J'ai essayé de reprendre quelques éléments de mon exposé du 22 mars lors de la réunion de préparation des journées : " Quête d'identité et relation d'altérité ".
Si vous voulez bien, je partirai de ce postulat que les femmes, pour des raisons culturelles historiques et religieuses, sont venues occuper, dans le champ social, une place dite Autre, par opposition à celle du commandement et ce jusqu'à ces dernières décennies.
Ce lieu Autre, c'est aussi ce que la psychanalyse avec Lacan nomme cette part qui se révèle au sujet confronté au manque dans la parole et le langage.
Mais alors les femmes venant occuper ce lieu, où trouvent-elles, elles, une altérité et de quoi serait-elle faite ?
C'est la seule entrée qui s'est imposée à moi finalement pour essayer de rendre compte de ce mouvement des femmes depuis le Moyen Âge jusqu'à ces dernières années (c'est-à-dire avant les dernières lois concernant la régulation des naissances (Loi Neuwirth 1965) et l'avortement (loi Veil, 1975)).
Mouvement des femmes non seulement sympathique mais parfaitement courageux avec de nobles figures féminines, héritage pour lequel nous avons une dette et qui pourtant, au regard de l'expérience analytique, peut donner le sentiment à une femme de ne pas totalement s'y reconnaître.
Dans ce mouvement des femmes, il y a principalement le féminisme. Sur les conseils d'Elisabeth Le Bihan, j'ai privilégié la lecture du livre de Maïthé Albistur et Daniel Armogathe " Histoire du féminisme français du Moyen-Âge à nos jours ", Ed. des femmes.
Manifestement de cette lecture, il ressort que dans ce mouvement des femmes, quelque chose du désir est à l'œuvre. Mais comment le définir ?
D'abord c'est une protestation, protestation qui porte sur le discours social d'une époque donnée, sur les interrogations chaque fois différentes qui s'imposent au sujet dans son époque.
Les femmes de par cette altérité qui les concernent viennent incarner les questions d'une époque, d'où la protestation de certaines d'entre elles. C'est une protestation qui prend la forme d'une analyse théorique ou d'une révolte concrète (ce sera les deux moyens d'action trouvés par le féminisme). En ce sens, est-ce que nous ne pouvons pas l'isoler de l'hystérie proprement dite ? L'hystérie c'est bien aussi une protestation (contre la patriarcat) mais son symptôme est une écriture qu'il est laissé à d'autres (le maître en l'occurrence) le soin de déchiffrer. Avec le féminisme, il y a un dire, le sujet ($) s'affiche, la rationalité vient inscrire pour ces femmes un domicile mais dans un combat. Les auteurs de ce livre donnent du féminisme cette définition : " Le féminisme, c'est toute analyse, toute action posant comme conflictuels les rapports entre les deux sexes et visant à en comprendre la nature ou en modifier les termes ".
Si on suit la chronologie, il y aurait eu un féminisme élitaire jusqu'à la Révolution et puis ensuite un féminisme comme mouvement dont le combat s'effectue avec l'écriture, mais qui devient aussi actif ; il s'organise, se regroupe, se calque soit sur les mouvements politiques soit les mouvements syndicaux, idéologiques, lutte des classes et lutte des sexes, par exemple.
Est-ce que l'on peut dire aussi que le féminisme à la française est marqué et prend ses racines sur ce travail important des clercs et des juristes de l'époque médiévale pour théoriser une infériorité de " nature " de la femme ?
Pourquoi les différences de places doivent-elle être toujours validées par la rationalité qui rabat cette question sur celle de l'égalité ou de l'inégalité ?
Dans le fil de ce sujet, j'ai été intéressée par un certain Poullain de la Barre, un homme du XVIIè siècle qui va étudier Descartes et va utiliser la méthode du doute méthodique pour un phénomène social : celui des femmes.
" Nous sommes remplis de préjugés et il faut y renoncer absolument pour avoir des connaissances claires et distinctes […]. Le premier des préjugés et le plus ancien dont il faut se défaire, c'est celui de la supériorité des hommes sur les femmes […]. Il n'y a rien de plus pernicieux pour la perfection et pour le bonheur de l'esprit que d'assujettir les hommes à la coutume sociale et à l'opinion générale […] car prenant l'un et l'autre pour règle infaillible dans les sciences et dans les mœurs, ils n'approuvent que ce qu'ils croient y être conformes et condamnent absolument ce qu'ils se figurent y être contraires. "
Est-ce que vous voyez quelque chose à redire à cela ? Mais du coup, sur quelle référence s'appuyer ?
Mais Poullain de la Barre ne sera pas lu à son époque : personne pour répondre à ses écrits, rien jusqu'à la Révolution.
Charles Melman nous dit : " Avant la Révolution, il y a du rapport, avec la démocratie, il n'y a plus de rapport ". Avant la Révolution, hommes et femmes travaillent dans le même sens pour la gloire de Dieu et celle de leur roi, la leur sera pour après. Après la Révolution, c'est la jouissance qui va commander le rapport entre les sexes et du coup va entraîner une disparité subjective.
Les travaux de Poullain de la Barre (De l'égalité des deux sexes par exemple) seront repris au XIXè siècle par des universitaires et Simone de Beauvoir s'appuiera presque intégralement sur ses thèses pour écrire son Deuxième sexe.
Quelque chose est en marche à partir de ce présupposé du doute cartésien, doute systématique apposé sur chaque signifiant et surtout doute sur les signifiés qui vont être accolés à chaque signifiant et pour ce qui nous concerne principalement ici, deux signifiants HOMME et FEMME.
C'est ainsi que l'on peut remarquer grâce à nos deux auteurs (Armogathe et Albistur) que chaque époque jusqu'à nos jours va objectiver un sens, une quête autour du signifiant FEMME, opposé à ce qui ferait commandement à ce moment-là et donc porté par les hommes.
On a parlé de la nature des femmes au Moyen Âge, il y eut de grands débats sur l'instruction des femmes à partir des XVIè et XVIIè siècles pour en arriver aux lois sur l'enseignement au XIXè siècle qui permettront aux filles d'accéder à l'instruction, etc.
Comme si quelque chose se construisait (une identité ?) à partir de traits pour tenter de donner une consistance à ce signifiant FEMME à ceci près qu'il semble que cette quête soit sans fin avec des conséquences parfois étranges (voir la thèse de Judith Butler).
Pourquoi ?
Charles Melman (séminaire du 18 février 1999) dit ceci : " la difficulté est bien que les femmes ne constituent pas un genre, même si notre grammaire lui en donne un… ni une espèce, de sorte que la forme avec laquelle elles vont émerger, de même que leur conduite est imprévisible ! "
Il dit plus loin à propos de ce signifiant " rien qui vient se proposer comme idéal et dans la mesure où il n'y a non plus rien qui vienne faire limite, c'est-à-dire constituer un objet spécifique […] "
Est-ce que l'on peut dire que c'est cette particularité d'être Autre qui induit une recherche d'identité si l'altérité est refusée ?
A partir du XIXè siècle, le féminisme s'organise, s'appuie sur le mouvement ouvrier, mais après 1945, le féminisme se cantonne à ce qui serait la spécificité féminine et ce devant les nombreuses déceptions qu'avaient rencontrées les femmes pour leurs propres revendications, à se calquer sur les modèles mis en place par les hommes.
La base de ce nouveau féminisme, c'est Simone de Beauvoir avec le Deuxième sexe. Elle s'éloigne du matérialisme historique ; ce n'est pas la bourgeoisie qui est responsable de l'oppression des femmes, la thèse du matriarcat ne lui convient pas plus, il n'y a pas eu un temps mythique où les femmes étaient libres " la domination des mâles est inscrite dès l'origine du temps " dit-elle, voilà " ce qui rend singulier la lutte des femmes ". Il s'agit pour elle de construire, toujours en réponse à ce qui est supposé du discours mâle (homme), un certain nombre de critères qui pourraient identifier la FEMME, la mettre en position d'exception, " l'AU MOINS UNE ".
Ceci dit cela a eu des conséquences non négligeables sur le plan de l'action :
Vote des femmes (1940)
Loi Neuwirth (1967)
Loi Simone Veil (1975)
Depuis, plus rien en France, à part les chiennes de garde ou Ni putes, ni soumises. Reste que Simone de Beauvoir se maintient comme une référence pour les féministes modernes, les Américaines en particulier, qui partent de son travail pour déconstruire ce signifiant FEMME dans des formules chaque fois différentes, mais qui part toujours de l'idée que la femme est un pur produit de la culture.
Je parle de déconstruire, écoutons Judith Butler (" Défaire le genre "): elle parle de " la mélancolie d'être soi, d'être constitué malgré soi, comme sujet du désir ou prisonnier de lui, d'être fabriqué en dehors de soi, sur une autre scène ".
Faites ce qui vous semble bon pour être " soi " (hétéro, homo, travesti, peu importe), faites-vous opérer si c'est cela qui est bon pour vous.
À une journaliste qui s'étonne de ses propositions, " vous vous dites féministe et vous revendiquez de ne plus être considérée comme une femme ", elle répond : " Je me considère comme féministe, selon moi les termes de " femme " et d " homme " sont des expressions instables, toujours en cours d'élaboration, tout en continuant à les employer pour dénoncer les inégalités et se battre pour leur abolition. "
On entend bien que c'est par le biais de la prise par le signifiant que le désir s'incarne, reste à savoir ce qu'on en fait.
Pour conclure très provisoirement sur ce sujet.
On peut relever deux mouvements internes à la question féminine. Toutes ces femmes qui ont participé d'une manière ou d'une autre à ce mouvement des femmes l'ont fait au nom d'une altérité supérieure qui leur indiquait où se trouvait logée, selon eux, une indignité à réparer. Et ce avec l'appui du signifiant et de la rationalité. Mais il y a une altérité dont une femme est elle-même porteuse, comment peut-elle la prendre en compte, l'assumer, ou du moins lui donner une place ?
Cette altérité, on le sait, c'est celle qui peut lui paraître étrange et révoltante à l'occasion : incarner l'objet a, cause du désir, pour son partenaire, altérité souvent refusée dans cette quête de reconnaissance imposée par le féminisme.
Altérité d'autant plus refusée que, dans l'histoire politique ou religieuse, elles ont pu faire la douloureuse expérience du refus de ce réel (qui est le désir) par les hommes eux-mêmes vis-à-vis d'elles.
Ces deux mouvements qui peuvent paraître contradictoires, en tout cas souvent difficilement dialectisables dans la question féminine, peuvent-ils éclairer notre débat quant au thème de nos journées ?