire « Je crains que mon père ne meure demain, quel malheur ! » Et c’est bien aussi dans l’analyse que nous rencontrons ce phénomène. Bien entendu, ce vœu de mort n’est pas reconnu en tant que tel. Vous partez en voiture, vous faites cent kilomètres et votre femme vous dit « Dès que tu es arrivé, tu me téléphones. » Bien sûr, bien sûr ! Vous voyez que vraiment on a de l’attention pour vous. Quand on a un vœu de mort pour vous, au moins on est attentif à votre santé, on se soucie de votre santé. « Docteur, ça va, oui, chez vous ? ». Il m’est arrivé qu’on me pose ce genre de question. Le dispositif du père mort est une inscription inconsciente. Il est l’inscription centrale de la névrose tel que Freud l’a défini dans Totem et tabou.
J’étais à une réunion de travail récemment avec des anthropologues, ils savaient qu’ils allaient rencontrer des psychanalystes, ils avaient tous lu et connaissaient Totem et tabou sur le bout des doigts. Alors ils disaient : « Vraiment c’est un mythe, vous savez c’est une construction de Freud, ça ne se trouve pas dans la nature ; quand vous allez à un dîner personne ne pense à tuer le père de la horde, c’est inconcevable tout ça ». Je me suis quand même permis d’intervenir pour dire : « Certes, le meurtre du père de la horde est bien sûr un fantasme, on ne va pas discuter de cela. De toute façon ce n’est pas tenable comme mythe, mais il a quand même une fonction. Il est à l’origine de l’inscription symbolique, c’est-à-dire des inscriptions dans l’inconscient ». Et c’est pour cela que Freud a construit cet appareil, qui évidemment chatouille les anthropologues. Mais il faut essayer de saisir que c’est simplement à partir de là, de ce mythe que se fait l’inscription du père mort et donc de la “possibilité”, entre guillemets, la possibilité d’une névrose. Le névrosé, il faut qu’il en tue au moins un, que ce soit son père, le prof de philo, son psychanalyste, peu importe, il faut qu’il en zigouille un. Et contre cela la névrose obsessionnelle est rigoureusement défendue, car d’avoir des idées pareilles est scandaleux.
Pour donner un petit exemple clinique et pour vous permettre de mesurer le tourment que c’est. Un pauvre garçon ne pouvait pas circuler en ville parce qu’il y avait des grilles avec des trous, des regards comme on appelle ça, des regards d’égout. Voilà déjà un sacré signifiant : un regard d’égout. Il faut comprendre que la clinique est variée, elle n’est pas triste quand vous la faites correctement. Alors, pourquoi le regard ? Il avait évidemment peur de précipiter quelqu’un dans ce regard d’égout, ce qui est franchement impossible de toute façon. Là vous pouvez être tranquille mais pas lui qui était obligé de partir en vacances dans un lieu… je ne sais pas si je dois vous le dire parce qu’il va y avoir foule ! Il y a un seul endroit où il n’y a pas de regard d’égout, il l’a trouvé, c’est le désert ! Toutes ses vacances, il était obligé de les passer dans le désert ! Alors pourquoi ce symptôme ? Son père était garagiste. Et que fait le garagiste ? Eh bien il est couché sous les voitures pour les réparer. Il avait tout le temps peur de toucher la voiture, de la déséquilibrer quand elle était sur cales et qu’elle tombe sur son paternel. Peut-être aussi que quand il voyait le paternel dans le cambouis sous les voitures, il avait un regard de dégoût. Voyez comme tout se tient. C’est du signifiant, inscrit dans l’inconscient tout à fait écrit en clair, simplement il faut l’écouter.
Pour prendre un autre exemple, voilà une jeune femme de vingt-trois ans qui rend visite à sa sœur, qui a vingt-cinq ans. Celle de vingt-cinq ans avait quitté le domicile familial depuis sept ans et travaille. Elle s’est constitué des relations dans la ville où elle s’est installée. La jeune femme, qui a vingt-trois ans vient rencontrer cette sœur un peu plus âgée et admire, comme il se doit, comment cette sœur s’est bien débrouillée, a un travail sympa, des amis dans tous les coins de la ville, etc. Là-dessus, elle se couche et le matin quand elle se réveille, elle est angoissée mais pas une petite angoisse : le nœud dans le ventre. Elle me dit : « La première idée que j’ai eue quand j’ai eu, cette angoisse, c’est que sans doute j’étais jalouse, jalouse de ma sœur devant son bonheur, et puis aussi parce qu’elle a eu la force de quitter sa famille, alors que moi, qui n’a que deux ans de moins, je n’ai pas encore réussi à m’émanciper de cette famille. » Cependant, cette jalousie est ancienne, elle n’avait jamais provoqué d’angoisse. Certainement quand elle était toute petite cette jalousie vis-à-vis de cette sœur se manifestait sans jamais d’angoisse. Quelques jours plus tard, lors de cette visite le processus continue à se développer et qu’est-ce qu’elle pense, qu’est-ce qu’elle trouve ? C’est la crainte d’avoir tué un enfant. Vous voyez on s’approche progressivement. Ce n’est pas le meurtre de papa, c’est un enfant, un enfant pas connu et là l’angoisse est à son comble. Elle ne comprend toujours pas pourquoi elle est angoissée. Évidemment, dans l’angoisse de tuer il y a l’idée de mort qui la hantait, mais elle n’a jamais fait le lien entre l’angoisse, l’idée de mort. Cette idée de mort est restée totalement voilée et il a fallu qu’elle aille chez sa sœur pour que tout ça lui saute à la figure.
Le véritable destinataire du meurtre n’est pas révélé, il reste encore voilé, tranquille. Elle sait que ce n’est pas sa sœur qu’elle veut tuer, ni un enfant. Ça lui paraissait scandaleux qu’elle cherche à tuer un enfant. Pourquoi ? Elle promène son envie de meurtre dans toutes les circonstances sauf là où véritablement c’était le lieu, c’est-à-dire le papa. Cela, je l’ai appris de manière indirecte dans d’autres propos qu’elle tenait, c’est moi qui ai fait le lien, ce n’est pas elle. Pour elle c’était deux choses, sa relation au père où elle était un peu en difficulté avec lui, mais elle n’avait pas d’idée criminelle à l’endroit du père. Ça lui a sauté à la figure quand elle était à cinq cents kilomètres de la maison. Vous voyez comment opère le processus de refoulement et d’isolation. Quand elle était à cinq cents kilomètres de la maison, elle n’était pas en défense, elle était ouverte et c’est là le matin au réveil, que voilà… ! Et après, elle a été persécutée par cette angoisse. Elle a vingt-quatre ans, elle a déjà congédié deux compagnons. Il y en a un qui a osé se plaindre qu’elle manquait de tendresse à son égard : « Dehors ! » L’espèce de « mariage bienveillant » que j’ai tenté d’établir avec elle en séance, n’a pas résisté à l’usure du temps. Huit mois après, j’étais congédié aussi. Là vous voyez, j’essaye de vous l’illustrer mais c’est une inscription ! Inscription inconsciente dont je ne pouvais même pas lui faire un reproche, parce que dans ses séances, elle était d’une politesse et d’une délicatesse exquises. Je ne pouvais pas lui reprocher qu’elle manquait de tendresse vis-à-vis de moi, pas du tout. C’était lisse, parfait ! Et bien entendu, l’idée de mort qui l’obsédait était accompagnée de la crainte que quelqu’un de proche puisse avoir un accident et disparaître. Quand elle apprenait que sa mère prenait la voiture et parcourrait deux cents ou trois cents kilomètres, alors là elle était aux cent coups. La menace perpétuelle d’un drame, comme elle le disait : « Je vis toujours dans un drame, je ne sais pas pourquoi ». Ses études avaient bien marché, elle avait trouvé un stage très intéressant dans le registre de ses études qu’elle faisait, je veux dire ça roulait ! Mais il y avait l’angoisse, elle était dans un drame et ce drame déclenchait chez elle un sentiment de culpabilité. Elle était bien insérée et elle se plaignait d’avoir peur, elle se sentait coupable de quelque chose et ce quelque chose elle pensait que c’était cette culpabilité considérable qu’elle développait, elle pensait qu’elle n’était pas à la bonne place, qu’elle n’appréciait pas les bonnes choses et surtout que s’il était arrivé un malheur à quelqu’un de proche, cette culpabilité se serait encore accentuée.
Autrement dit, le lien de la haine à l’angoisse, bien sûr ce sont des manifestations conscientes mais liées à l’inscription inconsciente du meurtre du père. Ce n’est pas « mon père ce héros », non, c’est « mon père ce faible », c’est « mon père ce maladroit », toutes les formes de dénigrement que nous entendons régulièrement à l’endroit des pères, puisque maintenant tout le monde cherche un papa, un père fort, qui puisse enfin m’apporter des garanties dans la vie. Vous voulez rire, ça n’a jamais existé !
Cette idée de mort, obsédante, omniprésente ; et les pleurs dans certaines circonstances que peuvent manifester ces personnes, au cours des séances d’ailleurs, n’étaient pas des pleurs de déception, de tristesse, c’étaient des pleurs de rage impuissante et qui sont toujours le lien à la castration. Ce lien à la castration, est ce qu’elle ne parvenait pas à accepter de sa féminité en dernier ressort. C’est pour cela que les deux bonshommes qu’elle a congédiés, il y en a un qui demandait un petit plus de tendresse, la réponse a été : « dehors ». On ne peut pas passer son temps à faire des caresses, on n’est pas là sur terre pour ça, alors pour quoi ? On n’a pas la réponse.
Vous entendez cet étagement. Je suis un peu succinct, un peu rapide, il y a à l’origine le meurtre. C’est ça si vous voulez le côté précieux du livre de Freud sur Totem et Tabou qui montre bien que notre sociabilité, celle qui est commune ou qui devrait l’être, il paraît qu’elle est en train de foutre le camp et qu’il faut s’attendre à des agressions dans toutes les fonctions qui existent. Mais cette histoire du père mort dans Totem et Tabou, le meurtre du père de la horde primitive, celui qui voulait garder toutes les femmes pour lui et qui a donc mérité la mort, les fils ne savent pas quoi en faire de cette liberté qu’ils ont gagnée en le zigouillant, ils sont bien embêtés. Et ce que les fils font en général, ils se font la guerre les uns entre les autres, comme dans les hôpitaux, on se bagarre. Ils ont tous tué le père de la horde, et puis il ne leur reste plus que de se bagarrer entre eux.
Mais ça ne fait pas une névrose obsessionnelle, la névrose obsessionnelle tient dans l’obligation de refouler ce meurtre du père. Tuer le père en effigie, selon la formule, c’est-à-dire s’autoriser de son discours, tout simplement avec le risque de la castration, bien sûr, eh bien ça, c’est quelque chose de fondamental et ça procède de l’inscription du meurtre. Ce n’est pas un meurtre effectif, c’est une inscription. C’est une inscription qui fait quoi ? Eh bien qu’il y a un trou. Il y a un trou dans la structure, si je puis le dire comme cela. Il y a un trou quelque part, dans ce qui est écrit dans l’inconscient, ce trou c’est le meurtre du père. Et à partir de là, que ce soit cette chose-là qui soit assumée, le patient peut vivre avec ça, vivre, inventer, créer. Comme disait Freud, le but de l’analyse c’est quoi ? C’est de pouvoir travailler et baiser. Eh oui ! Pouvoir exercer ces deux activités fondamentales : travailler et baiser. Eh bien pour cela il n’y a pas besoin de tuer le doyen de la fac, on peut très bien s’en passer, il suffit de considérer que rien de plus, c’est un trou dans l’Administration.
Le père tel que le cherche la névrose, à la fois il en veut une inscription dure, ferme, cassante mais garantissant et de l’autre côté il ne peut pas vivre avec un bonhomme pareil, parce que c’est impossible et donc tout ça doit être refoulé. Vous ne pouvez pas vivre avec une intention de meurtre à chaque instant, il faut quand même refouler un tout petit peu et donc, c’est inabsentia, par absence, le fondateur est absent. C’est lui par son absence qui fait tenir. Vous voyez bien que nos présidents de la République les uns après les autres, vous y pensez à cette histoire, c’est des représentants du père fondateur, et ils tombent tous dans le même travers, ils veulent montrer qu’ils participent de la fondation ! La fondation, c’est un trou ! Plus ils essayent d’occuper la place et de montrer qu’ils sont véritablement fondateurs, moins ils le sont. Là vous avez un exemple tout à fait sensible. Le roi, le roi que l’on avait autrefois, qu’est-ce qu’il faisait ? Il allait s’enfermer à Versailles.
Vous vous rendez compte, l’empereur du Japon, ça, c’est vraiment quelque chose, l’empereur du Japon est un Dieu respecté. Or pour sortir de sa résidence, qui est au centre de Tokyo — c’est un tout petit château de pas grand-chose — pour en sortir il est obligé de demander la permission ! Ce n’est pas un homme de puissance, de pouvoir, ce n’est pas celui-là qui a tué le père de la horde primitive, il est obligé de demander une autorisation à un comité spécial, qui lui dit oui ou non. Il ne peut pas sortir de son château, faire trois cents mètres, visiter les magasins qui sont à côté, non il n’a pas le droit. Il faut qu’il reste à l’intérieur, il règne par son absence charnelle. Il parle à la radio, à la télévision tous les vingt ans, à des moments exceptionnels, si Dieu lui prête vie. Eh bien, cet empereur-là est le représentant, à la limite c’est celui-là le vrai père, le père absent, le père symbolique comme dit Lacan. Le père symbolique c’est le père absent, c’est le père qui manque, et c’est ça contre quoi la névrose est en défense. J’ai parlé des processus de défense, eh bien voilà, là, la névrose ne l’accepte pas.
Au lieu de vous mettre à votre table de travail tranquillement, pour écrire, pour réfléchir, pour consulter des livres, non vous ne pouvez pas le faire ! Pourquoi ? Parce qu’il vous faut un maître qui vous le dicte et qui attend la copie. Vous n’êtes pas capable de rédiger parce que vous tremblez sur la lecture et les remarques qu’il va vous faire. Pourtant vous n’avez pas besoin de ce bonhomme, du commandeur qui vient vous donner des coups de règle sur les mains parce que vous êtes en train de vous tripoter au lieu d’écrire. C’est cela la névrose, la névrose veut de la Schlag pour avancer. C’est triste, non ! La névrose obsessionnelle est obligée de dissimuler tout ça, tout ce tintouin factice, illusoire, tout ce fantasme du père mort. Ce père mort, c’est la haine qu’il ne faut pas dévoiler !
Il y a quelqu’un qui me racontait un jour qu’il avait en analyse un névrosé obsessionnel : il ne pouvait même pas donner la main à son analyste pour lui dire bonjour ou au revoir. Il lui tournait le dos et il sortait. Vous voyez un peu, tellement il était meurtrier, parce que s’il se tourne vers vous il n’y a qu’une seule solution : le couteau. Il ne peut pas vous regarder. Vous verrez que tout le corps est commandé par ce dispositif. Ce n’est pas aussi comique que dans L’homme aux rats le supplice du rat quand même, on a trouvé des choses plus drôles dans un lit que ce supplice ! Notre fonction est d’essayer de permettre à ces pauvres jeunes gens de sortir de cette misère. Enfin il y aurait beaucoup de choses à dire. Je m’arrête là. Si vous avez des questions, allez-y…
Dominique me signalait que je ne vous ai pas donné de références, j’en suis désolé. Vous voulez des références ? Ce n’est pas compliqué, vous prenez l’œuvre de Freud entre 1890 et 1900, là où se trouvent, dans l’édition française les articles cliniques du début de son œuvre entre ces deux dates où pendant ce temps-là il a rédigé la Traumdeutung. Ce sont des textes où il parle nommément de la Névrose obsessionnelle, de L’homme aux rats qui est un développement sur la clinique d’un cas gravissime. Il y a un autre ouvrage important : Inhibition, Symptôme et Angoisse, mais je ne vous le recommande pas, parce que vous êtes novices et que c’est un texte difficile où Freud est lui-même en difficulté. Parce qu’il rapporte à l’angoisse à la peur et cela n’est pas tout à fait juste. L’angoisse n’est pas la peur, c’est tout autre chose.
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Question : Est-ce que vous pouvez développer un peu ?
J.-P. Hiltenbrand : La peur est ce qui est, je dirais, l’essence même de la rencontre traumatique. Alors que l’angoisse est quelque chose qui est suscité à partir d’une trace inconsciente. Cela n’a rien à voir. Si vous prenez la phobie, la phobie c’est l’angoisse de quelque chose qui apparaît dans des situations très précises. Il ne peut pas se rendre dans un supermarché, parce qu’il y a la foule, un espace considérable du magasin ou bien c’est une phobie de l’espace, ou c’est une phobie de la foule. L’espace, on appelle ça l’agoraphobie, ou bien la claustrophobie, peu importe. À chaque fois il y a des situations très précises. Il y a aussi dans la phobie des procédures de protection, ce qu’on appelle des objets contraphobiques. Ça peut être la maman, le mari, un enfant, un animal domestique, familier, même un objet quelconque, ça peut être une représentation d’un animal, d’un objet, beaucoup de choses, comme un fétiche. Ce n’est pas par hasard — ce n’est pas notre sujet ce soir — mais c’est vrai que l’objet phobique a des ressemblances parfois avec un objet fétiche. C’est le même rapport à l’angoisse, le fétiche est là pour fermer la fenêtre de l’angoisse. Puisque je parle de fenêtre, il y a la phobie de la fenêtre, la phobie du vide, la phobie de l’espace. Je connais quelqu’un qui ne peut pas laisser une fenêtre sans rideaux, sinon il ne peut pas circuler dans la pièce, mais dès que l’on met des rideaux, il est tranquille. Vous voyez la parade est parfois extrêmement simple, même dissimulée au point que la personne qui vit avec ne se rend même pas compte que le partenaire est phobique.
Ce sont des situations d’angoisse symptomatique, la phobie est quelque chose de très spécial, lié à la notion d’espace. Elle n’est survenue dans notre culture qu’à partir de la mise en place des grandes perspectives urbaines de la Renaissance. Avant il n’y avait pas de phobie. Quand on a eu des perspectives, des autoroutes, la phobie des espaces vides surgit, c’est quelque chose de terriblement angoissant. La phobie des trains et des avions dont les portes se ferment automatiquement, où ce n’est plus un humain qui vient fermer la porte, on presse simplement sur un bouton pour que les portes du TGV se ferment. Tout ça est éminemment angoissant.
Bon ! La peur, vous voyez bien quand je vous raconte cette histoire de phobie, il n’y a pas de quoi occasionner une peur. La peur est tout autre chose : la peur de l’orage, la peur de la foudre, ce sont des peurs naturelles. La peur du chien, je connais des hommes bien baraqués, un petit clébard de vingt centimètres se met à aboyer, ils sont terrorisés. Cela, c’est de la peur ce n’est pas une phobie. Alors que dans la phobie vous avez toujours une circonstance précise, celle-là, elle est stable, définitive, en revanche la peur peut être liée à n’importe quel phénomène : peur de l’eau n’est pas une angoisse. Vous avez la peur de l’eau, la peur de la mer c’est une peur, pas de l’angoisse. Vous avez peur du vide, vous êtes au bord d’une falaise, vous vous sentez un peu flageolant, vous vous reculez, c’est la peur. Cette peur est éminemment liée à votre condition subjective du moment. Il y a des moments ou vous êtes sensible à telle chose, à telle situation et d’autres moments où vous n’êtes pas sensible.
Je ne vous donne de bibliographie que de Freud. Pourquoi ? Parce que Lacan n’avait pas tout à fait la même conception, pas loin, mais pas tout à fait la même conception de la névrose obsessionnelle que Freud. Si vous mélangez Freud et Lacan, ça devient déjà difficile. Melman, qui a fait un grand séminaire sur la névrose obsessionnelle, c’est très bien, il faut rentrer dans sa logique à lui, et pas vouloir mélanger avec Freud et Lacan. Vous comprenez ? La clinique est une lecture subjective. Si vous suivez l’enseignement de Freud c’est juste, il n’y a pas de problème. Si vous suivez l’enseignement de Lacan, c’est bien, mais ne mélangez pas les deux. Et si vous mettez encore Melman dans l’affaire, vous allez être perdu. Son séminaire sur la névrose obsessionnelle est superbe, mais il faut accepter de rentrer chez Melman. C’est cela le problème. Je ne peux pas faire un cours, ou alors il faut faire trois, quatre, cinq cours sur la névrose obsessionnelle pour y parvenir… Il est sûr qu’il faut lire les trois, mais une fois que vous serez aguerri chez Freud. C’est quand même la base, il est obligé de démontrer un tas de choses, parce qu’il faut qu’il persuade son lecteur, ses collègues qui travaillent avec lui, et parce qu’également c’est lui, Freud, qui a élaboré la clinique de l’obsessionnel. Grâce à Freud, nous maintenant, nous savons que la névrose obsessionnelle ça existe en tant qu’entité clinique. On ne va pas recommencer à tout discuter au point de départ.
M. H. Croisille : (…) par rapport au déplacement de l’objet ? Il opère un déplacement.
J.-P. Hiltenbrand : Le déplacement de l’objet ? La logique signifiante, la logique clinique de la névrose obsessionnelle, c’est la métonymie. C’est pour cela que je vous dis que c’est aisément repérable, parce que la métonymie, « Je bois un verre à votre santé », c’est une partie pour le tout, bien sûr que je ne bois pas le verre, je bois le contenu du verre. La métonymie a une certaine façon de procéder : « Trente voiles à l’horizon », bien sûr que ce n’est pas trente voiles, mais tous les voiliers ont au moins deux voiles déjà, ça ne fait pas trente navires, mais quinze navires, etc. C’est cela la métonymie à la fois elle dit quelque chose par une partie et à la fois elle désigne le tout. Or, la névrose obsessionnelle est là-dedans, son objet c’est la merde. Je n’insiste pas, des figures de la merde il y en a quand même un paquet. Regardez notre culture, il n’y a que ça. La peinture se réduit de plus en plus à un barbouillage de merde sur une toile, c’est un phénomène d’époque, on n’y peut rien. Au lieu des belles naïades et autres superbes beautés du temps passé, maintenant on barbouille du marron sur une toile, et on vous dit : « c’est l’œuvre qu’il faut acheter. » Bon, c’est la métonymie. L’art utilise aujourd’hui les figures de la merde. C’est une définition de la métonymie et toutes formes d’art pictural sont des métonymies de l’objet qui occupe cette société merveilleuse dans laquelle nous vivons.
La névrose obsessionnelle c’est la métonymie. J’ai vu un phénomène tout à fait drôle. Je marche beaucoup en ville et je remarque une chose, que toutes les bagnoles se ressemblent. De plus en plus si vous n’avez pas le sigle, vous ne savez pas si vous êtes devant une japonaise, une américaine, une européenne ou quelle européenne. Elles ont toutes la même forme maintenant. C’est cela la métonymie ; les mêmes jouissances bien sûr, même multipliées par quatre. Pourquoi on se précipite sur les « 4x4 » ? Mais parce que ça suggère pour votre jouissance qu’elle est multipliée par quatre. C’est bête, alors qu’une Alfaromeo c’est quand même pas mal. Vous riez, mais le signifiant par définition est con, bête. Si vous suivez la marche du signifiant et sa métonymie, vous êtes dans la bêtise car il n’y a aucune invention à ce niveau-là.
L’hystérie fonctionne par métaphore. Alors cela a quoi comme conséquence clinique ? C’est que vous n’avez pas le signifiant voisin. Dans la métonymie vous reconnaissez toujours le signifiant voisin : « Je bois un verre », « trente voiles à l’horizon », etc. Vous avez toujours le voisin, alors que dans la métaphore le signifiant à l’origine est caché et vous ne savez pas où il est. Vous allez tirer un coup, c’est une métaphore et vous ne savez pas son contenu. Et vous ne savez pas pourquoi le coup a à voir ou bien n’a rien à voir avec la sexualité. Vous pouvez prendre toutes les significations de ce signifiant et vous voyez bien que vous êtes obligé d’avouer votre ignorance. Pour quelle raison telle chose s’appelle tirer un coup ? Il y a d’autres métaphores, bien sûr : « la fleur de la vie » ? C’est quoi la fleur de la vie ? Vous avez beaucoup d’expressions de ce type-là qui sont entrées dans le langage courant. D’ailleurs les métaphores quand elles plaisent, elles entrent dans le langage courant et se perdent. Il faut en créer toujours d’autres et grâce aux poètes nos langues se renouvellent un peu. Ce ne sont pas les ingénieurs qui vont renouveler notre langue, ce sont les poètes.
La métaphore qu’utilise Lacan pour montrer… « Un océan de fausse science ». Là au moins vous savez dans quoi vous baignez, si je puis m’exprimer ainsi ! « Un océan de fausse science », vous barbotez là-dedans à plaisir. C’est le symptôme hystérique qui fonctionne selon la modalité de la métaphore (c’est-à-dire selon la substitution d’un signifiant par un autre signifiant) et le symptôme de la névrose obsessionnelle selon la modalité de la métonymie. Ce sont les deux grandes figures de rhétorique traditionnelle que l’on connaît depuis très, très longtemps, depuis plusieurs siècles. Le hasard a voulu que notre clinique tienne, soit attachée à ce dispositif. Mais quand même c’est intéressant parce que ça légitime la formule de Lacan : « L’inconscient est structuré comme un langage ». On a le droit de dire : « L’inconscient est structuré comme une figure de style », c’est pareil.
Eh bien, je vous remercie et vous souhaite une bonne fin d’année.