Communication de la journée du 12 décembre 2015 re-tours sur la névrose obsessionnelle
Dans le cadre de l’introduction à la psychanalyse, j’ai pu lire Le journal d’une analyse de Freud, celle de l’homme aux rats. Je ne connaissais pas cet ouvrage. Ces notes de Freud sont très intéressantes. Elle apporte une lecture singulière à la fois du cheminement de Freud dans sa théorie, dans sa technique notamment concernant la question du transfert qui va se déployer au fil des séances. J’ai également pu grâce aux conférences et au groupe de travail ainsi qu’à la lecture du séminaire de Charles Melman sur la névrose obsessionnelle, un peu mieux appréhender une lecture plus lacanienne de la névrose obsessionnelle. Celle-ci permet de se dégager d’une lecture seulement œdipienne du côté du roman familial d’Ernst Lanzer et d’aborder la question du signifiant dans la cure et la logique particulière de la pensée obsessionnelle.
Avec L’homme aux rats, Freud va travailler la question du transfert à travers ses notes durant la cure, notes qui seront publiées dans Le journal d’une analyse. A contrario, dans l’analyse de Dora où Freud ne prendra pas la mesure du transfert de son analysante, son insistance aboutira à l’arrêt de la cure. Ces notes de Freud prises après les séances, nous permettent d’être un peu avec Freud et son patient et d’entendre ce qui se passe pour l’analyste et l’analysant.
Ces lectures éclairent également sur ce qu’il en est du transfert dans la névrose obsessionnelle et sur la logique de cette névrose par rapport à l’hystérie. Je commencerai par reprendre le Dictionnaire de la psychanalyse pour partir de la définition du transfert de Jacqueline Légaut : « lien s’instaurant de façon automatique et actuelle du patient à l’analyste, réactualisant les signifiants qui ont supporté ses demandes d’amour dans l’enfance, et témoignant de ce que l’organisation subjective est commandée par un objet, appelé par Jacques Lacan objet a. »
Ce que dit Lacan du « contre-transfert » vient, me semble-t-il, expliquer sa conception du transfert. Jacqueline Légaut en rend compte dans cette définition : « Lacan toutefois met en garde à concevoir la relation analytique sur un mode duel et symétrique et n’encourage pas à l’analyse du contre-transfert, qu’il redéfinirait plus justement comme ce que l’analyste refoule des signifiants de l’analysant. Il nous invite plutôt à prendre en compte le fait que, lorsqu’un patient s’adresse à un analyste, il lui suppose, par avance, un savoir sur ce qu’il cherche en lui-même. L’analyste, du simple fait qu’on lui parle, est utilisé par l’analysant comme support d’une figure de l’Autre, d’un sujet au savoir inconscient. Lacan nous rappelle qu’il ne peut y avoir de parole proférée ni même de pensée élaborée sans cette référence à un grand Autre auquel implicitement nous nous adressons et qui serait là le garant d’un bon ordre des choses. Il en résulte que le transfert n’existe qu’en tant que phénomène qui accompagne l’exercice de la parole. Sans exercice de la parole, il n’y a pas de transfert possible ».
Est-ce que Ernst Lanzer suppose à Freud un savoir ? Et quel type de savoir ? À qui Ernst Lanzer s’adresse-t-il dans la cure ? Il semble que Ernst Lanzer a choisi Freud comme analyste pour différentes raisons. D’abord, il connaît certains ouvrages de Freud et il retrouve dans les pensées de Freud, les siennes propres. Il semble que le patient soit d’accord avec l’argument de la journée que la physiologie de la pensée est proche de celle de l’obsessionnel.
Dans la cure, le patient exprimera le fait que le nom de famille de Freud est également celui de l’assassin du train, assassin célèbre à l’époque. C’est un trait d’identification que projette Ernst Lanzer sur Freud et qui reflète bien la logique de l’obsessionnel.
Charles Melman évoque également dans son séminaire sur la névrose obsessionnelle l’homophonie en allemand entre le nom de Freud et le mot ami qui se dit Freund. Cette question de l’amitié est importante dans la cure et dans l’histoire d’Ernst Lanzer. Charles Melman explique que l’obsessionnel dans la cure s’adresse avant tout à un petit autre et non à un grand Autre. Il cherche une proximité avec l’analyste pour établir une relation en miroir de type fraternel, amical, où l’on se ressemble. Ne peut-on voir déjà là un transfert massif mais également une manière de venir annuler sa subjectivité ?
Charles Melman nous dit qu’à la différence de l’hystérique, il n’y a pas de discours chez l’obsessionnel puisque toute trace de subjectivité vise à être annulée. Il déclare également que comme il n’y a pas de discours chez l’obsessionnel, il s’agit tout de suite d’une névrose là où le discours hystérique ne fait pas forcément névrose.
Au début de la cure, Ernst Lanzer semble bien s’adresser à un petit autre. Les échanges concernant la théorie vont être nombreux entre Ernst Lanzer et Freud dans la cure. Le patient s’adresse bien alors à un petit autre, au Dr Freud. Ces échanges, me semble-t-il, sont néanmoins un levier dans la cure et ils vont faire évoluer le transfert. Ces interventions de Freud ne sont pas interprétatives. Ce sont des points théoriques sur la culpabilité, sur les résistances, le déplacement, la recherche d’une cause dans l’infantile. Ernst Lanzer va alors opposer mais également déployer à Freud sa propre logique, celle de l’obsessionnel.
Ernst Lanzer va donc douter de ce que lui amène Freud. Il lui demande : « A-t-on une garantie sur la façon dont on se comportera envers ce qu’on aura découvert ? » Ernst Lanzer s’inquiète déjà de l’issue de la cure, il veut des garanties. Il n’a pas envie de se faire avoir et c’est bien compréhensible lorsque l’on connaît la logique infinie de l’obsessionnel. Il interroge ensuite justement Freud sur la question de l’au-delà et sur comment fait-on avec cette idée-là ?
Melman nous dit qu’il vient interroger Freud sur son propre arrêt, sur la limite de sa théorie. Freud va d’ailleurs, me semble-t-il, dans ses notes faire de moins en moins appel à la théorie et laisser de plus en plus de place au transfert en s’intéressant au patient et à ses signifiants. Freud écrit dans ses notes et donc à plusieurs reprises dans la cure, qu’il y a une chose sur laquelle il sera intransigeant, c’est la parole de l’analysant. Il facilitera autant que possible sa prise de parole.
Ces notes, cette tranche d’analyse me permettent de mieux cerner ce qu’est la neutralité bienveillante au-delà d’une absence de jugement. Il me semble que cela pourrait être aussi l’engagement de l’analyste, le crédit et la place que fait l’analyste au grand Autre chez l’analysant. Cet engagement, je le repère dans les interventions de Freud notamment dans sa manière d’accompagner, de soutenir la parole de son patient. Freud souhaite que son patient se déplace de cette logique qui l’enferme.
Il lui demande dès le début de la cure, ce qui m’a beaucoup surprise, d’apporter une photo de la dame. Freud dans ses notes dira qu’il a pris ce risque, le but étant que la dame chute de son piédestal.
Et dans les séances suivantes, progressivement, elle aura un nom et deviendra plus qu’un idéal hors sexe. Il y aura ce jeu de mots avec son nom. Le patient donnera le mot qu’il a formé avec son prénom pendant ses prières Gigellsamen. Freud relèvera le mot samen (semence). Ce qui provoquera une crise chez le patient et l’amènera à avoir des pensées inavouables. Freud lui dit alors que s’il se taisait, ce serait une manière bien pire d’abandonner le traitement. Le patient peut alors juste dire qu’il s’agit de la fille de Freud.
Après une pause, la lutte est encore importante et le patient dit à Freud qu’il ramène tout à lui-même. Et c’est bien une de ses craintes, nous dit Freud, car il souhaite justement ne pas influencer le patient. La technique de l’association libre vient à cette place et il laisse même de côté l’interprétation des rêves.
Dans le transfert, la haine du patient va pouvoir se déployer. Le rêve a cette fonction de pouvoir l’exprimer, tout en la mettant à distance. Le patient fait rentrer Freud et sa famille dans son fantasme : sa mère, sa fille.
Freud s’engage dans cette relation transférentielle qui semble à la lecture du journal, un transfert massif parfois tumultueux dont il ne sait pas où cela va le mener. Il l’accepte et il va dans ses notes analyser ce transfert imaginaire et l’amener à la question symbolique. Freud va suivre la chaîne signifiante du patient afin que le patient articule son désir à partir de sa jouissance dans laquelle l’objet est resté accroché.
Dans la cure, il y a justement un repas et une carte offerts par Freud à Ernst Lanzer. Ce qui m’a également beaucoup surprise et interrogée. Quelle place ces dons ont-ils dans la cure et dans le transfert ? Comment cela a-t-il agi dans la cure et dans le transfert ? Quelle était l’intention de Freud, en avait-il une ? Y a-t-il une logique de l’inconscient à l’œuvre ?
F. Checa m’a fait part d’une remarque de Charles Melman au séminaire d’été, à propos de cette question du repas que je vous transmets : « là où Freud va chercher un hareng à son patient qui a faim : hareng se dit herring, en allemand herr-ring, donc monsieur et anneau ! Le lendemain de cette séance, Ernst Lanzer arrive avec ce rêve où Freud veut le marier avec sa fille Anna qu’il voit avec des crottes à la place des yeux, mangez le herring, dit Melman, mettez-vous ça bien dedans ! Ce qui lui vient de l’Autre et qu’on l’a invité à incorporer, il en fait une interprétation délirante comme toutes nos interprétations qui s’imposent de l’Autre, et l’inconscient est une de nos manifestations délirantes habituelles ».
Cette collation que Charles Melman qualifie d’incorporation signifiante n’est donc pas seulement un repas puisqu’elle va amener Ernst Lanzer à en faire une interprétation venant de l’Autre. Si au départ, dans la cure, Ernst Lanzer recherche la proximité d’un petit autre, Freud va faire évoluer cette relation transférentielle en repérant dans le transfert la chaîne signifiante du patient et le repérage de l’objet petit a de son patient.
La question de la dette se rejoue avec Freud à cause de cette collation prise par le patient et offerte par Freud. Le patient refuse d’être en dette à l’égard de Freud. Il souhaite payer ce repas. Freud lui a fait perdre son temps et son argent alors que Freud lui, va gagner de l’argent avec ce repas. Il interroge à nouveau Freud sur la question du désir de l’analyste et de la dette. Il associe justement cette dette qu’il devrait à Freud « avec une farce d’un Music-Hall dans laquelle le fiancé faiblard offre 70 couronnes afin qu’il veuille bien le remplacer auprès de la fiancée au premier coït. »
Cette histoire rapportée par le patient m’évoque plusieurs questions que le patient adresse à Freud dans le transfert. Est-ce que vous m’exonérez de devoir la payer ? Pourquoi ne la payez-vous pas à ma place ? Est-ce que vous pensez que je suis trop lâche (fiancé faiblard) et est-ce que je vais m’en débrouiller (le remplacer au premier coït) ?
Ce passage pose également la question, me semble-t-il, de l’importance du paiement dans la cure. Le paiement ne vient-il pas faire coupure et signifier qu’il ne s’agit pas d’une relation amicale mais qu’il s’agit d’une relation transférentielle ?
Ce désir du patient de payer sa collation à Freud, signe peut être le fait que la question de la dette est au travail pour Ernst Lanzer même s’il ne s’agit pas d’une dette réelle mais bien d’une dette symbolique.
Ernst Lanzer interroge la question de la dette dans sa relation à Freud et à son propre père. Ernst Lanzer n’est plus, me semble-t-il, dans l’effroi du début de la cure par rapport à la question de la castration et de la dette.
Il abandonne progressivement sa logique obsessionnelle stérile et déploie, grâce à son transfert avec Freud, la question de son désir. Dans les dernières séances du journal, le patient semble déjà s’être déplacé et il semble d’ailleurs moins tourmenté. Il a pu exprimer sa haine et son amour dans le transfert sur Freud, et progressivement dans la cure se déplacer dans son rapport au grand Autre. Dans les dernières séances du journal, il déploie la question de la dette, il laisse choir progressivement l’objet anal et scopique et il entre dans une sexualité phallique avec la couturière.
Pour autant, Ernst Lanzer a-t-il pu renoncer à sa jouissance à l’issue de la cure ? A-t-il pu accepter de laisser choir, de faire chuter son objet a ? A-t-il pu, à travers l’expérience du transfert, entendre, déchiffrer que cette demande ne s’adresse pas à un petit autre mais au grand Autre ? Et donc accepter qu’elle reste sans réponse.
Qu’en est-il aujourd’hui de la névrose obsessionnelle ? Est-ce que cette logique de l’obsessionnel est à l’œuvre dans notre social ? La subjectivité, l’Autre serait-il à faire taire, à annuler ? Est-ce possible d’annuler cet Autre ? Ne reviendrait-il pas dans le réel de manière beaucoup plus tyrannique ? Est-ce que l’obsessionnel est celui qui refuse de payer sa dette symbolique ? Comment l’amener à devenir sujet d’une énonciation et ensuite un sujet divisé ?