Hier soir lors de notre réunion de bureau de l’association, Jean- Paul Hiltenbrand rappelait la question de l’écrit et le peu de travaux à ce propos. Je vous propose donc ces quelques remarques d’après-coup.
Il y a eu des journées de travail en 1999 de L’association freudienne internationale, il y a effectivement déjà longtemps, dont le thème était : La parole et l’écrit tels que la psychanalyse les révèle. Jean-Paul Hiltenbrand avait parlé de L’écrit dans la parole, pour ma part j’avais traité de Parole parlée et parole écrite dans une cure d’obsessionnel.
L’écrit qu’il nous faut distinguer de l’écriture. Et le poète peut nous en donner l’idée. Mon titre fait référence à un débat entre poètes au sortir de l’occupation allemande, poètes engagés au Parti communiste français. Ou quand c’est la rhétorique qui est une arme en ces temps de décolonisation.
Une poésie nationale prônée par Aragon dans les Lettres françaises en 1954/1955 fut l’enjeu d’un débat très vif et de haute volée. Le jeune poète haïtien Depestre écrit une lettre. Il s’oppose au « marronner » de Césaire (imposer la « spécifité nègre dans les réflexions de son parti mais qui est aussi pleinement poétique) et s’enflamme à la suite d’Aragon. En retour il reçoit une volée de bois vert de la part de Césaire, le poète martiniquais, lettre-poème dont le titre est : Fous-t- en Depestre, fous-t-en laisse dire Aragon.
En ces temps où internet déstructure les discours et produit de nouvelles formes d’écrit, il peut être utile de se référer à ce type de débat, très vigoureux, lié aux affaires du monde et où l’écrit poétique s’installe, puisque si comme le dit Césaire, la poésie est ce qui installe (le poète) au cœur vivant de lui-même et du monde ». Et ils ne séparent pas la parole, ici vigoureusement politique, d’écrits poétiques remarquables. Parole et écrit.
Habituellement parole et écrit sont séparés. Nous, nous nous attachons à dire ce que parler peut vouloir dire mais la psychanalyse montre qu’il ne faudrait pas la séparer de l’écrit. C’est le signifiant et la lettre mais pas l’un sans l’autre.
L’inconscient est un écrit.
L’inconscient est un écrit et pas une écriture. Il est structuré comme un langage mais ce n’est pas une langue. L’inconscient est une séquence littérale.
Un signifiant et même une phrase peuvent être refoulés mais ce peut être une lettre seule ou une série de lettres sans sens particulier qui le sont. C’est ce que nous montre le lapsus, une seule lettre en plus ou en moins qui surgit dans un propos pourra en changer totalement le sens. Cela suffit pour que l’inconscient se fasse entendre. Car dans cet écrit ce qui importe d’avantage, c’est le mot dans sa chair plutôt que son sens. Motérialité dira Lacan.
Y a-t-il des pensées inconscientes ?
Si l’inconscient est un écrit peut-on parler de pensées inconscientes ? La difficulté est qu’une pensée est habituellement transparente à elle-même. On doit pouvoir penser que l’on pense. Dans l’inconscient la clinique nous montre qu’il se passe beaucoup de choses, ça pense, ça compte, ça n’arrête pas, Lacan dit que l’inconscient c’est que toujours quelque chose pense. C’est un paradoxe dont il faut rendre compte, c’est une pensée qui n’est pas transparente à elle-même, qui ne se pense pas elle-même. De la même façon que c’est un savoir mais un savoir qui ne se sait pas lui-même.
Nous avons l’habitude des pensées qui s’empêtrent dans l’imaginaire. Pour l’inconscient, nous pourrions parler de pensées activement pensantes. Lors d’une conférence prononcée à Baltimore en 1966 Lacan dit qu’il a vu par la fenêtre le matin en préparant sa conférence, une horloge lumineuse qui marquait les minutes et qu’il s’est dit que c’est le produit de pensées, de pensées activement pensantes. Et que l’inconscient c’est le petit matin à Baltimore comme la technique qui produit des pensées activement pensantes qui ne se pensent pas elles-mêmes
Parler comme on écrit.
C’est le vœu de l’obsessionnel, parler comme on écrit. Sans faute, sans rature, sans manifestation subjective. La grammaire exclue le sujet. Les règles grammaticales ne se discutent pas. C’est comme ça. Et alors il y a les éternelles querelles des changements possibles de l’orthographe ou des règles grammaticales.
Mais une langue n’est vivante que si elle se transforme, s’adapte, accepte de nouveaux mots, en change l’écriture de certains, n’en utilise plus d’autres, en emprunte à d’autres langues.
Le lapsus est une irruption du sujet de l’inconscient dans un propos, il nous indique comment il se manifeste et ainsi comment une langue peut rester vivante.
On écrit en parlant.
Il y a le signifiant et sa logique, et la littéralité. Le sujet git dans la béance signifiante, puisque le signifiant représente non pas un objet mais le sujet pour un autre signifiant. Le sujet gît dans la faille entre deux signifiants. Le sujet n’est pas présent en permanence dans la chaîne signifiante, il apparait par éclipse.
La lettre, elle, est le support de l’objet. C’est la lettre qui nous dit quelque chose de l’objet du fantasme qui lui-même est le support d’un désir possible.
La psychanalyse prête attention à ce qui se donne à entendre dans ce qui est dit.
D’où le fait que la séance d’analyse n’est pas à écouter, mais qu’elle est à lire.
Parole et écrit.