Communication de la journée du 12 décembre 2015 re-tours sur la névrose obsessionnelle
Je me suis posé la question de la filiation dans la névrose obsessionnelle et je vais tenter de vous présenter comment Charles Melman avance sur cette question au long de son séminaire de 1987-1988 et 1988-1989.
Charles Melman nous dit que la névrose est ce qui arrive à un sujet qui se défend contre la castration. Le choix de la névrose, n’est pas une question d’anatomie, différemment de ce que Freud a pu suggérer : il est donc tout à fait légitime de reprendre que la castration ne se présente pas de la même manière pour le petit garçon et la petite fille ; dans le cas du petit garçon, c’est celle de la mère qu’il refuse, contre laquelle il s’insurge, parce que c’est dans l’Autre d’abord que le petit névrosé veut colmater la castration. Chez le garçon, c’est dans la mesure où il défend sa mère contre ce destin qu’il devient un obsédé. Alors que chez la petite fille à vocation hystérique, c’est la castration du père mort qui est refusée, du père symbolique.
Charles Melman fait une lecture exhaustive du cas clinique de L’Homme aux rats. Dans cette observation, nous pouvons repérer quelques points d’ancrage dans la relation du fils au père.
D’abord il y a la construction œdipienne, dans cette lecture freudienne nous repérons que la curiosité sexuelle et l’impatience du petit Ernst à regarder sous les jupes des bonnes, à voir le corps féminin dévêtu, nous montrent un petit garçon bien orienté sexuellement, qui s’intéresse à ce qu’il peut y avoir de plus intéressant et il s’y intéresse de façon virile. Œdipiennement, il semble bien constitué en repérant ce qui intéresse son père. Mais la particularité est que sa curiosité a déjà un caractère obsessionnel et compulsif. Et ce voyeurisme est accompagné de l’idée que l’accomplissement de son désir pourrait provoquer la mort de son père.
Nous pouvons nous poser la question : s’agit-il d’un équivalent incestueux ? Ce qui se trouvait regardé là par lui, la compulsion de ce qu’il avait ainsi l’ardent désir de voir était en fait maternel, déplacé sur les bonnes et que donc il avait perçu ce dispositif essentiel, c’est que l’accomplissement d’un équivalent incestueux valait ou passait par la mort de son père.
Le petit Ernst a à faire avec l’objet interdit, avec l’objet qu’il ne faudrait pas, tel que la loi liée au Nom-du-Père vient interdire cet objet. Et donc, la vue de cet objet impliquerait que du même coup le père est rayé, est supprimé.
Charles Melman insiste sur ce point que nous ne pouvons comprendre cela que dans une référence de structure : ce petit névrosé a bien perçu que la transgression de la loi paternelle implique que du même coup celui qui la fonde se trouve suspendu et que donc la mort dont il s’agit, c’est celle du père mort, du fait de cet équivalent incestueux. Qu’elle se trouve reportée sur le père réel qui était à ce moment-là au foyer et qui était encore le meilleur ami de l’enfant, ne peut s’entendre que comme une participation légitime de l’un à l’autre, si nous retenons que c’est de ce père mort que le père réel tient son autorité, et que l’annulation, donc de ce père symbolique, père mort, ne pouvait que du même coup en quelque sorte tuer, supprimer son père réel.
Ensuite, dans la cure, lorsque Freud insiste pour mettre le père en position de rival et dans un lien hétérogène par rapport à son fils, le patient dit de son père et lui, qu’ils étaient « les meilleurs amis du monde ». Il évoque là, la relation en miroir qui l’unissait à son idéal. Une relation avec le père que nous pourrions dire sublimée, soutenue dans l’axe d’une relation imaginaire, le fameux axe a-a’, dont le rôle d’idéal étant d’ailleurs interchangeable, à chacun son tour ; le père est ainsi retiré de sa place, de son lieu d’origine, pour devenir un semblable dans une relation en miroir de type fraternel
Se maintenir dans une position en miroir est-il le moyen de résoudre le conflit entre père et fils et en particulier l’impossibilité de leur coexistence ?
Une des préoccupations de l’obsessionnel serait de s’accomplir comme image idéale avec une réserve toutefois puisqu’il ne faudrait pas courir le risque dans cet accomplissement de venir se substituer à cette image idéale que constitue le père. Il y a donc cette sorte de tourment qui consiste d’une part à chercher à s’accomplir comme idéal tout en gardant une distance, une secondarité à l’égard de cette image idéale représentée par le père. On pourrait penser que venir occuper cette place idéale ferait effectivement courir un risque de mort au père.
Pendant son analyse, le patient se reprocha de ne pas avoir assisté à la mort de son père car il dormait et ne s’est réveillé qu’une heure et demie plus tard, mais ces reproches qu’il s’adressait ne furent d’abord pas pénibles car pendant longtemps il ne réalisa pas la mort de son père. Ce n’est qu’un an et demi plus tard, lors des obsèques d’une tante, et après une remarque du veuf éploré, que se réveilla le souvenir de son manquement et qui se mis à le tourmenter effroyablement de sorte qu’il se crut criminel.
Alors, peut-être qu’à ce moment-là le patient a pris cette remarque de façon interprétative, manifeste, il l’a tout de suite entendue comme s’appliquant à son père. Son père, ce saint dans son système, il savait qu’il n’avait rien d’un saint. Comme si avec cette remarque était venu se cristalliser ce sentiment, d’être un criminel, d’avoir tué le père, à entendre sans doute comme étant le père symbolique, sublime ; de l’avoir tué, de l’avoir amené à être un type occupé à ses petites affaires comme tout le monde.
Il y aurait dans ce processus imaginaire une tentative d’homogénéiser le père, une opération mortifère exercée sur ce qu’il en est de la singularité de sa place, de le rendre Autre.
Cette logique, cette opération est souvent un problème qui se pose de façon aiguë pour la fille à l’égard de sa mère. Comme, si pour la fille, la place de la féminité était investie, occupée par la mère et que la fille ne pouvait pas y accéder tant que la mère tenait cette place. Une logique voisine serait à l’œuvre pour l’obsessionnel avec une difficulté de se compter, de s’inscrire dans la suite des générations et surtout de prendre place dans une lignée filiale.
Si nous devons partir de l’Œdipe, pivot dont Freud se sert pour traiter son patient, il nous faut remarquer que l’Œdipe réussi ne réconcilie pas avec le père. Cela laisse subsister, dans le meilleur des cas une tension entre Père et fils, tension de rivalité, de compétition jalouse. Donc, dans le meilleur des cas, il n’y a aucune raison, une fois que le fils a ainsi assumé sa virilité de se jeter dans les bras l’un de l’autre.
La seule façon, pour cette tension résiduelle de se résoudre, c’est pour le fils, une fois qu’il a acquis la virtualité de cette virilité, d’une certaine manière, de faire le sacrifice à son père de ses attributs. La réconciliation implique de la part du fils, un type de renoncement, au moins du vivant du père ; c’est bien pourquoi l’homme aux rats ne peut faire autrement qu’attendre sa mort pour pouvoir enfin se prévaloir desdits attributs. Attitude qu’on peut qualifier de féminisation à l’égard du père.
Nous retrouvons dans cette observation, le souci qu’a Ernst Lanzer de faire de sa vie un ratage pour que le père reste en position d’idéal, une des façons de régler le problème : de ne jamais accéder à rien. La relation avec une femme se trouve prise dans le même dispositif, où il doit sacrifier sa position idéale pour faire d’elle le véritable idéal.
Jusqu’ici nous avons vu que la relation du patient à son père semble être prise dans le champ de l’imaginaire mais Charles Melman nous dit que nous sommes déjà dans le symptôme.
Et nous arrivons à la dette, la fameuse dette qui lui provoque autant de désagréments et de souffrances. Nous n’allons plus rappeler le contenu de cette dette, mais nous pouvons évoquer qu’elle s’organise par quelques signifiants déjà présents antérieurement à la perte des lorgnons.
De quelle dette parle-t-il ? Est-elle de l’ordre du Réel ou du Symbolique ?
Nous avons entendu au cours de cette journée, que le patient refuse de payer sa dette, qu’il refuse la castration. Donc, la mort, le meurtre du père et ce sentiment d’être un criminel, nous pouvons les tenir comme le refus de lui accorder sa sépulture. Alors, pour l’obsessionnel cette dette est réelle.
Dans les chapitres « La cause occasionnelle de la maladie » et « Le complexe paternel et la solution de l’obsession aux rats », Ernst aborde l’histoire familiale et le choix pécuniaire fait par le père d’épouser la mère du patient, une femme fortunée à la place de la jeune femme modeste qu’il courtisait. D’autre part, nous apprenons que le père, lorsqu’il était militaire, a contracté une dette de jeu qui est restée impayée.
Pourrions-nous dire que ce qui a été déterminant dans la névrose du fils, c’est l’Œdipe du père, et la façon dont il s’est comporté : comme un tricheur ? Mais à l’égard de qui le père a-t-il manqué ? Est-ce à l’égard de la femme puisqu’il aurait vécu en mangeant son bien ? Est-ce que c’est à l’égard du père symbolique en trichant vis-à-vis de la castration ? Puisque finalement dans son accès au sexe il y a trouvé une bonne affaire. Là où l’Autre l’attendait avec la castration, lui a trouvé ce qui lui a permis de vivre agréablement, sans trop se tracasser.
Alors, nous pouvons souligner que ce dont le fils hérite, c’est toujours de la dette du père à l’égard du père symbolique, la façon dont ce père est venu plus ou moins bien répondre à l’appel exercé par le père symbolique. Cela concerne le fils puisque c’est bien une dette qui se transmet de père en fils, même si les filles peuvent avoir le souhait foncier de reprendre cette dette que leurs frères peuvent négliger.
Lorsque le fils a affaire à un père qui, comme le père de l’Homme aux rats, s’est très bien débrouillé dans la vie, ce qui est transmis dans ce cas-là au fils, c’est le poids intégral de la dette à l’égard du père symbolique et que le paiement de cette dette semble s’imposer au fils comme l’exigence d’avoir à renoncer à sa propre ex-sistence, à faire don de son ex-sistence au père symbolique. Mouvement qui ne va pas sans doute sans l’agressivité foncière à l’égard de ce père symbolique puisqu’elle consiste aussi à le châtrer.
Nous voyons comme cette transmission par filiation fait problème pour le patient. Il hésite entre la fidélité qui le rend stérile, paralysé, car chaque écart peut lui suggérer l’équivalent du meurtre du père et la rébellion qui lui permettrait de figurer comme un sujet sexué et là, c’est lui qui refuse.
Charles Melman dit que dans la préface des notes de l’Homme aux rats il y a une petite indication, que Freud a radicalement tue : le père de Ernst Lanzer avait voulu autrichianiser son origine, avait donné des noms à consonance parfaitement germanique à ses enfants et avait regretté de ne pas être lui-même baptisé. Est-ce que l’Homme aux rats l’était ? En tout cas, il avait manifesté sa difficulté à supporter son origine.
Néanmoins, le sentiment du fils que le père était un fraudeur, qu’il n’avait pas voulu payer le prix comme il fallait, dépasse la question de la dette de jeu. Ce sentiment va plus loin, et cela peut expliquer l’idée délirante sur le mode du remboursement devant passer par deux officiers. Autrement dit, il n’aurait pas seulement affaire à la dette non payée à l’égard du père mais, en plus, le problème pour lui est de savoir à quel père cette dette doit être payée, en particulier la dette de son père, qu’il n’a pas acquittée, d’où cette espèce de montage, de circulation qui ferait que tout le monde se retrouverait remboursé.
Je vais conclure là-dessus : ce qui est masqué dans la question de l’identification sexuelle, c’est que celle-ci implique toujours une perte évidemment. Le garçon n’a pas d’autre choix que de renoncer à venir soutenir de son image l’objet a, pour se tenir dans le registre, dans le champ de la masculinité. Il faut qu’il cesse de se faire désirer, ne serait-ce que comme enfant ; faute de quoi il risque de se présenter avec une certaine ambiguïté, une certaine féminisation.
La petite fille, si elle veut se tenir dans le champ de la féminité, a aussi à renoncer à se réclamer de poursuivre la lignée du père. Elle va devoir par son mariage venir faire fructifier une lignée étrangère à celle de son père.
L’exploit de l’obsessionnel, c’est qu’il ne va renoncer à rien de tout. Il a sûrement le souci de venir s’inscrire dans la lignée paternelle, mais sans pour autant renoncer à cet objet petit a. Ce qui lui importe c’est d’être l’un et l’autre. En réalisant cet exploit, il réussit du même coup, dans son corps à abolir la dimension Autre, la dimension de l’altérité, puisque son corps réaliserait l’intersection du Symbolique et du Réel.