Le Docteur Brigitte Assouline et l'équipe du CADIPA m'ont demandé de réfléchir avec vous sur ce qui pourrait se repérer, s'analyser de la difficulté, dans certaines situations, d'établir des liens entre la situation d'évaluation et les soins.
Quels liens, en effet ?
Je trouve ce terme particulièrement bien choisi, puisqu'il nous renvoie immédiatement à ce qui nous lie ensemble, c'est-à-dire ce qui nous rassemble ou bien nous sépare, et plus fondamentalement à ce qui nous constitue comme sujets, comme êtres de langage. Ce qui nous fonde dans notre humanité, c'est précisément cette aliénation à l'Autre dans et par le langage. Notre rapport au monde, au réel est ordonné, et même constitué par le langage et ce qu'il organise comme lien social.
Nous sommes tous ici bien placés pour savoir que lorsque le langage ne parvient pas, pour un sujet donné, à mettre en place un rapport au monde qui soi à peu près satisfaisant, c'est-à-dire à la fois tempéré et donnant les moyens de rencontrer les autres et d'investir les savoirs, c'est source de graves difficultés et de grandes souffrances physiques et psychiques.
Le langage est donc ce qui nous lie aux choses et aux êtres, c'est aussi ce qui nous permet de constituer des savoirs, et un corps. En un mot, c'est ce qui fait de nous des êtres de désir.
Tout cela pour dire que c'est bien la moindre des choses que les liens entre les équipes et les services d'évaluation, comme celui du CADIPA pour ce qui est de notre région, laissent à désirer et donnent à désirer.
Je vais essayer avec vous de repérer quelques raisons à cela, et voir comment les comprendre et les traiter.
Si nous rencontrons les mêmes enfants, nous ne les rencontrons pas dans les mêmes circonstances, ni avec les mêmes objectifs.
Je dis ‘‘nous'', je me mets dans le lot car, en tant que psychanalyste, je reçois régulièrement des enfants autistes et psychotiques à mon cabinet, qui, pour certains, sont également dans des institutions de soins, mais aussi du fait que j'ai été psychologue dans un hôpital de jour de l'intersecteur pendant vingt ans, et que je travaille encore, le temps d'une réunion hebdomadaire, dans le seul service d'hospitalisation à temps plein, ouvert toute l'année, et qui est le Centre de Psychiatrie Infanto-Juvénile de Saint Laurent du Pont. Ce service reçoit les enfants et les adolescents ne pouvant pas ou plus rester dans les autres institutions ou dans leurs familles, en raison de la trop grande gravité de leurs troubles.
C'est à partir de cette expérience professionnelle multiple que je me situe pour intervenir aujourd'hui.
De l'évaluation aux soins, le temps de l'une et le temps des autres n'est pas le même, et les savoirs mis en œuvre ne sont pas de même nature.
Le temps de l'évaluation elle-même est défini, avec un début et une fin. Elle intervient à un moment donné, pas forcément lorsque les symptômes se manifestent dans leurs débuts. Cela nous enseigne d'ailleurs sur la difficulté d'organiser pratiquement ce dépistage précoce, mais aussi sur le temps qu'il faut à certains, que ce soient les parents ou les institutions scolaires ou éducatives, ou encore les médecins, pour prendre en compte cette symptomatologie.
Les soins, eux, sont pris dans la durée, dans un long terme qui ne se sait pas d'emblée, qui se découvre comme tel petit à petit.
La plupart du temps les soins ont débuté avant le bilan. Du coup, la question de ce qui motive la prescription ou la demande d'évaluation se pose, et elle est fondamentale : quelles sont les coordonnées cliniques du bilan : sont-elles médicales, familiales, institutionnelles, et alors quel type d'institution, qu'est ce qui motive la demande, qui la fait, qu'en est-il attendu, et comment mesurer les effets du bilan ?
Ceci est important à préciser dans un contexte de soins déjà défini qui engage famille et institution, famille et équipe, et qui organise un type de travail et un transfert élaborés à partir des engagements théorico cliniques des professionnels. C'est là que la disparité des savoirs entre ce qui est mis en œuvre dans le bilan et ce qui fonde les démarches de soins et d'éducation vient au premier plan.
Une question se pose alors : est-il possible de faire travailler ces types de savoirs différents l'un par rapport à l'autre, l'un avec l'autre, et si oui, quelles en sont les conditions.
Voilà ce que je me propose d'explorer maintenant avec vous.
J'ai rencontré pour préparer cette communication un certain nombre de professionnels dans le service même du CADIPA, et en dehors, principalement dans les services de pédopsychiatrie.
A la lumière de ce qui m'a été dit, et à partir de ce que je peux en déduire, un premier point se dégage assez simplement. Du fait de ce contexte où soins et bilan sont décalés dans le temps, je dirai d'emblée que les conditions de la demande ne sont pas assez travaillées ensemble, quelles que soient les institutions.
Il faut d'ailleurs rappeler un point d'histoire qui explique en partie cela : lorsque le CADIPA a été créé, la dimension de la recherche était prévalente, c'était une de ses missions. Les enfants des institutions de pédopsychiatrie ont donc été envoyés pour un bilan sans demande clinique particulière. Cela a donné un mode de relation entre service d'évalutation et service de soins qui évolue petit à petit.
Il s'agit donc de situer précisément les coordonnées de cette demande. Cela est d'autant plus important qu'il apparaît depuis quelques temps un nouveau type de demande de parents qui viennent directement dans ce service, à partir de leurs difficultés avec leur enfant, et de ce qu'ils ont pu consulter sur Internet ou dans les médias.
Comment se situer face à ces démarches d'un nouveau type ?
La responsabilité des centres d'évaluation est là engagée de façon plus directe, dont nous aurons à parler, à propos des savoirs mises en œuvre, puisque l'équipe d'évaluation est aussi, pour ce nouveau type de situation conseillère et organisatrice des soins et des prises en charge.
Il arrive donc des situations où le bilan est demandé dans un contexte délicat, parfois troublé par une famille, ou par une institution. Le contexte rencontré à plusieurs reprises est celui où les parents sont à la recherche d'un diagnostic plus précis, ou différent. Ils ont entendu des informations dans les médias, et cherchent à savoir d'une autre manière que ce qui est fait dans l'institution de soins de leur enfant.
Par contre, venant d'une institution appartenant à la pédopsychiatrie, il est évident que ce n'est pas la question du diagnostic qui est posé. Les équipes de CMP, des hôpitaux de jour ou des CATTP savent le faire. C'est donc forcément une demande plus complexe. Il peut s'agir parfois de préciser certains points, pour des cas particulièrement difficiles, et la plupart du temps, c'est une demande faite à propos de l'articulation du travail avec les parents et les autres professionnels.
Par exemple, dans une situation qui a été évoquée par une collègue, il s'agissait de préciser pour les parents la pathologie de leur enfant pour favoriser un meilleur engagement dans les soins et les aider à entendre la dimension psychopathologique pour un enfant qui avait un retard d'acquisition assez homogène de 18 mois mais qui présentait aussi une souffrance psychique de type autistique.
Si les équipes de soins peuvent être parfois estimées trop prudentes par les parents, c'est qu'elles craignent que l'enfant dans son être ne soit réduit au diagnostic de ses symptômes et que le processus engagé ne soit arrêté par cette démarche. Processus qui s'engage toujours petit à petit, dans l'accompagnement de la découverte des troubles, des limites, mais aussi des trouvailles et des améliorations. L'élaboration d'une relation de confiance pour établir un tel processus basé sur le transfert prend du temps. En cours de route peut donc se rencontrer un questionnement ou des incompréhensions, voire des désaccords et là encore le bilan peut être pensé comme un outil pour faire le pas qui relance le soin. Je pense que cela peut être véritablement conçu comme tel, comme un maillon de la prise en charge et plus, comme une possible fonction de tiers.
Si la fonction de tiers ne se fait pas , si elle n'est pas élaborée de la sorte conjointement par les équipes de soins et d'évaluation, nous pouvons tout à fait assister à une rupture de travail et à une sortie de l'hôpital de jour, l'orientation vers l'évaluation ayant alors comme conséquence imprévue une invalidation ou une disqualification du travail entrepris, la confiance n'étant plus au rendez-vous chez des parents en désarroi, toujours éprouvés par la vie avec un enfant avec qui les liens sont constamment attaqués par la maladie. Cela s'est déjà produit plusieurs fois, et dans ces situations que l'on peut dire à risque, il y a une logique que nous devons décrire et mettre en évidence.
Cela ne suffit tout de même pas soi seul à faire sortir les enfants de l'hôpital de jour. Au-delà de cette demande mal définie, mal traitée du fait d'un travail de collaboration insuffisant, cet effet de disqualification peut être déductible de la disjonction des savoirs mis en œuvre dans les deux lieux. Ceci est le deuxième point que je veux développer,et qui est imbriqué à cette question de la demande dont je viens de parler.
Je disais tout à l'heure que le temps de l'évaluation est un temps défini contrairement à celui des prises en charge institutionnelles, ou à l'école avec des rééducations en CMP ou en privé. Ce temps défini donne de ce fait comme une photographie de la situation que l'on peut tenir en main et qui peut arrêter l'angoisse. Le type de savoir mis en œuvre dans l'évaluation est un savoir qui a des effets de réponse au sens où le réel peut être nommé : le comportement et les difficultés sont situés, les situations peuvent être décrites ; il y a un effet de soulagement pour certains parents à entendre les signifiants correspondant à ce qu'ils cherchent et qu'ils savent déjà d'une certaine manière. Cela ne peut cependant pas être généralisable, car pour d'autres ce sera trop angoissant, trop violent.
C'est aussi dans l'après-coup que l'impact de l'évaluation pourra être mesuré et repris dans un travail d'élaboration. Que les parents le recherchent ou qu'ils s'en défendent, d'une certaine manière ce savoir est déjà là, inconscient et l'évaluation est un moment propice à le dégager. Ce temps peut faire interprétation, et il peut ouvrir à des avancées avec l'enfant.
Pour l'enfant lui-même, il est toujours difficile de pouvoir dire l'effet direct que l'évaluation a sur lui : ce qui se passe ne lui est pas indifférent et l'inquiète dans la mesure où cela vient interférer avec sa vie habituelle, et dépend aussi de l'accompagnement mis en place. Au cours de l'évaluation, ou des divers examens complémentaires demandés, l'enfant est dans une situation particulière : on l'observe, on l'évalue, on cote ses réponses. Il est parlé, regardé, filmé. Cela est bien sûr présent à l'esprit des équipes qui mènent les investigations, mais il n'est pas toujours possible de mesurer, au vu de ses réactions, ce qui se passe pour l'enfant. C'est l'occasion de rappeler que les résultats biologiques de la recherche mettent en évidence des taux de neurohormones de stress très supérieurs à la normale, chez des enfants présentant un retrait autiste sévère (S. Tordjmann). Il est important de s'en souvenir aussi bien au cours des examens eux-mêmes qu'au moment des questionnaires adressés aux parents à propos de l'interprétation de l'absence d'expression émotionnelle.
Ces tests et ces examens sont des éléments qui doivent être interprétés — et ce qui est ainsi observé donne lieu à plusieurs types de lecture possibles — va-t-on les ranger dans la catégorie des déficits et situer l'enfant du côté du handicap, et donc de la rééducation ? Va-t-on les ranger dans la catégorie des symptômes et situer alors l'enfant du côté de la pathologie et donc du soin global ? Les interprétations ne sont pas innocentes car elles engagent ce qui sera dit aux parents et aux interlocuteurs, et orientent la prise en charge dans une direction donnée. Un parti a été pris dans ce colloque, qu'il faut souligner, puisque le titre est « De l'évaluation aux soins »
Les outils eux-mêmes d'évaluation font partie du type d'engagement. Je pense par exemple à la grille d'examen de G. Haag.
Là où cette question devient cruciale, c'est moins avec les équipes de soins, qu'avec les institutions n'appartenant pas à la pédopsychiatrie. Cela rejoint d'ailleurs la question posée tout à l'heure à propos des parents venant directement pour une demande d'évaluation. Avec tous ces cas, l'équipe responsable de l'évaluation est assez logiquement amenée à donner des pistes de travail, des conseils, et des orientations vers des professionnels, et la question des choix et des liens se pose dans la mesure où il n'y a pas encore de travail, de prise en charge des soins mis en place.
Le savoir mis en œuvre dans les soins psychiques est d'une autre nature, dans la mesure où ce qu'il vise est différent : il s'agit de rencontrer un sujet, de rencontrer un enfant et sa famille. En ce qui concerne un enfant porteur d'autisme c'est déjà faire le pari qu'une rencontre avec cet enfant-là est possible, pour que quelque chose de l'ordre du soin, de l'apprentissage et de l'éducation ait lieu dans la durée et qu'il puisse se l'approprier.
Faire l'hypothèse de sujet c'est ce que nous faisons avec chaque personne que nous rencontrons. C'est ce qui me permet de vous parler, de ma place subjective, à partir de mes coordonnées symboliques, en vous supposant le désir de m'entendre, même si c'est pour me dire que vous n'êtes pas du tout d'accord avec moi. C'est interroger les liens, le type d'aliénation mis en œuvre et aussi, en ce qui concerne les enfants autistes, le refus de cette aliénation à l'autre. Ce type d'interrogation, et cette mise subjective qui est faite par les soignants est difficilement objectivable, et pourtant, sans ce fondement, le travail plus spécifique de rééducation perd son sens et sa valeur. C'est la partie la plus fondamentale du travail car c'est là que l'articulation entre les deux types de savoir doit pouvoir se faire.
Je vais rapidement évoquer pour vous un jeune, adolescent maintenant, et toujours autiste, qui est au CPIJ. C'est Laurent, dont j'avais déjà parlé il y a deux ans lors d'une journée préparatoire à un numéro du Journal Français de Psychiatrie sur l'autisme qui s'intitule : Autismes : controverses, perspectives, thérapeutiques. Ce n'est pas le même épisode que je vais vous raconter. Pour vous le présenter je dirai seulement qu'il a fréquenté longuement un hôpital de jour et plusieurs IME, où il n'est pas resté car il ne pouvait se plier aux règles demandées et avait des comportements violents et autoagressifs. C'est par ailleurs un passionné de l'émission télévisée Les chiffres et des lettres, et il sait ‘‘lire'' et ‘‘calculer''. Une fois arrivé au CPIJ il lui a fallu un temps assez long pour calmer sa violence contre lui-même.
Cela se passe après le repas de midi, l'après-midi commence et Laurent demande le goûter (ce qui nous indique au passage que la pulsion n'a rien à voir avec le besoin). Pour lui dire une fois de plus qu'il faut attendre, quelqu'un de l'équipe lui montre l'horloge et lui dit : « le goûter c'est à 4 heures, c'est quand la petite aiguille est sur le 4, et la grande sur le 12 ». Dix minutes plus tard, Laurent arrive dans la salle à manger avec l'horloge qu'il a décrochée. Il a mis la petite aiguille sur le 4, la grande sur le 12 et annonce : « c'est l'heure du goûter! ». Temps de sidération, et rire des infirmières et des aides-soignantes qui sont là. Rires à nouveau quand elles me le racontent, rires encore chaque fois que cette histoire est racontée.
Qu'est-ce qui nous fait rire ? Qu'est-ce qu'il nous apprend ?
Si on s'en tient strictement à ce qu'il a fait, on peut dire qu'il a fait ce qui lui était montré, et a opéré une correspondance terme à terme, ce qui, d'un certain point de vue est juste : quand la petite aiguille est sur le 4 et la grande sur le 12, ça indique bien 4 heures. C'est aussi faux, puisqu'il passe à la trappe la dimension temporelle de la durée et de l'attente. Il met en évidence ainsi la division entre l'image et la signification temporelle. Il dit : c'est 4 heures puisque l'image le dit. Si on s'en tient à un niveau strictement cognitif, qu'est-ce qu'on peut dire ? Mais l'image ne dit pas le tout de la situation.
Il nous apprend que quelque chose de cette image doit être laissé, mis de côté. Il nous apprend là quelque chose des limites d'un enseignement fait à partir de l'image. Il nous apprend aussi quelque chose de son désir et du fonctionnement pulsionnel, dans la mesure où il plie le temps à son exigence, tout en faisant le détour par la demande : il s'adresse à quelqu'un, l'infirmière et au-delà d'elle à ce qui fait la loi : il y a une heure pour goûter, loi à laquelle elle-même se réfère. Bien sûr il tente de plier cette loi à ses exigences pulsionnelles, ce qui nous fait rire. C'est justement tout cela, qui fait que nous reconnaissons la manifestation du sujet dans cet acte, c'est le rire qui sauve la mise du sujet, et qui prend en compte la division. Nous supposons du sujet là où il peut être dit que, s'il est autiste, alors il n'y a pas de subjectivité, pas d'inconscient, et que la seule chose à faire ce serait de lui demander des comportements ordonnés par un certain nombre de mesures éducatives raisonnées et raisonnables. Or c'est précisément cela qui l'enrage, qui l'a fait renvoyer des structures où il a été, qui l'a rendu violent et autoagressif.
Je rappellerai que Freud définit ainsi le mécanisme du trait d'esprit, qui est une des formations de l'inconscient avec le lapsus, l'oubli de nom, l'acte manqué et le rêve : ce qui fait le trait d'esprit, c'est justement l'effet qu'il a sur celui qui l'entend, sidération et lumière du fait du passage par la béance, par le ‘‘trou'' du non sens. Il faut un autre pour que le trait d'esprit soit authentifié et il l'est par le rire, par l'effet de plaisir qu'il déclenche. L'effet de plaisir, c'est-à-dire le fait de donner satisfaction d'une certaine manière à une tendance qui sinon resterait insatisfaite.
Dans cet exemple, c'est la tentative de plier la réalité pour obtenir une satisfaction pulsionnelle qui fait rire, et donne envie de le raconter à d'autres, ce qui est redoublé encore par le fait que ce soit un enfant autiste. Ce qui donne un sens particulier à cet événement, c'est la même chose que ce qui fait que Laurent se trouve plutôt bien dans ce service, c'est-à-dire qu'il y a cette dimension de la supposition du sujet et cette attention à ce qui peut faire rire, donner cette satisfaction, cet effet de plaisir.
C'est quelque chose qu'on retrouve chaque fois que nous sommes capables d'accueillir ce qui peut faire surprise, trouvaille. Je pense à une vignette clinique reprise par quelqu'un dans une supervision et que j'appelle pour ma part l'histoire de la petite robe rouge (en relation avec un titre de Ch. Babin Une petite robe de fête). Au cours d'une séance de travail Teach, une petite fille autiste doit classer des cartes par couleur : jaune, rouge, bleu... Une des cartes représente une petite robe rouge. Elle prend la carte, et l'approche d'elle, comme une femme dans une boutique peut mettre sur elle un vêtement pour voir s'il lui va. La réponse a été classée fausse.
Si nous ne nous saisissons pas de ces moments de surprise pour, authentifier par notre parole, quelque chose du sujet inconscient, du désir, nous ratons ce qu'il en est de l'aliénation, du lien signifiant qui donne un domicile subjectif à l'enfant dans le langage. Nous rabattons ce que fait ou dit l'enfant du signifiant au signe et ce faisant nous tuons le langage en lui et aussi, comme l'exemple de la petite fille nous l'indique, la dimension sexuée qu'il comporte forcément. C'est cela qui est fondamental, et c'est là que passe la ligne de partage entre les TCC et la psychanalyse. Ce rabattement du signifiant sur le signe érigé en système éducatif n'est intéressant pour personne, et ce type de prise en charge ne convient pas à la dynamique de l'autisme infantile précoce qui ne touche pas seulement une ou des fonctions délimitées, mais qui envahit l'ensemble des différents secteurs de la vie psychique : émotionnel, cognitif, langagier, social... et qui nécessite qu'on intervienne non pas trouble par trouble, mais dans une globalité, avec une approche multidimensionnelle, non seulement rééducative ou pédagogique mais aussi thérapeutique. Il faut s'occuper des troubles, il faut limiter les excitations sensorielles, on peut aider les enfants à se repérer avec des photos ou des pictogrammes, privilégier le visuel et l'image puisque c'est souvent là qu'il y a des émergences d'intérêt, c'est à penser comme passage, comme lien et non comme une fin en soi. Il faut se saisir, chaque fois que l'enfant nous en donne l'occasion, de la surprise, du pas de côté, de l'invention de l'adresse à l'autre. Car l'image doit être perdue, refoulée à un moment donné pour que quelque chose s'inscrive symboliquement.
C'est le sens du stade du miroir : la jubilation de l'enfant devant l'unification de l'image de son corps est authentifiée, validée lorsqu'il se détourne du miroir pour chercher confirmation dans le regard de l'Autre maternel. Cette perte de son image spéculaire, de sa propre image, le temps du détournement, c'est ce qui permet qu'elle s'intériorise et qu'elle devienne virtuelle, c'est-à-dire se symbolise. Une perte de l'image est donc nécessaire pour se constituer comme représentation intériorisée. Ce temps-là doit être pris en compte dans toutes ces pédagogies de l'image car c'en est l'aboutissement. Cela donne un éclairage notamment pour les épisodes d'agressivité, ou d'automutilation qui ne sont pas rares. Cela fait évoquer aussi un autre point qui est le fait que ces enfants ne peuvent rester en dehors du regard des adultes, on ne peut les laisser seuls un moment sans prendre des risques. Là encore cette dimension du regard est à penser entre regarder/être regardé, pour que la dialectique de la présence-absence se travaille pour les sortir du néant lorsqu'il s'éprouvent comme n'étant plus regardés.
Ce point du regard et du visuel est très important aussi pour penser ce qui se passe dans l'évaluation, à propos de films, et aussi de la technique TED, avec la question de la glace sans tain qui, à mon avis, n'est pas utile pour les soignants, et dommageable pour les enfants. Il me semble que cela met l'enfant et le thérapeute dans un espace clivé, ou il existe un autre espace, qui saurait le vrai puisqu'il l'aurait observé d'un extérieur. C'est toujours cette difficulté à mettre la perte et le refoulement dans le dispositif.
Toujours dans ce souci de la façon de faire travailler ces savoirs l'un avec l'autre, il me paraît nécessaire de revenir très rapidement sur ce que j'évoquais avec Laurent du CPIJ, c'est-à-dire la pulsion et la question du plaisir. Que nous apprend Freud, si nous le lisons attentivement, aidés en cela par quelques autres ? La pulsion, c'est d'abord ce qui nous permet de penser et de parler le corps. Quand on parle de la pulsion, on évoque forcément les objets pulsionnels qui sont les objets liés aux orifices du corps : objet oral, objet anal, objet scopique, c'est-à-dire le regard et objet invocant, c'est-à-dire la voix, dans ce qu'elle a de musique, de musicalité, de prosodie. C'est ce qui organise le corps dans ses échanges du fait de sa construction avec le signifiant, le langage, donc avec l'autre maternel en premier lieu. Dans la mise en place de la pulsion, ce qui est important pour nous aujourd'hui, c'est le troisième temps du circuit pulsionnel, celui de ‘‘se faire ... pour l'autre''. Ce troisième temps, c'est celui qui amorce, par la mère et par l'entourage, depuis la grossesse et surtout à partir de la naissance, une place possible pour le bébé de condensateur de jouissance : se faire objet de jouissance pour l'Autre, par l'Autre aussi. Pas de pulsion mise en place sans plaisir, sans effet de jouissance.
Très simplement, dans l'exemple de la petite robe rouge, le troisième temps pulsionnel pourrait se dire ainsi : se faire regarder par l'autre avec cette petite robe rouge, que cela soit source de plaisir, de surprise, d'intérêt pour l'autre, et que, du coup cela devienne une petite robe de fête...
C'est très important, car pour les enfants qui vont devenir autistes, cet accrochage à la jouissance de l'Autre ne se fait pas et ils sont dans un monde sans illusion aucune. Alors quand on a l'occasion que quelque chose de cet ordre passe, il ne faut pas bouder son plaisir ! Je le dis d'une manière un peu légère, mais on peut entendre que c'est du transfert qu'il s'agit.
Quelles sont les capacités de l'enfant à nous ‘‘allumer'', à nous intéresser, et quelles sont les nôtres à nous laisser questionner par ces manifestations que nous repérons ? Faire l'hypothèse que du sujet peut être là, en attente de reconnaissance, en attente de paroles de notre part pour exister : c'est à cet endroit que nous avons à situer la mise transférentielle des thérapeutes, mais aussi des éducateurs ou des pédagogues.
En prenant appui sur les techniques de rééducation, ou d'éducation, il s'agit de se laisser surprendre, et de faciliter, pour l'enfant, le surgissement de la faille dans le sens de l'exercice lui-même, faille où peut se loger le sujet si on veut bien jouer le jeu de l'illusion anticipatrice dont parle Winnicott pour les bébés. C'est de subversion dont il s'agit : subversion de la pathologie autistique... et non visée utilisatrice des ‘‘moyens restants'' évalués (sinon d'une certaine manière on renforce la pente naturelle de l'autisme, la correspondance terme à terme de la chose et du mot, et on gêne l'accès au langage en tant que tel.
Cette mise contre-transférentielle est particulière, car elle convoque ceux qui s'occupent d'autisme dans des lieux psychiques très particuliers, qui sont ceux des débuts de la vie, dans nos capacités d'illusion anticipatrice, de folie nécessaire, d'émerveillement, de jouissance... Bref tout l'éventail qui peut rendre compte de ce que nous répondons à un petit qui est dans le ‘‘se faire'' objet de la jouissance de l'Autre pour se faire reconnaître et exister dans la parole de l'Autre car cette histoire de jouissance, c'est ce qui permet la parole. Il faut ajouter, difficulté supplémentaire, qu'il ne s'agit pas de bébé, sauf exception, et que nous avons aussi, dans cette histoire de jouissance, à savoir mettre la limite à celle-ci pour qu'elle soit constructive et non angoissante et qu'elle ordonne le monde des sensations — et qu'elle soit partageable avec les parents — car ce délicat travail est à mener avec eux.
Ceci me permet d'aborder maintenant un point qui a été évoqué à plusieurs reprises dans les rencontres que j'ai eues pour préparer ce travail.
Il s'agit, dans les échanges entre équipes d'évaluation et équipes soignantes, de la difficulté souvent présentée comme étant du registre de la rivalité entre les deux types de lieux et de travail. Avec ce qui vient d'être dit, il me semble que nous avons un certain nombre de points qui font réponse et qui déplacent la question. En effet, au-delà du sentiment des uns ou des autres de ne pas être assez reconnus dans son travail, c'est beaucoup la disparité de ce qui est mis en œuvre qui alimente une certaine incompréhension et qui rend difficile l'idée même d'une collaboration et l'élaboration de moyens pour travailler ensemble. Cet usage du transfert n'est pas toujours partagé, et n'est pas mis en œuvre par l'ensemble des équipes ; les choix théoriques, sous-tendus par des idéologies du soin différentes, ne sont pas suffisamment travaillés pour pouvoir en parler ensemble. Alors, c'est souvent la dimension imaginaire de la rivalité qui prend le pas.
Ce que je souhaite, c'est que nous puissions trouver les moyens de travailler ensemble ces points de disparité et de faire travailler ces différents savoirs les uns par rapport aux autres, et c'est ainsi que les liens de l'évaluations aux soins peuvent prendre tout leur sens. A ce sujet, je voudrais souligner l'intérêt de la formation que B. Assouline a mis en place pour le CADIPA avec l'association PREAUT. C'est par des initiatives comme celles-ci, qui sont aussi des engagements, que nous trouvons les moyens d'établir des liens, pour poursuivre le travail amorcé par des journées comme celle-ci. Cela pourra peut-être un jour s'appeler transfert de travail.
C'est là que je peux aussi reprendre le titre que j'ai donné à ce que je voulais vous dire : ça laisse à désirer. C'est une définition que donne Lacan de la castration qui nous indique bien que c'est du manque et de la différence que nous pouvons prendre appui pour faire travailler ces disparités. C'est ce qui peut produire des liens de travail, et mettre au travail le désir inconscient qui anime chacun dans la rencontre avec ces enfants : ça donne à désirer, et ça laisse à désirer...