Grenoble, le 5 juillet 2006
C'est une soirée de séminaire, donc je vais prendre les choses de la façon dont pour ma part, je les aborde, c'est-à-dire de la façon dont j'y suis intéressé. J'ai lu l'argument que m'a envoyé Jean-Paul Hiltenbrand avec beaucoup d'attention. J'avais le projet de lire quelques-uns des textes auxquels vous vous référez, pas dans l'argument, mais dans votre travail et il se trouve que je n'ai pas eu le temps. Mais en revanche, j'ai eu le temps de me demander pourquoi cette question de l'identité, pourquoi et comment, de quelle façon, elle nous sollicite particulièrement en ce moment. Je dis “nous”, pas seulement, bien loin de là, le lien social en général, mais nous analystes. Et d'ailleurs, je me disais que ce n'était pas mal de commencer comme cela, donc je vais le faire.
Voilà, dans le train, je lisais, je parcourais l'éditorial de la revue de l'ALI, le bulletin de l'ALI. Il y a un éditorial qui rappelle les quelques rendez-vous importants pour cette association, qui ont eu lieu récemment et qui sont à venir, et je remarquais ceci que, c'est que sont évoqués, je ne vais pas m'étendre longtemps là-dessus, mais c'est pour vous rendre sensible quelque chose en matière de départ, il y a eu à Rio un congrès, auquel je participai avec beaucoup d'intérêt qui s'intitulait, Le nom, l'image, l'objet : l'opération du signifiant. Le titre était de Marcel Czermak, et vous voyez que ça nous place tout de suite dans une conjoncture plutôt favorable pour aborder la question de ce soir puisque Le nom, l'image, l'objet, ça avait, je trouve, l'intérêt de nous sortir un petit peu de la façon dont nous répétons volontiers des formules qui finissent par être tellement usées qu'on oublie la portée qu'elles ont, l'incidence qu'elles ont sur notre travail et même dans nos existences. Autrement dit cette trilogie du Réel, du Symbolique et de l'Imaginaire, c'est une autre façon de prendre les choses. Le nom qu'est-ce que c'est, un nom, qu'est-ce que ça fait… pareil pour l'image et l'objet. Là le rapport à ce que nous pourrions appeler, parce que c'est ça qui nous fait nous soucier des questions qui vous intéressent et qui nous intéressent particulièrement en ce moment ce qu'on pourrait appeler cette pathologie de l'Un qui est la nôtre et spécialement à notre époque parce que, je ne crois pas que ce soit un scoop ce que je vais dire, mais tout dépend des conjonctures où on le dit et dans quelle visée. Je crois qu'il n'est pas exagéré de parler aujourd'hui d'une pathologie de l'Un.
Ce colloque avait l'intérêt de montrer qu'aucun de ces termes ne permet de rassembler, justement sous une unité, ce que les deux autres indiquent. Je veux dire par là que vous ne pouvez pas si vous prenez le nom par exemple, vous ne pouvez pas expliciter ce que le nom emporte comme effet. Vous ne pourrez pas, c'est sans espoir, mais c'est intéressant de le remarquer, vous ne pouvez pas le définir ou l'expliciter dans le registre du sens ou bien dans le registre de l'objet. Et vous pouvez faire la même remarque dans les deux autres registres. Ce qu'il en est de l'image vous ne pouvez pas l'expliciter d'une manière qui serait totale dans les deux autres registres. Autrement dit, le rappel de cette triplicité sur ce mode-là, le nom, l'image, l'objet, avait l'avantage de faire entendre qu'il y a dans cette nomination même, dans la nomination de ces trois termes, il y a une référence faite à quelque chose qui s'appelle en l'occurrence, l'opération du signifiant, par rapport à quoi nous nous orientons justement en ce qui concerne notre rapport contemporain, et cette pathologie de l'Un dont je crois qu'on peut dire qu'elle nous caractérise.
Si je prends maintenant le fil des quelques rendez-vous que je remarque mentionnés dans cet éditorial du Bulletin de l'ALI, il y avait donc Rio, le colloque Le nom, l'image, l'objet, ensuite la question que pose la clinique des psychoses avec dans le titre Inventions et suppléances, inventions par rapport à quoi? La psychose ça se présente, enfin sur son versant paranoïaque, ça se présente de façon élective comme une pathologie du Un. Et puis ensuite, troisième temps, “Heurts et malheurs de l'identité” à Fez. Et enfin bientôt ce séminaire d'été placé en référence au séminaire de Lacan qui porte le titre assez extraordinaire, il faut le dire, D'un Autre à l'autre, c'est pas de l'un à l'autre, encore moins de l'Un à l'Un, c'est d'un Autre à l'autre. Il y a là une façon de faire entendre cette question de l'identité. On passe de l'indéfini “un Autre”, au défini “l'autre”, enfin avec cette espèce d'adresse très spéciale qui est celle de Lacan. Et je n'ai pas besoin de vous dire je crois que D'un Autre à l'autre est un séminaire radical sur la question de l'identité, une radicalité qui bien sûr nous intéresse. Et puis il y a le colloque que vous préparez, enfin que nous préparons à Grenoble sur Quête d'identité, relation d'altérité. Je m'arrête un instant sur le titre. En lisant l'argument je me disais que “quête d'identité, relation d'altérité”, ça avait ceci de bienvenu c'est que la quête d'identité dit assez la dimension de demande que comporte ce signifiant de l'identité tel qu'il est mobilisé aujourd'hui et en revanche, la relation d'altérité, ici simplement séparé par une virgule, indique bien l'ordre de logique symbolique dans lequel on se trouve pris dès lors qu'on fait état de cette quête et comment, bien entendu, ce qui est repéré par la relation, elle-même n'est pas forcément homogène à ce qui se formule dans la demande. C'est un peu ce que j'évoquais à propos du nom, de l'image et de l'objet, il est évident que cette quête d'identité si elle est aujourd'hui particulièrement pathétique, c'est sans doute du fait que la logique auquel elle se trouve immédiatement avoir affaire du simple fait qu'elle est prise dans le registre du signifiant, dans cette logique du signifiant. Cette logique nous amène à prendre en compte quelque chose qui n'est pas du tout homogène à cette demande. C'est une des raisons aussi de notre embarras contemporain, dans la mesure où cette demande est de plus en plus présentée comme ce qui doit faire standard, ce à quoi nous sommes censés répondre. Je n'insisterai pas sur le fait de ce que toute cette demande contemporaine doit à la dimension de la reconnaissance au sens du souci d'être reconnu.
Alors cela étant, en lisant cet éditorial et en pensant à notre propos de ce soir, je me disais ceci ; qu'est ce qu'à travers ces différents rendez-vous signale l'Association Lacanienne? Je crois qu'on peut entendre, même si ce sont des initiatives qui sont diverses, on peut y entendre le fil d'une question qui me paraît importer à chacun d'entre nous, pour autant qu'il est concerné par la pratique de l'analyse. Et cette question, je la dirais de la façon suivante : compte tenu, devant ce que notre actualité nous présente justement en matière de pathologie de l'identité, quelle peut être, quelle est une façon correcte de se tenir par rapport à ça, de se placer, de prendre position par rapport à ça en tant qu'analyste, c'est-à-dire dans sa pratique, dans ses propos, dans son existence, dans ce qui nous importe. Quelle serait, mais je ne parlerai pas au conditionnel, quelle est la manière correcte de prendre là-dessus position puisqu'il est évident que nous n'avons pas de position orthopédique, nous n'avons pas de vocation d'éducation, nous n'avons pas de vocation à redresser quoi que ce soit, néanmoins nous avons en charge et c'est peut-être là-dessus que je voudrais essayer d'éclaircir certains points qui m'intéressent plus particulièrement ce soir. Nous avons en charge un savoir, ça c'est quelque chose d'absolument assuré, contrairement à ce qui parfois se dit d'une manière légère ou irresponsable : les analystes ont un savoir opératoire à leur disposition. Ce savoir, il nous revient de décider de trancher de quelle façon et même si nous souhaitons en faire quelque chose. Nous ne pouvons en aucune façon dire que nous ne soyons pas, à l'égard d'un certain nombre de questions, que nous ne soyons pas avertis d'un certain nombre de choses, donc nous avons à répondre. Il y a aujourd'hui en France, maintenant, à se préoccuper de la façon dont ce savoir nous en faisons quelque chose. Je voudrais partir d'une remarque à propos justement de ce savoir. Ce savoir qu'on peut dire de l'analyste, il est arrivé à Lacan de dire, je dis ça de mémoire, la citation n'est peut-être pas exacte mais, je me souviens avoir lu dans un séminaire de Lacan que Lacan considérait que les analystes en savaient un bout sur un certain nombre de choses. Mais toute la question, bien entendu, est que faisons-nous de ce savoir, quel statut il a ?
Comme vous savez, le savoir c'est une dimension redoutable. Je pense que, parmi vous, il doit y en avoir qui commencent à se former à ces questions d'une façon analytique, je pense que vous avez l'idée, au moins l'idée, et puis pour beaucoup d'autres plus qu'une idée, de ce que Lacan distinguait sous le terme de S2, c'est-à-dire comment est-ce qu'on pourrait brièvement distinguer ce que Lacan identifie sous la lettre ou l'écriture S2. On pourrait dire que S2 c'est le savoir en tant que ce savoir vient saisir le corps, le corps réel, celui qui compte. S2 c'est le savoir en tant que ce savoir vient donc saisir ce corps qui se trouve être, ça c'est quelque chose qu'un analyste sait, ce corps qui se trouve être, je l'évoquais justement à Fès, en reprenant un point que Lacan souligne dans son séminaire sur l'angoisse, ce corps que nous éprouvons comme être cessible à l'autre, cessible tout court, donc cessible à l'autre, quoiqu'on mette sous ce terme, ce corps il est cessible, nous ne savons pas quoi en faire, c'est une vérité d'évidence, on le constate tous les jours et comme nous ne savons pas quoi en faire et que de temps en temps ça nous affole, eh bien nous sommes prêts à toutes sortes de gymnastiques ou d'exercices, de mouvements, de rassemblements, pour justement que ce corps, pour que ce S2, ce qui justement s'inscrit sur ce corps et qui détermine ce corps, nous n'en soyons pas complètement affolés.
Je voulais simplement vous faire remarquer que cette dimension de S2, le savoir, ce que Lacan appelle parfois la jouissance, c'est très, très fort. Je pense que ça peut éclairer un tout petit peu la question de la pathologie de l'Un. Si nous sommes dans ce rapport tout de même, pas depuis quelques mois, mais, si notre époque, et on peut dire que c'est un point que Jean-Paul Hiltenbrand dans son ouvrage de diverses façons, plusieurs fois, souligné, si notre époque est d'une certaine façon “éperdue” dans son rapport à l'Un, c'est sans doute aussi en raison de la crudité, de la violence, de la précision aussi, avec lesquelles cette dimension de savoir, et de savoir en tant que le savoir s'articule au corps, vous savez jamais le corps humain n'a été à ce point producteur de savoir de toutes sortes, on a trouvé des appareillages multiples, chaque jour plus diversifiés etc.. Je pense que notre rapport difficile à l'Un est certainement à entendre en relation avec ce caractère extrêmement violent, extrêmement fort, parfaitement subjectif. Le simple fait de poser à côté de ce savoir S2, un autre signifiant, un signifiant qui vient en place, on va dire logiquement, non pas en place de nombre, nombre parce que S2 c'est pluriel, mais un signifiant qui vienne en place simplement de scansion, en place Une. Ce n'est pas tout à fait la pathologie de l'Un ça. C'est simplement la place de l'au moins un, en tant que cette place est une simple place qui vient interrompre le savoir, l'interrompre.
Vous savez combien, je pense que vous le savez, un analyste, un analysant aussi, dès lors que nous sommes un peu attentifs à ce qui se passe dans nos existences, nous savons combien le fait de faire une place à ce S1, à ce signifiant, à un signifiant qui puisse venir de temps en temps arrêter, poser un terme à ce qui se manifeste de manière ininterrompue de savoir, vous savez combien, ce que Lacan écrivait S1, est fragile, combien c'est précaire, contrairement à cette idée que même dans les milieux analytiques on pourrait presque dire surtout dans les milieux analytiques, c'est drôle d'ailleurs... pas tellement à l'Association Lacanienne je dois dire, mais enfin quand même, l'espèce d'insurrection que soulève facilement cette référence au S1, c'est-à-dire au signifiant qui ne s'appuie sur rien d'autre, c'est pour ça que Lacan l'appelle le signifiant Maître, car il ne s'appuie sur rien d'autre que sa valeur de signifiant pour faire interruption.
Alors vous me direz, ça peut être arbitraire. Ça peut être le comble de l'arbitraire, bien sûr ça peut être absolument tout ce qu'on veut, un signifiant, mais ça a cette vertu, en tout cas, de pouvoir, à l'occasion, de pouvoir arrêter ce cours du S2 et en cela c'est précaire, contrairement à ce qu'on imagine. Le signifiant Maître, en tant que place en tant que signifiant, il est précaire. Si on commence à s'imaginer, ou si on commence à vouloir réaliser, pour prendre nos catégories structurales, sur ce signifiant Maître un tant soit peu quelque chose, on peut partir, si on n'est pas orienté un tant soit peu, dans des dérapages ou des glissades des plus aventureuses, mais en lui-même ce signifiant, simplement parce que nous le considérons comme faisant arrêt dans le savoir du corps, dans ce qui mène le corps en lui-même, un des aspects de la question que je posais en commençant, c'est-à-dire comment avons nous à nous tenir, à nous comporter, à prendre position dans la conjoncture qui est la nôtre, eh bien le statut que nous donnons à ce signifiant S1, dans nos existences et dans notre pratique, fait partie de la difficulté et c'est crucial.
Il y a quelques années, il y a 2 ou 3 ans, il m'a semblé que la question du sujet était une question qui méritait d'être reprise, simplement parce qu'elle avait tendance, je crois comme beaucoup de questions dans notre champ, à se fermer. Et si je l'évoque ici, c'est parce que le sujet, une façon dont Lacan a nommé la difficulté que je suis en train d'évoquer et non seulement de la question du sujet, mais il a fait de cette nomination un usage qui nous est aujourd'hui sans doute assez familier, trop familier peut-être. Beaucoup d'entre nous avons lu Lacan, nous l'avons travaillé, donc nous sommes habitués à cette façon qu'a Lacan de se référer au sujet. Vous noterez d'ailleurs qu'à la fin de son enseignement il s'y réfère moins et certainement d'une façon beaucoup plus discrète qu'à d'autres moments de son enseignement. Il est clair que ce terme de sujet a une grande importance dans l'enseignement de Lacan. L'une des raisons de cette importance est que ce que Lacan appelle sujet c'est quelque chose qui a laissé tout le monde un petit peu désemparé car, quand Lacan est arrivé dans ce champ, on n'a pas très bien su comment il fallait prendre ce qu'il disait. Pour vous dire dans les années 50 et surtout 60 et 70, quand Lacan évoquait cette question du sujet c'était pas du tout à la mode. La mode était au contraire à l'effacement du sujet, au primat de la structure, ce que Lacan ne démentait pas mais il tenait de façon extrêmement décisive à côté de ce qui avait trait à la structure, il tenait à cette référence au sujet. Et si ça nous intéresse c'est que l'opération du signifiant qui indique cette tripartition que j'évoquais en commençant, de trois dimensions qui ne peuvent pas être réduit l'une à l'autre, c'est irréductible. Il y a une différence là qui est irréductible et qui se joue à trois, eh bien cette opération du signifiant on peut dire que d'une certaine façon, sans tordre les choses, c'est cela que Lacan désigne sous ce signifiant du sujet. De la manière dont S1 et S2 c'est-à-dire entre ce que nous pouvons aussi appeler un signifiant et un autre signifiant, qu'est-ce qui se joue? Il se joue justement dans cette coupure, il se joue le caractère opératoire de ce que Lacan appelle le sujet. Là où les choses sont pour nous intéressantes et difficiles, c'est que comme vous le savez, tout l'effort de formulation de Lacan concernant le sujet est appendu à ceci, et c'est en quoi Lacan est freudien, et il est décisif. Tout son effort concernant la formulation nouvelle concernant le sujet c'est que Lacan le réfère, le rapporte ce sujet, (je vais l'écrire ici), de façon très précise, très patiente, très articulée dans son élaboration, Lacan le rapporte à quelque chose à quoi il donne un statut tout à fait nouveau dans notre horizon, l'objet. Et l'objet il l'appelle l'objet petit a. Je laisse de côté la façon dont il l'appelle, je dis l'objet. Lacan dit que s'il y a quelque part dans le champ humain à trouver, à repérer une dimension d'autonomie, c'est du côté de l'objet. Certainement pas du côté du sujet, et d'ailleurs je vous rappelle qu'un certain nombre de déterminants fondamentaux de ce que Lacan appelle le sujet, je dis bien de déterminants, je ne dis pas qu'il a été chercher là ce qu'il appelle le sujet, mais un certain nombre de déterminants fondamentaux, c'est dans la clinique des psychoses qu'il a été les chercher. Et c'est d'autre part dans la clinique de la perversion, c'est quelque chose qu'on a souvent tendance à oublier, Lacan a consacré de nombreux séminaires à la clinique de la perversion, de façon à isoler de manière très précise comment l'objet venait se réfracter dans cette clinique d'une manière tout à fait spécifique, et ce n'est qu'en troisième lieu et par conséquent quand Lacan a éclairé de manière aussi décisive que Freud avait pu le faire à sa façon, d'une toute autre manière, Lacan a éclairé comment la névrose est déterminée par l'objet. Il est quand même remarquable que toute cette articulation par Lacan de la question du sujet soit donc à prendre dans la dimension d'automaticité, je dis le terme à dessein, d'automaticité qui règle, qui détermine, qui commande notre rapport à cet objet. Autrement dit le sujet chez Lacan, le sujet est une conséquence, il est second par rapport au déterminisme et aux déterminations de ce que Lacan appelle l'objet et que, à la suite de Freud, il isole mais d'une manière beaucoup plus précise que Freud. La question de l'identité nous tourmente d'autant plus que cette dimension de l'objet apparaît en quelque sorte à ciel ouvert. On pourrait le dire ainsi. Lacan avait utilisé cette expression pour la psychose, mais ce n'est pas un monopole, on peut l'utiliser pour d'autres. Il me semble tout à fait patent qu'à d'autres époques de notre civilisation, ou bien dans d'autres types de liens sociaux, la dimension d'automaticité avec laquelle l'objet commande n'apparaît pas forcément avec la même évidence que le repère la psychanalyse.
Nous vivons une époque marquée par à la fois un savoir qui sans doute n'a jamais été aussi sophistiqué, aussi précis, aussi simple d'une certaine façon, quant à ce qui détermine le sujet, le savoir, et la psychanalyse en même temps, ont été très loin dans l'élucidation, et nous avons à notre disposition des outils, des outils opératoires pour savoir un tout petit peu ce qu'il en est de notre relation à cette sorte d'altérité radicale que présentifie l'objet. L'une des caractéristiques certainement remarquable de cette époque c'est la manière dont elle peut se remparder par rapport à ce qui constitue une élaboration qui probablement est sans équivalent. On en trouverait certainement des équivalents dans la théologie, dans les élaborations de certains théologiens, mais c'est dans un monde tout à fait différent, qui avait son type de cohérence, qui n'est plus le nôtre. D'où justement le caractère éventuellement incohérent ou difficile à rendre reconnaissable de ce que nous appelons le monde qui tient justement à la très grande précision avec laquelle ont pu être isolées les coordonnées de cet objet qui nous détermine.
La question étant, et c'est ça qui fait tout l'intérêt, que ce savoir là nous l'avons en charge, nous en sommes responsables. Qu'est-ce que nous en faisons? Autrement dit, c'est un savoir qui ne peut pas se résoudre en lui-même, c'est un savoir qui appelle nécessairement un acte, quitte à ce que cet acte soit l'acte le plus psychologiquement pauvre qui consiste simplement à n'en pas tenir compte. C'est quand même une façon de prendre position et même assez courante. Je voudrais évoquer ici ce qu'a été la position de Freud, une position assurément correcte à l'égard de ce savoir et de cette question qu'il est le premier à avoir mis au jour. La position de Freud elle est très remarquable, elle nous intéresse, notamment en relation avec le titre du colloque que vous préparez c'est-à-dire Quête d'identité, relation d'altérité. Freud a identifié quelque chose. Identifier quelque chose, ça ne signifie absolument pas assurer une identité. Identifier quelque chose, j'ai travaillé là-dessus dans les deux ouvrages que j'ai commis, justement sur ces questions du nom et de l'image, identifier quelque chose suppose précisément que vous ne pouvez pas le reconnaître en même temps. Vous ne pouvez pas, quand vous identifiez quelque chose, vous ne pouvez pas dans le même temps y poser du sens. Il y a là une impossibilité, cette impossibilité se vérifie de diverses manières. Qu'est-ce qu'a identifié Freud? Parce qu'il a identifié quelque chose. L'une des grandes difficultés de Freud, c'est qu'il a cherché, c'était quelqu'un de très pris dans les idéaux de son époque, il a cherché à rendre compte de ce qu'il avait identifié à partir de ce qu'on peut appeler la logique aristotélicienne. C'est-à-dire une logique du concept, une logique qu'on peut dire conceptuelle. Je dis que ça nous intéresse parce que d'abord ça aide à repérer quelques difficultés de Freud d'une manière éclairante.
Prenez l'Homme aux Loups par exemple. L'Homme aux Loups dont on parle souvent et de manière récurrente dans l'histoire et dans le milieu analytique, l'Homme aux Loups, vous pouvez tout à fait le lire, et je pense que c'est correct comme tentative ratée par Freud, d'isoler la fonction de l'objet. Elle est ratée pourquoi? Parce que Freud a considéré que c'était une névrose obsessionnelle. Il trouvait que ça durait un peu trop, ça traînait, il a dit à son patient, il a eu le culot de dire « bon de toutes façons même si ce n'est pas fini, à telle date on arrête ». Là-dessus, vous savez la suite, il a arrêté effectivement et son patient, je vous passe tous les détails, parce qu'ils sont nombreux, a atterri chez Ruth Mack Brunswick, et il a développé, disons pour faire bref, une mélancolie franche et massive. C'est-à-dire que la question de l'objet que Freud avait eu tant de mal à articuler, là il se l'est vu si je puis dire présentifiée dans le Réel de manière extrêmement éloquente. Pourquoi est-ce que je dis ça? C'est parce que l'honnêteté, le caractère très exemplaire de l'attitude de Freud dans son analyse de l'Homme aux Loups, c'est-à-dire, voyons je vais m'expliquer en termes conceptuels, et dans une logique qui est celle de la rationalité. Comment dans l'histoire d'une existence humaine, comment joue la scène primitive, comment joue le refoulement originaire? Comment agit le refoulement? Je vais vous le montrer. Alors que Freud prend beaucoup de points pour établir quels ont été les faits, à quelle date, quel moment, moyennant quoi il construit quelque chose qui est complètement à côté de la plaque. Son patient n'était absolument pas un névrosé. Tout cela aboutit à quoi? A quelque chose dont il ne me parait pas exagéré de dire que ce que nous avons... (fin de la cassette).
Freud nous a donné avec le cas de l'Homme aux Loups, une sorte d'aperçu, une mise en place de l'objet qui n'est pas encore une mise en place absolument rigoureuse, dans sa logique de l'objet, je pense qu'on peut dire d'une façon légitime qu'il y a dans la manière dont Freud essaie de rendre compte de l'objet dans l'Homme aux Loups, et de son incidence sur le sujet, un aspect mythologique. Cette mythologie pour Freud, une mythologie a toujours à voir avec une idéologie, et elle a toujours à voir aussi avec la mise en place les grands signifiants de l'altérité. Ce n'est pas pour rien que Freud avec l'Homme aux Loups essaie d'articuler la question de ce qui deviendra pour nous l'objet. Il n'y a pas plus difficile à articuler dans le registre de l'altérité que la question de l'objet. S'il en donnait une mythologie c'est que c'est d'une certaine façon loupé son truc. En même temps il ne l'a pas loupé parce que comme c'était un vrai scientifique, ses erreurs sont extrêmement instructives, parce qu'il accepte d'en rendre compte et de les écrire. Qu'est-ce qu'il a donc identifié, pour reprendre le style de ce qu'il proposait, qu'est-ce qu'il a identifié? Il a identifié quelque chose qu'il a appelé lui-même pour ceux qui sont germanistes, une Deutung, une nouvelle Deutung. Une Deutung j'ai eu l'occasion de le dire il y a pas longtemps, parce que ça me travaillait : mon propos est aussi lié au fait qu'il y a trois ou quatre mois, j'ai eu l'occasion avec des collègues allemands, ils m'invitent de temps en temps parce que je me suis mis à m'intéresser au fait que ayant un accès facile à l'allemand, le parlant, le lisant mais l'ayant un peu oublié je n'avais pas réalisé que Freud, il n'était pas évident que nous le lisions tout le temps en français, je me suis mis à le lire en allemand pour une part, et donc avec ces collègues allemands je me suis livré à un commentaire, vraiment précis, ligne à ligne, pas très long, mais quand même d'un article fort bref de Freud, qui est tout à fait extraordinaire quand vous le reprenez débarrassé de toutes les couches successives des traductions françaises, qui est l'article intitulé maladroitement, “le clivage du Moi dans les processus de défense”. C'est un titre qui est très compliqué par rapport à la simplicité, vraiment décisive de Freud dans ce dernier article qu'il a écrit, et on a l'impression, moi en tout cas c'est plus qu'une impression, c'est fondé, Freud juste avant de terminer, de mourir, il a dit en quelque chose, il a articulé, en quelque sorte, ce qui faisait pour lui, pas seulement pour lui, ce qui faisait une part de la question qui l'avait tourmenté. J'y reviendrai tout à l'heure. Ce qu'il identifie c'est une certaine Deutung, c'est une Deutung, qu'est ce que c'est une Deutung ? Deutung en allemand, ça renvoie à la façon dont quelque chose va avoir une valeur significative, va avoir une résonance, va avoir éventuellement un sens, et la façon dont on va devoir ou non en tenir compte, c'est ça la Deutung, c'est-à-dire ce n'est pas seulement un sens, c'est quelque chose qu'il va falloir, devoir, ou pas, prendre en compte, qui a des résonances, qui a des effets. Cette Deutung vous remarquerez que Freud lui a donné un nom, il l'a appelée la Traumdeutung. Il faut le souligner quand Freud dit la Traumdeutung, il nomme une nouvelle incidence du signifiant, il la nomme elle n'avait jamais été nommée avant et il l'appelle Traumdeutung, je crois qu'on peut dire qu'il l'appelle Traumdeutung avec la même force que par exemple un siècle plus tôt, un peu plus d'un siècle plus tôt, Kant par exemple, Kant amène, avec tout le caractère extraordinairement massif de son poids dans la tradition occidentale, le poids que ça a pris, il a amené le signifiant “critique”, par exemple ou le signifiant “raison”. Il en donnait, je parle de Kant, une nouvelle résonance. La résonance de Freud va beaucoup plus loin encore. Et Freud l'appelle cette résonance, Freud l'appelle la Traumdeutung c'est-à-dire la résonance, la façon dont le signifiant se donne à entendre, à lire, et dont le rêve nous donne l'articulation, comme il le dit, c'est la voie royale pour articuler cette Deutung. Donc Traumdeutung, il faut l'entendre je crois avec le même accent de nom propre en quelque sorte, de titre, que vous donneriez je ne sais pas moi, à la relativité d'Albert Einstein. C'est aussi fort que ça ce n'est pas simplement la signification des rêves, ou l'interprétation des rêves. On est très en deçà je crois quand on est confronté à cette dimension. C'est un nouveau mode de rapport au sens et au signifiant.
Ce nouveau mode quel est-il? Lacan le rappelle dans le séminaire que nous travaillons cette année, d'un Autre à l'autre, ça me vient comme ça, mais Lacan le rappelle d'une manière tellement décisive, extrêmement précise, ce nouveau mode de lecture de Freud, ce nouveau rapport au S2 parce que c'est de ça qu'il s'agit, que Freud identifie, eh bien il l'identifie comme quoi? Encore une fois avec cet accent, cette note que l'identification comporte que ce que vous identifiez vous ne pouvez pas simultanément le reconnaître. Freud identifie, là je me contente de reprendre ce que dit Lacan, il le dit très précisément comme ça, un savoir sur une vérité, c'est ça un rêve, Lacan souligne que chez Freud, le rêve est articulé dès sa première énonciation. Le rêve se donne comme articulé déjà. D'une certaine manière c'est une interprétation sauvage, un rêve. Dès sa première apparition, Freud le souligne et Lacan le souligne encore plus, en disant que ce qui se présentifie ainsi dans un rêve c'est un savoir, c'est là où Freud fait un pas décisif. Ce savoir concerne une vérité qui ne se sait pas vous voyez comment le savoir est mis en quelque sorte non pas en relation avec lui-même, mais en relation, en articulation à cette impossibilité d'explicitation, qui est à la fois déterminante dans notre rapport à l'altérité, et à l'objet, et finalement déterminante dans l'articulation analytique. Savoir donc sur une vérité qui ne se sait pas. C'est tout à fait différent de dire que le rêve est un savoir d'une vérité, ça on l'a toujours su. Qu'un rêve ça disait des choses. Mais là, ça dit une vérité qui se distingue de ne pas se savoir. C'est le savoir de cela, un rêve. Cette Deutung de Freud, cette nouvelle Deutung dans le monde en quelque sorte sans laquelle Lacan n'aurait jamais pu isoler l'objet a, sans laquelle, nous serions, je dirais assez, je ne sais pas trop bien comment nous pourrions prendre cette question de l'altérité, si nous n'avions pas à notre disposition cette élaboration freudienne. Et alors, concernant ce qu'il en est de cette Deutung freudienne, telle qu'elle nous sert, telle que Lacan l'a développé, développé ce n'est pas le bon terme, l'a extraite, l'a reprise, Freud dans son dernier article, l'article sur ce qu'on pourrait appeler la déchirure du sujet, Ich, je, c'est ça le clivage du Moi, Freud dit qu'il y a là une déchirure que rien ne peut permettre de cicatriser. Il n'y a aucune cicatrisation possible. Vous ne pourrez jamais, c'est sans espoir d'essayer de penser qu'il y ait un raccommodage possible de ce qui déchire, de ce qui divise, le Ich, le sujet. Le sujet c'est une traduction de Lacan. C'est un acte de dire le sujet.
Il y a des gens que ça révulse. Il y a notamment une dame, récemment qui a sorti un livre. Ce livre est très intéressant parce qu'il montre qu'elle a parfaitement perçu ce que Lacan disait du sujet. Ça s'appelle Le Sujet, elle s'appelle cette dame, je le recommande à ceux d'entre vous qui seraient curieux, c'est une dame qui est professeur, qui s'appelle Madame Michèle Bonpard-Porte, et ça s'appelle Le Sujet, et cette dame, elle est psychanalyste. Elle travaille dans une association, pas la nôtre, une autre, et je crois qu'elle écrit, elle passe tout le temps de son livre à dire : Lacan s'est trompé sur toute la ligne, parce que, je vous le donne dans les termes, parce que ce que Freud a repéré ne peut en aucun cas se laisser subsumer, se laisser prendre sous le terme de sujet. Ce que Freud a repéré c'est une sorte de multiple irréductible de ce qu'elle appelle les actants de la vie psychique, c'est quand même particulier devant certaines formulations : les actants de la vie psychique. Elle considère que ces actants rendent absolument impossible de parler du sujet, et d'ailleurs je vais vous montrer pourquoi, voilà ce que dit Freud du sujet. Elle montre toutes les occurrences où, sans jamais le citer, Lacan parle du sujet, et elle dit voilà pourquoi il ne faut pas en parler. Ce dont elle ne se rend pas compte apparemment c'est que plus elle souligne qu'il n'y est pas, il n'y est pas, il n'y aest pas, et plus elle montre que son titre est excellent, son livre aussi d'ailleurs, le sujet, puisque c'est effectivement un livre sur le sujet. Simplement elle dit qu'il n'existe pas, il n'y a rien à voir, et ce n'est pas une bonne façon d'aborder Lacan. Mais enfin, c'est vous dire que traduire le sujet c'était de la part de Lacan, un acte, un acte auquel il donnait suffisamment d'importance pour avoir écrit un papier qui s'intitule comme vous le savez, je crois, Du sujet enfin en question. Un papier remarquable dans les Ecrits, mais je laisse ce point de côté. Dans cet article dont je parle, ça va nous permettre d'aller tout droit, là où il voulait nous proposer de nous arrêter, d'arrêter notre réflexion, notre propos, ce que dit Freud c'est ceci, c'est que le sujet parlant, le sujet humain, le petit garçon puisque dans cet article il s'agit d'un petit garçon, il découvre le fait que d'un côté il n'y a pas de pénis, et de l'autre il y en a un, il découvre la castration. Et Freud montre que tout le fonctionnement, toute l'articulation que ce jeune sujet va produire ensuite de ce “pas de”, puisque c'est de cela qu'il s'agit, il découvre ça. “Pas de “, pas de pénis bien sûr, mais ce n'est “pas de”, là où était attendu de l'un, quelque chose, il n'y a pas. Ça, je ne vais pas amplifier tout ce qu'il y aurait à dire, mais j'y viendrai tout à l'heure de manière plus précise. Là où donc l'enfant attendait de l'un il n'y a pas et pas n'importe quel point, au point phallique. Mais ce que Freud en fait découler de manière magistrale, décisive, il dit ce jeune patient, contrairement à ce qu'on laisse entendre ou ce qu'on s'imagine parfois, il ne le situe pas du tout du côté de la perversion, mais il le situe comme quelqu'un d'ordinairement névrosé, il dit ce jeune garçon, il va se remparder contre cette découverte, qu'il n'y a pas l'Un là où c'était attendu. Autrement dit, si je reprends le titre actuel des journées en préparation, Quête d'identité, relation d'altérité, on peut dire que ce que Freud montre dans cet article, c'est que l'enfant découvre, c'est le cas de le dire, la quête de quoi? Le x qui était attendu n'est pas là. Et encore plus la relation attendue, pas plus. Là où c'était, en quelque sorte, il n'y a pas. Alors Freud dit ce garçon il va réagir de deux façons, et je crois qu'il n'est pas du tout exagéré d'y reconnaître quelque chose de très voisin de ce que nous appelons la métaphore et la métonymie, je n'invente rien, vous allez voir, puisque Freud dit qu'il va remplacer ça par une Verchiebung (déplacement), il va déplacer, il va translater, la valeur qui était attendue de ce Un qui n'est pas là, qui en quelque sorte manque fondamentalement. L'enfant va en déplacer la valeur symbolique, il va la déplacer ailleurs, ailleurs ça peut être sur d'autres parties du corps, ça peut être tout autre objet qui s'échange, c'est la valeur. Je crois qu'il n'est pas du tout exagéré de repérer dans cette dimension de Verchiebung, parfaitement articulée comme telle par Freud, la dimension de la métaphore. Et puis alors, ce qui nous intéresse beaucoup par rapport à ce qui concerne nos difficultés, l'autre manière dont il va pouvoir se défendre du manque, défendre, je prends la traduction française, mais enfin c'est bien ça en allemand, Abwehr, c'est vraiment on envoie l'armée, on se défend, c'est une défense, on se remparde. La deuxième manière c'est dit-il l'élection d'un fétiche, c'est pas du tout réservé au fétichiste, au fétichiste au sens de la perversion. Il va élire un fétiche, c'est-à-dire un Un, il va pouvoir tenir comme ça, quand il va pouvoir en faire ce qu'il voudra, il va pouvoir mettre, là où manque au rendez-vous, le fétiche. D'un côté la Verchiebung, d'un autre côté le fétiche. Il ne me paraît pas inconcevable de voir dans ce fétiche une dimension proprement métonymique de notre dimension à l'objet. C'est-à-dire qu'il va venir sans doute momentanément tenir lieu de.
Maintenant que j'ai évoqué ça, comment est-ce que nous pouvons, comme je le disais en commençant, comment est-ce que nous pouvons interroger ça d'une façon à peu près correcte? Ce que Freud repère là c'est la dimension du trait de ce qui fait valeur. Je vais prendre les choses un petit peu autrement, vous allez voir pourquoi tout de suite. Dans cet article terminal la réponse que Freud apporte, il l'apporte à une question qu'il avait formulée avant et on peut la formuler comme ça : au moment des Etudes sur l'Hystérie, vous avez une femme, prenez Anna O avec Breuer, qui sollicitait de dire ce qui ne va pas, c'est-à-dire ce que j'évoquais en commençant sous le registre de S2. Elle envoie des signifiants de toutes sortes, et Lacan remarque quelque part : vous pouvez chercher dans tout ce que dit Anna O, d'ailleurs, ça en a étonné parfois certains, il n'y a rien de sexuel, en tout cas rien d'explicitement sexuel. Il y a des signifiants. Et il y a des signifiants dont personne ne voit, je vais le représenter comme ça, et personne ne voit ce qu'ils signifient, autrement dit, elle sort des signifiants à tire-larigot, quant au sens que ça peut bien avoir, tout le monde reste le bec dans l'eau, Breuer le premier. Vous savez que le pari en quelque sorte risqué, osé qu'a fait Freud, et en même temps d'une certaine manière fallacieux, mais il lui fallait passer par cette erreur initiale, le pari qu'a fait Freud, d'abord Freud a remarqué qu'il y avait là quelque chose de très important, c'est-à-dire cette solidarité entre le signifiant et le signifié que notre tradition avait établi comme ceci, c'est comme ça que vous l'avez chez Saussure. Le signifié en haut en position dominante, le signifiant en bas, ce sont des choses que vous savez, je n'y insiste pas sauf pour faire remarquer que ce que montrent les Etudes sur l'Hystérie, la première chose qu'elles montrent c'est d'abord cette désolidarisation entre les deux registres qui font que quelque chose qui était vraiment au principe de notre tradition, à savoir cette solidarité du signifiant et du signifié, assurée par toutes sortes de garants que vous voudrez, dans l'ordre justement d'une identité, eh bien les Etudes sur l'hystérie ont suffi de façon il faut le dire, vraiment géniale, parce qu'il fallait être Freud pour repérer que dans le cas d'Anna O, il y avait ça à épingler, à savoir que le signifiant n'avait aucun rapport nécessaire avec le signifié pour ce qui concerne un corps. Rien. Et Freud a dit, ce qui peut les faire tenir, ce qui les articule, comme vous le savez, c'est le sexuel, c'est-à-dire c'est ce qu'on peut représenter comme la valeur phallique justement de cet écart, simplement Freud, pas besoin d'y insister, mais enfin quand même il vaut la peine de le remarquer, Freud s'est trompé, il a pensé qu'on pouvait guérir le sujet parlant de son malheur dans son rapport à l'identité si on pouvait lui révéler, si on pouvait lui dire en quelque sorte de quoi il manquait dans le registre du sexuel. Il y a cru. Dans son tout dernier article ce qu'il y a d'absolument saisissant c'est que de manière limpide, simple directe, Freud prend acte. C'est l'article où il est au plus près de ce que Lacan isolera dans le registre de l'objet. Il prend acte du fait que nous n'avons rien d'autre en fait d'articulation du signifiant et du signifié, nous n'avons rien d'autre pour les lier que la Verchiebung ou le fétiche, c'est-à-dire en fait leur valeur sexuelle, mais une valeur sexuelle qui ne donne aucun référent assuré. En éclairant rétrospectivement la manière dont Lacan a lu Freud, c'est une mise en tension de l'objet a et du phallus qui dans ce très court article de Freud est perceptible quand on sait lire, et si nous n'avions pas la possibilité de bénéficier là dessus de la lecture de Lacan, qui a su lire Freud, ça serait passé à la trappe.
Alors pour terminer ce propos, je vous propose ces remarques, il me semble que la manière que j'évoquais en commençant, la manière dont nous avons à nous situer en essayant d'être relativement correct en nous interrogeant, et notamment quand nous questionnons ce qu'il en est de notre rapport à l'Autre, c'est quand même ça que traduisent les quêtes d'identité, en nous questionnant, nous analystes, quand nous questionnons ce lieu de l'Autre, à la suite de ce que Freud et Lacan en ont éclairci. Nous ne pouvons pas je crois, ne pas prendre en compte, je vous propose cela, cette interrogation qui appelle de notre part, un acte, autrement dit, c'est une interrogation, c'est une évidence, encore faut-il en tenir compte, qui ne trouve en aucun savoir son explicitation. Elle appelle un acte, pas un passage à l'acte, encore qu'il peut y avoir une proximité, mais un acte. Et cet acte qui est sollicité dans la façon dont nous interrogeons notre relation à l'Autre, cet acte je vous proposerai de considérer, qu'il a des représentants électifs, qui se trouvent être justement ce qui aujourd'hui se trouvent être d'une certaine façon ce qui fait, je ne dirais pas symptôme, mais difficulté dans notre lien social. Ces représentants de ce qui appelle de notre part, responsabilité et acte dans notre rapport à l'autre, je vous proposerai d'en distinguer trois. Le premier, le plus évident je crois, qui présente le rapport à l'Autre, c'est une femme et l'acte qui est appelé ou qui est interrogé et qu'une femme représente, il n'y a pas besoin de chercher longtemps, c'est l'acte de Freud lui-même, c'est l'acte sexuel. Les femmes sont je crois dans une position précaire en ce qui concerne leur féminité, ce qu'on appelle la féminité, un mot qui est devenu débile, devenu franchement bête à force d'être sollicité dans un sens pauvre, la féminité maintenant personne ne sait où on en est aujourd'hui, sauf peut-être à prendre ses repères du côté un tout petit peu de l'analyse, là on en a, mais avouez que ce qui s'articule sous ce terme là dans notre difficulté moderne n'est pas spécialement favorable aux femmes, puisque ça ne tend à rien d'autre qu'à les rayer du champ. Un autre représentant à mon avis, électif de notre relation à l'Autre, j'avais envie de dire bien sûr, c'est ce que représente un père aujourd'hui, réuni là dans une sorte de précarité avec une femme qui ne peut pas ne pas nous intéresser. Un père aussi, un père également il appelle, il sollicite il représente la façon dont nous sommes sollicités du côté de l'acte, à tenir ce à quoi nous sommes tenus par notre nom, notre filiation, que nous soyons père ou que nous soyons fils, peu importe mais ce qui se joue là ou ce qui ne se joue pas. Et puis le troisième terme qui me paraît extrêmement intéressant à mettre l'accent pour désigner cette relation qui pourrait correctement s'établir, chacun décide comme il le peut, le troisième terme que je vous proposerais c'est ce que représente une lettre, puisqu'une lettre appelle lecture, et une lettre c'est si l'on peut dire ce qui du signifiant appelle lecture. Une lettre n'est pas forcément la lettre qu'on écrit, c'est aussi quelque chose qu'on prend à la lettre, qu'on interroge, littéralement. Cette dimension de la lettre appelle aussi une prise de position, le fait de prendre acte de notre articulation au lieu de l'Autre, dans la mesure où c'est effectivement sur ce support littéral, à la lettre que nous allons, si nous le voulons, nous ne sommes pas obligés, nous allons tenir compte de la Deutung que Freud repère en prise sur le S2, sur le corps, dans les rêves, dans les actes manqués, ce que vous connaissez, toutes ces modalités d'articulation signifiante. Une femme, un père, une lettre ou la dimension de la lettre voilà trois registres, trois termes qui représentent l'articulation qui peut être la nôtre à ce que Lacan appelait le lieu de l'Autre, et qui engage notre responsabilité. Je veux dire par là c'est qu'avec une femme, avec un père ou avec ce qui est à lire dans ce qui nous concerne nous ne pouvons pas esquiver nos responsabilités. Nous pouvons éventuellement décider que nous ne les prendrons pas en compte, mais nous sommes là amenés à prendre position. C'est le point où on peut dire la relation quoiqu'il en soit de la quête, la relation vient faire valoir une logique.